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Laurent Wirth
Laurent Wirth Doyen honoraire du Groupe Histoire de l'Inspection générale du Ministère de l'Éducation nationale, Membre du Conseil scientifique de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale

Simone Veil : une lumière dans les ténèbres…

Pour beaucoup de Français, Simone Veil a été la révélation politique de l’année 1974. Chargée du Ministère de la Santé dans le premier Gouvernement du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, chacun sait qu’elle a défendu avec un grand courage le projet de loi de légalisation de l’avortement face à l’hostilité d’une coalition réactionnaire, comptant dans ses rangs nombre d’élus de la majorité qui auraient dû en toute logique la soutenir.

Cette position, aussi déterminée qu’audacieuse, s’inscrivait dans le prolongement d’un parcours singulier, marqué depuis la Seconde Guerre mondiale, par la triple passion qui l’animait : la liberté, la dignité humaine et la lutte contre toutes les formes d’exclusion.

Rappelons-nous, qu’encore adolescente, elle a connu le pire de ce que fut l’Europe du premier XXème siècle et que l’historien Mark Mazover nommait le « continent des ténèbres ». La déportation et Auschwitz sont, en effet, imprimés à jamais dans sa chair, comme le tatouage du numéro 78651 sur la peau de son bras gauche et de son épée d’Académicienne. « Rien ne s’efface », disait-elle. « C’est le poids effrayant du vide que l’oubli n’a pas le droit de combler et que la mémoire des vivants habitera toujours ». Mais au sortir de la guerre, alors que les pays européens ont, par deux fois, basculé dans les folies meurtrières, naît en Simone Veil, la volonté de « privilégier les vecteurs de réconciliation ». Une volonté chevillée au corps, pour celle qui tenait viscéralement à « rétablir l’Histoire dans sa vérité » ; Une volonté qui a surtout forgé en elle une quatrième passion, celle de la construction européenne.

Et c’est alors qu’elle nourrit une approche visionnaire d’une Europe irriguée par la justice. « C’est ici, où le mal absolu a été perpétré, que doit renaître un monde fraternel », soulignait-elle alors. Grande figure de notre Histoire contemporaine, à plus d’un titre, Simone Veil a donc extrait le meilleur du pire qu’elle a traversé et qui a décimé les siens. Avant même d’être connue du grand public, elle a su mettre en actes ses convictions, d’abord comme magistrate, de 1957 au début des années soixante, notamment en obtenant le transfert en France des détenus algériens exposés à la torture, puis aux assassinats par l’OAS dans les prisons en Algérie. Pays qui lui a d’ailleurs rendu un vibrant hommage lors de sa disparition. Et c’est elle aussi qui, quand elle était à la Direction de l’administration pénitentiaire, a obtenu qu’un camion radiologique passe dans tous les centres pour dépister les maladies et que des espaces médico-psychologiques, des bibliothèques et des structures scolaires s’y ouvrent… Son bilan en matière d’aide à l’enfance reste également méconnu : refonte des pratiques d’accueils dans les pouponnières, formation des assistantes maternelles, parrainages d’enfants ou encore, réforme de l’adoption, à la suite de la retentissante affaire Novak… Quant à sa position sur l’avortement, elle l’avait affirmé dès le début des années 1970. Mais aussi majeur soit son combat sur cette question, ce ne fut pas le seul point à mettre à son actif de Ministre. Pour preuve, le tout premier plan de lutte contre le tabagisme en France ou les accords franco-israéliens sur les dons d’organes.

Mais aujourd’hui, à l’heure de l’euro-scepticisme, voire l’europhobie, en particulier depuis la victoire du non au referendum de 2005, c’est son combat pour l’Europe qui a été trop souvent occulté… Cette passion a pu se révéler au grand jour, lorsqu’elle fut chargée de conduire la liste UDF, lors des premières élections du Parlement européen au suffrage universel, dans un contexte difficile, marqué notamment au sein même de la droite par la dénonciation du « parti de l’étranger » par Jacques Chirac, le leader du RPR.

Cette conviction européenne, Simone Veil a dit elle-même l’avoir acquise dès Auschwitz. C’est d’ailleurs ce qu’elle confia au journal Le Monde, le 22 juin 1993 : « j’y pensais constamment en déportation. Et je ne comprenais pas que l’on ait pas tiré les leçons des horreurs de 14-18 ». Elle a connu l’Europe des ténèbres et de la Guerre, elle appelle de ses vœux une Europe des lumières et de la paix. Européenne convaincue, elle obtint la Présidence du premier Parlement européen élu au suffrage universel. Son idée n’était pas celle d’une union économique et technocratique, mais d’une véritable union politique, fédérale et démocratique. Si elle a quitté la Présidence en 1982, elle a cependant poursuivi son engagement en dirigeant le service juridique du Parlement, en conduisant des listes pour les élections de 1984 et 1989, en exerçant pleinement ses mandats de député européen jusqu’à sa nomination comme Ministre des Affaires sociales du Gouvernement Balladur en 1993, en croisant le fer pour la victoire du oui au référendum de 1992, puis de celui de 2005. La défaite des europhobes de tous poils en 2017 est de nature à la rassurer après le chagrin que lui avait causé, comme à un autre fervent partisan de l’Europe, René Rémond, leur victoire en 2005. Simone Veil a eu le courage de défendre cette conviction jusqu’au bout.

De sensibilité centriste, elle a participé à des Gouvernements de droite, mais « sans jamais en être l’otage » (le Monde 22 juin 1993). Oui, c’était un esprit libre et indépendant, dont les convictions primaient sur le rattachement à une formation politique. C’est pourquoi, pour les élections européennes de 1989, elle a refusé le rapprochement RPR-UDF, préférant mener une liste ouvertement pro-européenne.

Un tel courage face aux vents contraires est rare. S’il mérite d’être salué, il redonne surtout espoir dans la politique. Un espoir qui est orphelin désormais… Le 30 juin 2017, Simone Veil, à la porte de ses 90 ans, s’est éteinte, dans son domicile parisien de la place Vauban.

Son fils, Pierre-François, rapporte que le dernier mot qu’elle ait prononcé avant de mourir est… « merci ! ».

Le 30 juin emporte avec lui une femme d’esprit. Une lumière dans la nuit…

Laurent Wirth,
Doyen honoraire du Groupe
Histoire de l’Inspection générale
du Ministère de l’Éducation nationale

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