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« J’entends oeuvrer pour faire de la Côte d’Ivoire le leader de la démocratie en Afrique ! »

Quels sont, selon vous, les véritables enjeux de la création de ce premier Sénat et quels sont les grands défis à relever au cours de cette mandature ?

Avant de répondre à votre question, j’aimerais tout d’abord revenir sur les prémices de cette nouvelle Assemblée, sa vocation, son fonctionnement, son architecture… À titre liminaire, rappelons qu’elle s’inscrit dans le cadre de la Constitution de 2016, qui a vu, notamment, la création d’un Vice-président de la République. Une Constitution, qui, en comparaison de la précédente, confirme, indéniablement, un renforcement de l’exécutif.

Dès lors, ce premier Sénat de Côte d’Ivoire, institué avec la Troisième République, a permis, avant tout, de transformer le dispositif parlementaire en système bicaméral. Concrètement, deux tiers des 99 Sénateurs – dont le mandat est de cinq ans – sont élus au suffrage universel indirect, en même temps que les Députés, le Président et son Vice-président ; le tiers restant étant désigné par le Président parmi les Ivoiriens reconnus pour leur expertise dans les domaines politique, administratif, économique, scientifique, culturel, sportif, professionnel ou social.
In fine, chacune des 33 régions est représentée par trois Sénateurs : deux sont élus par les Membres des Conseils municipaux, régionaux, de districts, mais aussi par les Membres de l’Assemblée nationale, l’autre étant nommé par le Président de la République.
Au total, lors des élections de mars 2018, pas moins de 7 010 grands électeurs furent donc appelés à voter pour désigner 66 des 99 Sénateurs.

Pour revenir à votre question, l’instauration de la Chambre haute, au-delà de son caractère véritablement historique, pose, en effet, un certain nombre de défis majeurs : trouver un équilibre entre les Institutions, renforcer la démocratie, prendre en compte les collectivités territoriales et répondre aux attentes des Ivoiriens, dans leur diversité.

« Je vais dédier à l’avenir du pays
mon expérience et mon savoir-faire
pour le renouveau de la Côte d’Ivoire
 »

Dans le calendrier que vous vous êtes fixé pour cette première année de présidence, à quels obstacles êtes-vous confrontés en particulier ?

Je n’emploierai pas le terme d’obstales, mais plutôt, de difficultés circonstancielles… Comme l’écrivait Saint Exupéry, dans Le Petit Prince : « l’Homme se mesure face à l’obstacle ! » et je ne doute pas que nous parviendrons à circonscrire ces difficultés, au fur et à mesure qu’elles se présenteront, pour avancer…

Quand on est une figure bien connue de la scène politique ivoirienne, comment incarner le renouveau ?

J’ai été notamment Député, pendant plus de 15 ans ; Ministre de la Justice ; Garde des sceaux ; Premier ministre ; Ministre d’État auprès du Président de la République, chargé du Dialogue politique et des Relations avec les Institutions ; Ministre de l’Industrie et Président de Conseil régional… Je suis donc, vous l’aurez compris, un véritable artisan de la politique. Et c’est précisément parce que je suis un homme d’expérience que je suis à même d’incarner ce renouveau que vous évoquez, car je vais conjuguer le changement dans la continuité, en m’inscrivant de le prolongement de ce que j’ai l’habitude de faire, sans rupture brusque, aucune. Et bien voyez-vous, c’est une force !

Je vais incarner le renouveau, parce que je vais apporter ma pierre à l’édifice du renforcement de la démocratie. Je vais incarner le renouveau, parce que je vais continuer de nourrir la philosophie d’une démocratie participative et apaisée. Je vais incarner le renouveau, parce que je vais apporter ma contribution à la paix. Je vais incarner le renouveau, parce que je vais préserver un dialogue inter-institutionnel, instaurer un dialogue à travers les collectivités et favoriser un dialogue inter-acteurs dans un environnement socio-politique agité. Dès lors, je vais dédier à l’avenir du pays mon expertise et mon savoir-faire pour le renouveau de la Côte d’Ivoire…

Vous êtes le premier Président du Sénat Ivoirien, aux commandes de la Chambre haute depuis le 5 avril 2018… Qu’est-ce que cela représente à vos yeux et de quelle manière souhaitez-vous orchestrer cette nouvelle fonction ?

Je dirais que ce n’est jamais facile de commencer…
Toutefois, en tant que chef d’orchestre, je souhaite mettre sur pied tous les outils nécessaires à la consolidation de notre démocratie et contribuer à ouvrir notre regard sur les tenants et les aboutissants des transitions qui nous attendent.
Dans un environnement ultra-mondialisé, où la circulation des informations va très vite, je dois me positionner comme la cheville ouvrière qui contribuera à changer de paradigme dans la gestion de notre pays et qui permettra d’anticiper au mieux les attentes de nos habitants. Je souhaite déployer une vision nouvelle en proie aux réalités de terrain, une vision à même d’inventer la Côte d’Ivoire du futur, une vision en adéquation avec la jeunesse de notre pays, toujours plus dynamique et plus nombreuse, elle qui représente 77% de la population. Et en tant que chef d’orchestre, je dois aussi répondre à ses aspirations, pour éviter qu’elle emprunte les routes de l’immigration.

Vous êtes critiqué pour vos positions pro-parti unifié. Que souhaitez-vous répondre à vos détracteurs ?

Disons que je suis pour « tout rassemblement ». Ensemble, on est plus forts ! Je défends une idée d’un rassemblement qui apaise, mais chacun doit être en mesure de faire sa propre auto-critique pour emprunter le chemin de la paix. Je respecte, bien sûr, les positions de certains de mes détracteurs, mais je les invite à penser collectif, afin de ne pas galvauder leurs idéaux et d’ériger la réconciliation nationale. Je leur dirai qu’il faut écrire l’avenir ensemble au lieu d’écrire l’histoire à l’envers… Nous sommes des bâtisseurs et non des démolisseurs. L’heure est à la construction et non à la déconstruction ! Il s’agit de préserver l’entente et la concorde au sein du navire Côte d’Ivoire pour confirmer le retour de notre pays sur le chemin du développement. Nous devons rassembler tous les fils et filles de la Côte d’Ivoire. La tâche est loin d’être aisée et je mesure l’ampleur du travail à accomplir, mais avec un esprit de cohésion et de solidarité, nous y parviendrons.

Quel bilan tirez-vous des élections municipales et régionales du 13 octobre dernier, dont les conditions de préparation furent compliquées ? Quel a été l’impact de ces élection locales sur votre parti septuagénaire ?

L’enjeu de ces élections était d’autant plus grand qu’elles constituaient le point de départ pour achever les grands chantiers entrepris auprès du Président Alassane Ouattara. Et pour ne pas compromettre la stabilité de notre pays, marqué par un contexte électoral particulièrement houleux, j’ai demandé, en amont, mais aussi tout au long de ces élections, à privilégier le bon ton, la courtoisie, l’apaisement et la paix.

Cependant, après un week-end de contestations et de tensions, le PDCI, a su tirer son épingle du jeu, en remportant 47 communes, dont l’importante mairie de Cocody. Le parti conserve aussi la mairie du Plateau et le centre d’affaires d’Abidjan. Dans le reste du pays, le parti historique conserve la capitale administrative, Yamoussoukro, fondée par Félix Houphouët-Boigny, ainsi que Daoukro, le fief de l’actuel chef du parti, Henri Konan Bédié.

« Il s’agit de préserver l’entente au sein
du navire Côte d’Ivoire pour confirmer le retour
de notre pays sur le chemin du développement »

Qu’est-ce qui a motivé cette visite technique en France ? Qu’en avez-vous retiré ?

Plusieurs facteurs ont été déterminants…

Un facteur historique tout d’abord, puisque comme vous le savez, le Président Félix Houphouët-Boigny a siégé en tant que Député à l’Assemblée Nationale française, de 1945 à 1959. Il fut Ministre délégué à la Présidence du Conseil en France en 1956, Ministre d’État du Gouvernement De Gaulle lors de la fondation de la Vème République. Et à travers ce premier déplacement à l’étranger, je souhaitais donc m’inscrire dans les pas du père de notre indépendance.

Mais au-delà du symbole, ce voyage témoigne aussi de notre volonté d’ouverture internationale. Je compte, de fait, développer de nombreux partenariats et enclencher différentes formes de collaborations avec nos amis français.

Le deuxième facteur significatif est, sans aucun doute, lié à la nature même de notre Institution : rappelons que notre Sénat assure la représentation des collectivités territoriales et des Ivoiriens établis hors de Côte d’Ivoire, à l’instar du Sénat français pour ses propres citoyens. Ainsi, cette visite technique au Palais du Luxembourg est aussi le moyen de nous inspirer du modèle hexagonal pour asseoir notre rayonnement local, car rendre notre pays et nos collectivités attactifs, c’est aussi un moyen de freiner l’émigration et de maintenir sur notre terre, notre population.

Ouverture à l’international et rayonnement local sont donc deux des moteurs intrinsèques à notre développement.

De quelle manière souhaitez-vous collaborer avec votre homologue français ?

Je souhaite tirer avantage de l’expérience du Sénat français en termes de renforcement des compétences, faire de nos Sénateurs de véritables techniciens, les former, tant sur le fond que sur la forme, susciter leur intérêt, leur enthousiasme, leur curiosité. J’aimerais que le Sénat Français accompagne la Côte d’Ivoire dans sa marche vers le progrès, une marche, ouverte sur le monde.

Quel message souhaitez-vous adresser à la classe politique française, par l’intermédiaire de notre journal, pour mieux faire connaître le Sénat de Côte d’Ivoire et son Président ?

Je voudrais poursuivre cette coopération à visage humain, pas uniquement d’État à État, mais d’être humains francais et ivoiriens, pour imbriquer nos savoir-faire et nos compétences. Je compte tisser une relation singulière entre nos deux pays pour faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. Je souhaite enfin que la classe politique française sache combien j’entends œuvrer pour faire de la Côte d’Ivoire le leader de la démocratie en Afrique. Je serai de tous les combats pour relever tous ces défis !

Jeannot Ahoussou-Kouadio

Président du Sénat
de la République de Côte d’Ivoire
Vice-président du PDCI