Corinne Lepage
Ancienne Ministre
Présidente de Cap 21

Corinne Lepage, Présidente de Cap 21, continue, on le sait, d’être en pointe des combats liés à la défense de l’environnement. Depuis 1978 où elle a défendu les victimes de la marée noire du naufrage de l’Amoco Cadiz, l’ancienne Ministre de l’Environnement et Eurodéputée, met son expérience comme sa pugnacité au service des causes écologiques. L’ Avocate plaide sur les nécessaires évolutions qui doivent être engagées pour rester dans les limites de l’Accord de Paris…

Quelles sont vos recommandations prioritaires pour réduire notre empreinte carbone et rester dans les niveaux des Accords de Paris ?


Nous considérons que les mesures prises par la France sont notoirement insuffisantes et à cet égard, j’ai mené pour la ville de Grande-Synthe une procédure devant le Conseil d’État (voir encadré). La Loi Climat & Résilience, qui contient des propositions intéressantes, reste très en deçà des mesures à prendre. Cette loi conduit à une minoration de 37% de réduction des émissions carbone alors que nous devrions nous trouver à 47 ou 48% en 2030 avec les nouvelles règles européennes qui visent 55%. Nous sommes donc loin du compte !
Investir massivement dans la sobriété énergétique, dans la rénovation des bâtiments demeure un impératif. Tout le monde le dit, mais les investissements sont très insuffisants. Il faut changer de paradigme et considérer que ce sont des investissements et non pas des dépenses, faire la différence entre ce qui relève du coût de fonctionnement et du coût d’investissement.

La transition énergétique, économique, sociétale n’est-elle pas un formidable levier de re-développement économique, de ré-industrialisation de la France et de l’Europe ?

Il faut le concevoir comme un outil dynamique et penser à la fois aux industries qui vont permettre cette transition et aux outils massifs qui vont la mettre en œuvre. Tous les citoyens doivent pouvoir bénéficier de ces avancées, à la fois en termes d’habitation, de mobilité, mais aussi de transformation de notre modèle agricole. L’agriculture demeure un imposant émetteur de gaz à effet de serre mais, avec des investissements adéquates, elle pourrait devenir un outil de capture de carbone extrêmement efficient. Pour ce faire, les citoyens doivent accepter de remettre en cause un certain nombre de manières de voir et de vivre, y compris sur le plan énergétique, à savoir un mix énergétique qui doit se mettre en place.
Il y a un juste équilibre à trouver entre le déni qui est insupportable et le catastrophisme qui bloque toute initiative. À cet égard, le film Dont’ look up est une magnifique illustration de ce qu’on peut faire et de ce qu’on ne fait pas.

Corinne Lepage et Yann Arthus-Bertrand.

L’empreinte carbone du numérique est-elle assez prise en compte ?


Le sujet commence à émerger. Désormais, l’empreinte digitale est supérieure à celle de l’aviation civile et va doubler dans les années qui viennent. Il n’est plus possible d’avoir en même temps des politiques drastiques pour réduire nos émissions de gaz à effets de serre dans tous les domaines et continuer à penser que le digital doit se développer sans aucune contrainte et aucune limite. Aujourd’hui, émerge la notion de RTS (Responsabilité technique et sociale) comme on parle de la RSE. Intégrer l’empreinte digitale devient une nécessité dans les bilans carbone des entreprises et dans les efforts faits pour les améliorer. Et cela se joue à la fois sur le matériel et sur l’usage.

Des campagnes de communication sont nécessaires pour apprendre aux Français la réalité de l’empreinte numérique. À commencer par les jeunes qui sont très en pointe sur la défense du climat, mais probablement les plus gros consommateurs de numérique. Un apprentissage doit se faire car beaucoup d’idées reçues ont circulé et continuent à circuler comme si, à titre d’exemple, envoyer un mail était meilleur pour l’environnement que d’envoyer une lettre parce que ça protège la forêt ! Il faut expliquer que ce n’est pas si simple que cela.

Justement beaucoup d’idées reçues continuent de circuler sur le papier…

Le papier n’est pas le vecteur de la déforestation qui reste pour une très large part l’agriculture et notamment l’utilisation de l’huile de palme. Aujourd’hui, il existe des gestions durables de la forêt, des systèmes de recyclage du papier… Beaucoup de choses ont été faites pour améliorer les empreintes écologiques (et pas seulement carbone) du papier ! J’utilise encore beaucoup de papier même si je suis aussi très digitalisée. Chez les jeunes le papier a, apriori, mauvaise presse et c’est bien dommage.

À chaque élection, revient la possibilité de numériser la propagande électorale alors que 17 % de la population est en situation d’illectronisme, qu’en pensez-vous ?


En effet, toute une partie de nos concitoyens ne sont pas au fait de l’utilisation optimum de l’informatique.
Que tous les électeurs reçoivent dans leur boîte aux lettres le même document fait figure de principe à la fois d’équité et d’égalité.
L’égalité est un principe de droit public classique, mais l’équité consiste à prendre en considération les personnes qui maîtrisent peu ou mal le digital.
Il en va de même avec le vote électronique où il faut s’assurer que tous les citoyens aient la capacité de voter électroniquement et opérer un contrôle extrêmement rigoureux. Ces conditions ne sont pas encore remplies. Dans ce domaine et plus largement, il faut donner du temps au temps et permettre à toute la population de trouver un juste équilibre entre le digital et le papier.

Propos recueilis par
Patricia de Figueirédo