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Amine Gemayel
Amine GemayelAncien Président de la République
du Liban

« Je résiste donc je suis »

Le Liban a toujours été une terre ouverte sur le monde. Mondialiste avant l’heure, le Libanais est perméable aux sensibilités étrangères quo ont fortement imprégné son histoire. Ma terre n’en est pas à ses premiers défis. « Vieille nation », elle a su surpasser les plaies qui lui ont été infligés au gré des circonstances. L’attachement qu’ont les Libanais pour leur terre les a toujours poussé à se battre et quand il ne le pouvaient pas, à s’acharner à préserver leur patrimoine et leur identité. Le peuple libanais est ainsi rompu à ces crises mais la globalisation, par la proximité qu’elle procure, fait peser une menace supplémentaire, celle d’un changement structurel qui toucherait le pays, vidé de ses jeunes à un rythme alarmant. À l’inverse, les autorités en place se permettent, d’une façon irresponsable, d’accorder la nationalité libanaise à plus de cinq cent mille étrangers, en majorité syrienne et palestinienne d’un seul coup, par un seul décret illégal et rédigé à la hâte. Une hérésie à nulle autre pareille dans les annales libanaises et même étrangères. Si l’on n’y prend garde, le pays deviendrait un pays de « vacances », pour ses propres citoyens, une terre placée sous le signe des retrouvailles, des bons moments de tourisme chez soi. L’émigration en dit long sur les aspirations de nos jeunes et leur déceptions face à un Liban, aujourd’hui dans une situation d’attente.

Je parle du Liban parce que le pays des cèdres avait été traditionnellement une terre de paix, de tolérance et de liberté. Ces valeurs doivent être d’abord restaurées chez nous, ainsi elles pourront servir d’exemple pour le genre de paix qu’on voudrait instaurer dans la région.

Une véritable paix qui garantisse à tous les peuples de la région, notamment le peuple palestinien et ses dirigeants, le droit de vivre dans la liberté, la dignité et la sécurité.

Une véritable paix qui permette au Liban de dépasser les séquelles de la guerre et de pouvoir reprendre sa place et son rôle dans le concert des nations. Pour cela une révision de ses relations avec la Syrie que nous envisageons à travers un dialogue serein et constructif est indispensable. Ce dialogue doit déboucher sur le retrait de l’armée syrienne du pays des cèdres, la cessation des ingérences des services spéciaux syriens dans les affaires libanaises et l’affranchissement des décisions nationales libanaises de toutes tutelles. Ains, les Libanais reprendront foi et confiance dans l’avenir de leur pays qu’ils pourront déterminer eux-mêmes, condition sine qua non de la confiance du monde et des investisseurs dans le pays et donc de la solution de nos problèmes aigus dans les domaines politique, économique et social.

Le Liban est un lieu où les diverses idéologies politiques, les multiples religions et cultures s’entrecroisent et s’enrichissent mutuellement par leur interaction. Ainsi, une véritable paix au Moyen-Orient, qui se veut juste et durable, ne peut se concevoir sans la restauration de la paix libanaise, une paix qui puisse préserver la spécificité des institutions libanaises et restaurer notre souveraineté, notre indépendance et notre libre décision nationale en dehors de toutes interférences de l’extérieur, d’où qu’elles viennent.

Pour plus de 30 ans, depuis les années 40 jusqu’au début des années 70, le Liban était en démocratie basée sur une constitution laïque et sur le pluralisme culturel. Ces deux piliers : démocratie et pluralisme ont forgé l’identité nationale libanaise et ont constitué l’essence de sa raison d’être. Aujourd’hui, le Liban devrait retrouver ces valeurs démocratiques et libérales et être en paix et en harmonie avec lui-même et avec son environnement.

Il devrait de nouveau jouer son rôle de trait d’union et de pont entre l’Est et l’Ouest, entre le monde arabe et l’Occident et entre les diverses religions de la région du Moyen Orient. Cette mission devrait être la nouvelle vocation du Liban dans cette ère de la Globalisation.

Ainsi le Liban, en tant que société traditionnellement pluraliste, pluriconfessionnelle, peut fournir au monde arabe  et à tout le monde son savoir-faire en ce qui concerne le dialogue entre les diverses croyances et la façon de solutionner les conflits entre les religions. Ce genre de conflits, mon pays et mon peuple en avaient fait les frais durant plus de deux décades. Pendant mon mandat présidentiel, nous avions été envahis par d’innombrables crises dont l’émergence de l’extrémisme religieux, les ingérences étrangères explicites dans nos affaires internes, sans oublier l’invasion israélienne du pays.

À ce titre, aucune autre société n’a été autant touchée par ce fléau du terrorisme et n’en a autant subit les conséquences. Sentant venir l’orage, les responsables libanais avaient essayé de prévenir le monde de ce qui pourrait advenir si l’on n’y prenait garde et si cette question n’était pas traitée sur le plan international.

En ce début de siècle, l’expérience libanaise, dans ses deux aspects positifs et négatifs, offre des clés utiles pour une meilleure compréhension des données et des problèmes du Moyen Orient d’aujourd’hui. Je crois qu’il est grand temps de prendre en considération les aspects positifs de notre histoire, ainsi il sera possible d’y puiser des solutions à certains problèmes de la société contemporaine.

En attendant, les Libanais ne baissent pas les bras. Leur pays mène un combat réel pour la réalisation de lui-même et contre l’abdication vers laquelle on veut le pousser. C’est un combat que mène tous les Libanais : l’opposition sur les fronts politiques, l’étudiant dans son université, le cadre dans son bureau, la ménagère dans son foyer… Cette lutte est menée dans toutes les régions du Liban.

On cherche à donner l’impression d’un pays divisé. Cela est faux. Cette division est en fait forcée  et les Libanais n’aspirent qu’à se retrouver et à bâtir ensemble leur avenir. À chaque fois qu’une initiative est prise pour rassembler et réconcilier les Libanais de tous bords et les engager dans une dynamique institutionnelle et démocratique, l’autorité en place se sent agressée et empêche le processus de se développer.

Malgré tout cela, je reste optimiste car nous revenons de très loin. Ce qui s’est passé durant ces trois dernières années est très édifiant ; c’est un sursaut généralisé. Les Libanais n’ont pas été intimidés par la répression, ils résistent toujours et ils ont réalisé de grands bonds en avant. De grands rassemblements et mouvements politiques contestataires ont vu depuis le jour. Tout ceci devrait raviver l’espoir. Mais au-dessus de tout cela et malgré l’adversité, notre jeunesse reste notre plus grande fierté et notre espoir. Nos jeunes ont relevé le défi lorsque la classe politique semblait soit dépassée soit résignée. Ce sursaut de la jeunesse libanaise, que je vis à travers les jeunes que je côtoie chaque jour, me fascine. Je suis de plus  en plus confiant qu’après toutes ces années de répression et d’intoxication, durant lesquels on a utilisé des Libanais pour briser des Libanais et les pousser à se résigner, ces Libanais luttent toujours et tout est en train de changer dans le bon sens. Dans cette période de grande mutation, notamment à la suite de la guerre d’Irak, la France et l’Occident encouragent les États de la région à s’engager sur la voie de la paix, de la démocratie et du libre échange.

Nous mesurons combien est grande et historique la responsabilité de la France ; une responsabilité à l’égard du Liban qui partage largement avec elle un patrimoine culturel commun imprégné des valeurs démocratiques et libérales. Cela explique les relations traditionnelles et ancestrales entre nos deux pays et nos deux peuples et le devoir mutuel de les développer, non seulement dans leur propres intérêts mais dans l’intérêt de la paix et de la stabilité dans la région du Moyen Orient et dans le Monde.

La France a besoin aussi du Liban, comme le Liban a besoin de la France ; le Liban restauré dans ses traditions et réconforté dans sa vocation sera un allié efficace et contribuera autrement autrement aux nobles objectifs prônés par la francophonie, dont l’un des principaux promoteurs n’était autre que le Président Libanais Charles Hélou.

« Je résiste donc je suis » pour paraphraser une maxime célèbre.

Cette résistance libanaise soutenue génération après génération, à travers tout le territoire libanais et qui a préservé et libéré le pays, est un symbole de foi et une source d’espoir.

Amine Gemayel,
Ancien Président de la République de Liban

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