Ceux qui instrumentalisent les ratés de la distribution des professions de foi oublient que sa dématérialisation fut l’une des obsessions des gouvernements successifs de François Hollande et d’Emmanuel Macron au nom de l’économie, de la simplification administrative et de l’environnement ! L’alerte sur son évidente nécessité au 1er tour des régionales incite à en consolider l’efficacité, vecteur principal du principe d’égalité entre les candidats pour les élections à venir, de sa production à son recyclage sans oublier sa distribution. Sans vigilance, cet outil démocratique aurait déjà disparu.
Un mécanisme démocratique et égalitaire depuis 1919
Avant que le terme ne soit stigmatisé par les excès du XXe siècle, la « propagande officielle » électorale était votée à sa création par la Loi du 20 octobre 1919 comme une avancée démocratique, respectant le principe d’égalité entre les candidats. Du fait de la pénurie de papier engendrée par la Première guerre, l’Etat prenait à sa charge l’envoi de la profession de foi et du bulletin de vote. Pérennisée en 1924, elle est depuis remboursée aux candidats qui obtiennent au moins 5% des suffrages exprimés (art. L.243), véritable barrière à ‘la sortie’ des urnes qui trouve sa limite au nom de sa soutenabilité financière, ce qui est contestable… comme principe démocratique !
Sa suppression, objet d’un acharnement administratif
En pleine vague triomphante voir obsessionnelle de transformation numérique de l’Etat (voir rapport Erhel, Piron, 2016), la dématérialisation de la propagande a fait l’objet d’un acharnement au nom de la simplification administrative. Portée par les gouvernements successifs de François Hollande et Emmanuel Macron, elle fut inscrite aux projets de Loi de finances pour 2014, 2015 et 2017, toujours rejetée par l’Assemblée au nom d’un risque d’abstention particulièrement lucide… Convaincue de son « bon droit », l’administration l’intègre dans les deux avant-projets de loi portant sur le « droit à l’erreur pour un Etat au service d’une société de confiance ». Soutenu par un avis (très) favorable du Conseil d’État qui a considéré qu’il n’existait « pas d’obstacle constitutionnel à ce que cette propagande soit dématérialisée » au regard « de l’état actuel des moyens de communication » et « du maintien d’une possibilité physique d’accéder à ces documents », la réforme proposée « ne porte atteinte ni à l’égalité entre électeurs, ni à la sincérité des scrutins ».
L’utopie d’une campagne électorale dématérialisée numérique
Le refus de l’Assemblée tous bords confondus n’empêche pas de recommencer. Une ultime charge ( ?) s’inscrivait en 2018 dans le projet de loi de réforme constitutionnelle : « Les professions de foi des listes seront dématérialisées, mais resteront consultables en mairie par voie d’affichage et, le cas échéant, [de mettre] une version électronique de ces documents à la disposition du public dans la mairie », annonçait l’exécutif à l’issu du Conseil des ministres du 24 mai 2018. Avec une mise en œuvre prévue pour 2022 ! Si pour l’heure la réforme constitutionnelle est enterrée, le COVID fut l’occasion de stimuler la campagne des municipales sur internet puis les Régionales, avec les résultats d’abstention faute d’infirmations à domicile et
les ratés que l’on a pu constater.
Toujours le papier bashing face au recours « libérateur » à internet
Pour justifier la dématérialisation, il apparait toujours cette même rengaine du papier bashing faute d’études d’impacts ou d’ACV rigoureuses.
Le « potentiel » d’économies – des centaines de millions à la louche – constitue la véritable motivation oubliant que la démocratie a un coût !
Pour le rapport de l’Inspection générale de l’administration et le Contrôle général économique et financier, cité par Les Echos (de septembre 2015) : « l’inefficacité » justifie aussi le numérique selon même rapport : « Beaucoup d’électeurs ne reçoivent pas la propagande, faute d’adresse correcte, près de 3 millions de plis (6,3 %) ont été retournés en mairie lors des élections européennes de 2014. Sans compter les retards et ceux qui votent par procuration. » Dès lors, pour une administration ‘efficace’ qui se respecte et vise à tout simplifier, une (seule) solution s’impose : quand « la propagande papier n’informe pas correctement les électeurs. » supprimons là !
Le numérique n’est ni une solution démocratique ni environnementale
Dans leur grande sagesse et pragmatisme les élus n’ont jamais cédé aux pressions au nom d’un principe ; l’égalité de traitement des candidats (accès identique dans tous les foyers) et celle des citoyens (avec le fort taux d’illectronisme). Et aussi d’une réalité : une élection se gagne, sur le terrain physiquement en général et au plus proche du foyer en particulier, surtout quand le choix du vote est pris de plus en plus tardivement. « La propagande papier constitue, insistait le député Bastien Lachaud (LFI) dans une question écrite le 15.09.2017 pour d’innombrables foyers, le seul moment de l’élection où est présentée l’intégralité des candidat-e-s à égalité (…). Pour d’autres, c’est l’occasion d’un moment d’éducation républicaine, où les parents apprennent à leurs enfants l’importance du vote, la fonction des élu-e-s, et expliquent le choix qu’ils font. »
Le digital brouille plus qu’il instruit, enferme plus qu’il partage. Paradoxe de la start-up nation, la bonne vieille propagande électorale qui entre dans chaque foyer répond à ses besoins (nouveaux ?). Est-il encore utile de rappeler qu’avant d’accuser unilatéralement le papier, il convient de faire des ACV sérieuses, et de balayer que l’usage d’un arbre ne se compte pas « en feuilles de papier » puisqu’elles proviennent de ses déchets… ? Sinon il faudrait se demander combien d’arbres sont sauvés grâce au béton !
Consolider l’efficacité de la propagande électorale papier
L’actualité récente montre que la propagande électorale papier répond toujours à une demande démocratique que le numérique ne satisfait pas (sans parler de son impact environnemental qu’il faut lui aussi mesurer !).
Pour les élections à venir, nous appelons à renforcer son efficacité ; en premier lieu pour atteindre les électeurs, par un meilleur recollement entre les adresses des électeurs inscrits et celles des contribuables locaux pour optimiser la distribution postale.
Le taux de retour entre 6 à 10% des adresses inexactes est correctible.
Il faut aussi s’appuyer sur les qualités du service public au moment de la distribution. Enfin, pour optimiser l’empreinte environnementale d’une ressource naturelle, il faut faire appel aux imprimeurs au plus près des sites de distribution, et optimiser le tri des papiers pour un meilleur recyclage. Comme le taux de participation à une élection, l’efficacité de la propagande électorale est aussi l’affaire de tous.
Par Olivier Le Guay
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