Emmanuelle de Boysson : dialogue entre la vie et la mort

C’est au moment où se pose avec de plus en plus d’acuité la législation qu’il conviendra de mettre en œuvre dans le parcours de fin de vie, qu’Emmanuelle de Boysson a adapté son roman « Un coup au coeur » (Calmann-Levy 2024) racontant son propre arrêt cardiaque et une expérience de mort imminente.
Marina Yaloyan s’est rendu au Théâtre Essaïon et a rencontré l’auteur.


Emmanuelle de Boysson nous livre, ici, un témoignage bouleversant, brillamment mis en scène par Hervé Bentégeat et incarnée avec une intensité remarquable par Carmen Vadillo.
Chaque scène est un battement de cœur, oscillant entre le calme et la tempête, entre le rêve et la réalité.

Dès les premiers instants, la scène s’habille de simplicité, tout en douceur, laissant la place à une narration intense. Vadillo vit la vie de cette femme qui revient d’un voyage aux confins de l’au-delà. Sa performance à la fois intime et universelle, touche directement le spectateur, comme si elle nous prenait par la main pour nous guider dans cet entre-deux mystérieux. Son jeu est sobre et vibrant à la fois. Ses gestes sont précis, son talent de danseuse apporte de la spontanéité enfantine à chaque émotion qu’elle vit sur scène : la peur, la sérénité, la joie, l’exaltation et surtout une tristesse profonde de revenir dans le monde des mortelles où tout lui paraît insipide…

Le texte d’Hervé Bentégeat, tiré du récit autobiographique d’Emmanuelle de Boysson, est finement ciselé. La pièce se transforme en un hymne, où les thèmes de l’amour et de la mort, symbolisés par Eros et Thanatos, se côtoient en un pas de deux délicat et obsédant. Il n’y a ni vainqueur ni vaincu dans cette danse, mais une leçon de résilience, de plénitude, et d’espoir.

Le décor minimaliste permet à l’attention de rester centrée sur Vadillo, dont la voix, tantôt fragile, tantôt puissante, guide le spectateur à travers cette odyssée spirituelle. L’absence d’artifices donne une résonance particulière aux paroles, aux silences et aux espaces.

La mise en scène elle-même est sobre, épurée. Cette sobriété renforce l’intensité émotionnelle de la pièce, permettant au spectateur de se concentrer sur les questions essentielles : que signifie revenir d’entre les morts ? Que nous dit cette expérience sur la survie de l’âme ? Carmen Vadillo, en magnétique interprète, nous plonge dans ces questions avec une authenticité désarmante…
Un spectacle de grande qualité.

Théâtre Essaïon
du 16 septembre au 14 janvier 2025
Les lundis et mardis à 21 h.


Rencontre avec Emmanuelle de Boysson 

Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés en voyant votre récit passer du livre à la scène ? Y a-t-il des aspects que vous avez dû abandonner ou transformer pour mieux correspondre à la mise en scène ?
Début 2024, après la parution de mon roman Un coup au cœur, chez Calmann-Lévy, je l’ai lu à haute voix à mon compagnon et j’ai trouvé le texte très musical, parfait pour la scène.. Aussi, lorsque Hervé Bentégeat m’a proposé de l’adapter au théâtre, j’en ai été très heureuse, d’autant qu’il voulait travailler avec Carmen Vadillo, une comédienne « fabuleuse » comme le dit Armelle Héliot 
Hervé Bentégeat a laissé de côté certaines épreuves de mon séjour hospitalier et mis l’accent sur la nostalgie du paradis, mais aussi l’amour, les joies du quotidien. Il a permis à Carmen de danser. Elle est parfois drôle. Grâce à son parti-pris, la pièce transcende le roman et célèbre la vie.

La pièce, tout comme le roman, traite d’un sujet très intime : votre expérience de mort imminente. Comment avez-vous vécu le fait de voir une autre personne incarner un moment aussi personnel de votre vie ?
La première fois que j’ai vu Carmen incarner ce que j’ai vécu, j’en ai pleuré d’émotion ! Elle est très habitée, bouleversante. Elle exprime les états d’âme que j’ai traversés avec tant d’intensité, de sincérité, de justesse que je me retrouve en elle. De plus, elle me transmet une énergie incroyable.  Il paraît que nous nous ressemblons !

Carmen Vadillo, qui vous interprète sur scène, livre une performance intense et touchante. Avez-vous eu des échanges réguliers avec elle durant le processus de création ? Comment s’est déroulée cette collaboration ?
Carmen et moi, nous avons bien-sûr eu des échanges au fil du travail, mais elle comprend tout, sent tout et fait surtout confiance en son intuition. De plus, elle évolue, capable de tout jouer, c’est une remarquable comédienne ! Nous sommes devenues amies !

 Quels sentiments ressentez-vous en voyant votre histoire intime, de souffrance mais aussi de renaissance, résonner dans une salle de théâtre auprès d’un public ?
Chaque soir, j’éprouve des émotions à différents moments du spectacle. J’ai l’impression de revivre cette traversée, la détresse, la souffrance si atroce que je voulais mourir, et la lutte pour la vie avec la volonté de me rétablir, de prouver à mes proches que je n’avais pas de séquelles, de reprendre goût à la vie. Chaque soir, je renais en quelque sorte. Une catharsis. C’est cela la force du théâtre ! 

Marina Yaloyan