De la société sclérosée du XIXème siècle au mouvement Metoo, quel regard porte-t-on aujourd’hui sur les femmes ? Que nous disent-elles sur le monde ? Sur l’art, sur l’amour, sur l’abandon ?… Autant de questions auxquelles répond « Camille, Camille, Camille », une pièce écrite par Sophie Jabès* sur Camille Claudel, première femme à être entrée dans l’Histoire de la sculpture française. Dans ce spectacle aux accents singuliers, entrent en scène trois Camille, à trois âges de la vie…
Audacieuse, enthousiaste et sensuelle, la plus jeune a la beauté insolente de ses 20 ans. A 49 ans, l’artiste, brisée par sa rupture avec Rodin, est à l’aube de son internement. La plus vieille enfin, 78 ans, édentée et décharnée, est usée par trente années d’hôpital psychiatrique. Et, se déployant d’une Camille à l’autre, un jeune danseur, le Page, homme-enfant annonciateur des coups du sort, s’inscrit comme l’évocation sensible des différentes figures masculines qu’on lui connaît.
C’est à l’occasion du 80ème anniversaire de la mort de Camille Claudel, que Virginie Bosc (La Compagnie du Rendez-vous), à l’origine du projet, a souhaité mettre en lumière cette personnalité emblématique, éminemment contemporaine et qui, dit-elle, « nous interroge sur l’universalité de nos travers, de nos démons, de nos émotions ». Quant à la mise en scène, elle l’a confiée à Stéphane Roux, qui triomphe actuellement dans la pièce « Glenn, naissance d’un prodige », au Petit Montparnasse.
Pari tenu avec une scénographie inspirée où le son et la lumière, éléments d’architecture à part entière, s’impriment comme autant de visualisations mentales qui viennent heurter notre inconscient collectif : mimétisme troublant entre la gestuelle des comédiennes et les projections des statues, liant intrinsèquement la vie et l’oeuvre de Camille Claudel ; habile jeu de miroirs, dont la charge symbolique nourrit, avec force, l’imaginaire, pour entamer un dialogue entre les Camille et remarquable composition d’un paysage sonore et musical…
C’est donc une expérience immersive saisissante à laquelle nous convie Stéphane Roux, une plongée au coeur de l’intime. A l’image d’une sculpture qui prend forme sous les yeux des spectateurs, il y a quelque chose de très charnel, voire d’organique dans son approche, une forme d’animalité palpable qui conduit à voir l’invisible, à entendre l’inaudible et à verbaliser l’indicible dans une étonnante anamorphose poétique, phonique et visuelle.
Nul doute que cette pièce, qui a été saluée lors de la Générale et de la Première, au Cresco, à Saint Mandé poursuivra son chemin en d’autres lieux, car si ce travail célèbre magnifiquement la mémoire de Camille Claudel, il rend aussi, avouons-le, un très bel hommage au théâtre…
Mise en scène : Stéphane Roux, assisté de Valeria Dafarra
Avec la complicité : d’Antoine Nouel, arrière petit-neveu de Camille Claudel
Créateur lumière : Denis Schlepp
Distribution : Virginie Bosc, Laurence Bréheret, Sylvia Amato, Victor Mizrahi.
*Camille, Camille, Camille, de Sophie Jabès, publié aux Éditions Lansman.
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