Jean Thannberger
Président d’Axe Capital

En 25 ans, Jean Thannberger a conduit plus de… 200 entreprises en Bourse ! D’abord, comme Président du Directoire d’une Société de Bourse, ensuite comme Administrateur d’une Société de Gestion et enfin, comme Entrepreneur. Cette carrière, située au cœur du financement des entreprises, fait partie intégrante de son ADN et lui permet de comprendre les besoins et les ambitions des PME et de leurs dirigeants.
Pour Le Journal du Parlement, il nous fait part de son regard sur le monde politique, vu de la société civile…

À maintenant quelques jours du Premier Tour de l’élection Présidentielle, c’est, bien-sûr, une bonne période pour se rappeler les années peu communes qui viennent de s’écouler… Le pouvoir d’achat des Français était déjà l’un des grands thèmes en amont de la première élection présidentielle, celle de 2017 : la sécurité et le pouvoir d’achat sont encore au cœur des préoccupations de la France d’ici à l’élection à venir. Mais comment a-t-il évolué sous le mandat d’Emmanuel Macron, qui a entamé son quinquennat et a été qualifié de « Président des riches » ?

L’Institut des politiques publiques a rendu public il y a quelques semaines une évaluation approfondie de l’impact des mesures fiscales mises en place entre 2017 et 2022 sur les ménages et les entreprises. Relire cette étude annuelle permet de faire un premier bilan de la politique économique du Chef de l’État et de déterminer qui sont les gagnants et les perdants.

Des chiffres à méditer…

Par rapport à 2017, le niveau de vie de la quasi-totalité des Français, c’est-à-dire leurs revenus, (revenus du travail ou du capital, après impôts et prestations sociales), a augmenté en moyenne de 397 euros (+1,6 %) par an. Une exception notable : les 5 % des ménages les plus pauvres (ceux qui vivent avec moins de 800 € par mois) perdent jusqu’à 0,5 % de leur pouvoir d’achat (jusqu’à 39€ par an). C’est un fait. Et pourtant, on peut se poser des questions au terme de l’année 2021, où l’État à distribué une prime de 100 euros à toute personne dont le revenu mensuel était inférieur à 2 000 euros par mois.

Ce sont pas moins de 38 millions de Français qui ont été concernés par cette « faveur ». Soit plus de 50 % de l’ensemble de la population en métropole et sur les territoires ultramarins. Un constat que je trouve, pour ma part, préoccupant, pour un pays qui se prétend être l’un des plus puissants au monde économiquement. Mais il semble que cela n’a interpellé aucun candidat, quelle que soit sa tendance politique…

Emmanuel Macron a fait de la modernisation économique l’un des axes majeurs de sa campagne électorale de 2017. Sa formation, son parcours professionnel et son action au Gouvernement de Manuel Valls, étaient les garants de sa réussite.

Cinq ans plus tard, l’ancien Ministre de l’Économie et des Finances est toujours assez fidèle à sa promesse, n’ayant pas pu la tenir durant son premier mandat. Emmanuel Macron, par exemple, a commencé son mandat par la promesse de baisser le taux d’imposition des sociétés à 25 % et cela s’applique assez opportunément sur l’exercice 2022 (ce ne sera pas l’unique coïncidence !).

Un sujet sur lequel tous les candidats semblent d’accord : « augmenter le salaire net en supprimant les cotisations salariales ». Elles ont été effectivement supprimées par la loi de Financement de la Sécurité sociale pour 2018. Selon une étude de novembre 2021, au fur et à mesure de la revalorisation des primes d’activité, la mesure permet aux salariés de bénéficier d’une augmentation moyenne de 3,5% du pouvoir d’achat, sur une période de cinq ans. Autre promesse phare : la suppression des quatre cinquièmes de la taxe d’habitation en 2020. Les lois financières votées depuis 2017 ont clairement documenté sa disparition progressive. On l’attend patiemment chaque année et elle n’est toujours pas clairement appliquée.

Au fil de l’eau…

Parfois, les objectifs annoncés sont clairement ratés ou oubliés… Le Président actuel veut réduire le taux de chômage à 7 % et créer 1,3 million d’emplois. Le chômage a bien baissé au cours de son mandat de cinq ans, mais au quatrième trimestre de 2021, il est resté stable à 7,4 %. En tenant compte des dernières données de l’INSEE, la création nette d’emplois salariés de début 2017 à fin 2021 est estimée à 1,14 million. Un peu moins que promis initialement…

Autre « ratage » du bilan de l’économie : la promesse de supprimer 120 000 emplois dans la Fonction publique ne s’est pas concrétisée. Alors que nous savons tous la nécessité absolue de réduire ou de réorganiser les Services de l’État vers des priorités différentes et pour une efficacité accrue.

Enfin, autre mesure du candidat Macron de 2017, la création d’un Régime universel de retraite qui n’a jamais été réalisée…

Autre promesse de 2017 tombée à l’eau : la création de 15 000 places de prisons supplémentaires en cinq ans. Pourtant, le plan immobilier carcéral du Gouvernement, rendu public en avril 2021, prévoyait « une augmentation nette de 15 000 places de prison sur dix ans », et non cinq ans. Concrètement, 7 000 places sont prévues d’ici 2022, avec 8 000 places supplémentaires ajoutées entre 2025 et 2027. Mais les 7 000 premières places ne seront pas prêtes d’ici la fin du quinquennat… Encore un mauvais hasard !

Pourtant, dans une période où la sécurité s’inscrit au cœur de beaucoup de débats, on aurait cru que ce fut une priorité, ne serait-ce que pour améliorer les conditions de détention et ainsi réduire les pressions internes qui règnent au sein de ces Établissements, autant pour les détenus que pour le personnel pénitentiaire.

Pour ma part, je ne pense pas que la sécurité soit un enjeu actuel. Notre pays a traversé des crises sécuritaires bien plus graves au début des années 2010. Je crois au rétablissement des valeurs laïques et républicaines. Une instruction civique au sein des établissements scolaires. Un service, non plus militaire, mais civique obligatoire, nécessaire pour la cohésion de notre jeunesse et sa formation.

Vers une Révolution de la vie politique ?

Le Président voulait faire de la révolution de la vie politique l’une des caractéristiques de sa campagne. Cinq ans plus tard, je m’interroge encore… Qu’est-ce qui a été fait concrètement ? Rien. Au final, ce qu’il considère comme sa plus grande contribution à l’Institution, c’est sa propre élection. Avec lui, l’Assemblée nationale a été rajeunie certes, mais n’a jamais compté autant de délégués…

Au vu des recommandations faites, les résultats semblent anodins. Certes, les grandes lois de moralisation de la vie publique se sont en partie réalisées. Les activités consultatives des Députés sont désormais strictement réglementées, ils ne peuvent plus employer de membres de leur famille et le régime spécial de retraite a disparu.

Il n’y a toujours pas de véritable débat sur le bilan économique d’Emmanuel Macron alors que le monde des médias reste coincé vers la fin du coronavirus. C’est dommage car une campagne présidentielle est l’un de ces rares moments où l’on est autorisé à faire cela. Voici quelques faits que chaque Français devrait connaître avant de voter…

Jean Thannberger, au cours d’un Jury avec la Députée Florence Provendier

Des chiffres à méditer…

Il est facile de voir que nous assistons à un grand nombre de décrochages scolaires en France et pas seulement à cause du Covid-19. Si les réformes promises par Emmanuel Macron avaient vraiment été mises en œuvre, la France aurait été sans doute en meilleure position pour affronter la crise. Comme ce n’est pas le cas, il est difficile pour les électeurs de comprendre que le pays ne peut pas vivre éternellement au-dessus de ses moyens. Surtout après l’avoir endettée de plus de 700 milliards supplémentaires.

En 2021, les dépenses publiques ont représenté plus de 60 % du PIB. Les projets d’Emmanuel Macron prévoient toujours de réformer les retraites, les politiques du logement ou de réduire le nombre de fonctionnaires. Avant la crise du Covid-19, il aurait dû faire autant de changements au début de son quinquennat. Cela n’a pas été et le déficit public a atteint plus de 9 % du PIB en 2020, après 3,1 % en 2019. Les dépenses publiques sont entrées dans une dérive incontrôlée. En cinq mois, le Président de la
République et le Premier ministre ont engagé une augmentation des dépenses de pas moins de 70 milliards d’euros. Les finances publiques sont dans un état désastreux alors que le déficit budgétaire de l’État atteint un niveau sans précédent de 178 milliards d’euros.

La France occupe la première place des dépenses publiques, passant de 659 milliards d’euros en 2012 à 800 milliards d’euros en 2021. Cherchez l’erreur ! Il faut dire que la France conjugue difficultés de création d’emplois, augmentation de la fiscalité et creusement des déficits alors qu’il devient nécessaire de financer la redistribution vers de plus en plus d’individus sans augmentation de la population active occupée.

Le déséquilibre de la balance commerciale française (- 82 milliards d’euros) est préoccupant, l’Allemagne affichant un excédent de plus de 183 milliards d’euros. Même l’Italie a un excédent de 63,6 milliards d’euros ! Cela signifie simplement que les produits français ne se vendent pas bien dans l’ensemble, car ils deviennent de moins en moins compétitifs.

Et cela concerne bien évidemment les PME françaises. Les parents pauvres de notre économie. Et ce qui fait rêver nos élites, ce sont les grands Groupes, les grands patrons comme on dit. Les fréquenter, les financer. La PME ça ne fait pas « chic ». Du coup plus rien n’est prévu pour l’aider dans son développement. Des PGE ? Les chefs d’Entreprises ne veulent pas s’endetter, ils le sont déjà suffisamment par ailleurs. Ils cherchent, toujours et encore les moyens de financer leur croissance et leurs emplois tout en conservant le contrôle de leur destin.

Or, la France a même réussi à perdre sa souveraineté boursière et sa capacité à avoir une Bourse capable de s’adapter au besoin de son environnement économique. Effectivement, supprimer les Bourses régionales avait été une première erreur, privatiser la Bourse de Paris (sous pavillon étranger) était la dernière. Et aujourd’hui, à part quelques initiatives dans le monde des cryto-monnaies, rien ou presque n’est vraiment prévu pour les TPE et les PME. Le monde est devenu bancaire et donc, si financement il doit y avoir, il doit être bancaire ou pas.

Contrairement aux idées reçues, la France importe plus de l’Allemagne (85 milliards d’euros) que de la Chine (51 milliards d’euros), qui détient encore environ 250 milliards d’euros de dette française. Ce déficit est un baromètre du manque de compétitivité et de désindustrialisation de la France.

En France, chaque enfant naît endetté ! Bien que sa vie ne fasse que commencer, chaque Français doit déjà plus de 40 000 euros (3000 milliards / 67,4 millions) à la société, alors que notre dette publique approche rapidement les 3 000 milliards d’euros. Aucun autre pays de la zone euro n’a autant augmenté sa dette : comme je le précisais plus haut, Emmanuel Macron a augmenté la dette de la France de 700 milliards d’euros, qui s’élève actuellement à 115 % du PIB. Désormais, la dette menace notre démocratie, car ceux qui ne peuvent pas payer leurs dettes perdent leur liberté d’autodétermination. Lorsque l’inflation reprendra, accompagnée d’une hausse des taux d’intérêt, cela augmentera le poids de la dette, qui deviendra alors insoutenable. Le « tout ce qu’il faut » d’Emmanuel Macron pourrait coûter très cher. On doit emprunter 1 milliard d’euros par jour pour payer les intérêts de la dette existante. Il s’agit de la quatrième dépense du budget global. Ces chiffres sont étourdissants pour un esprit normal.

Depuis 2012, les charges fiscales et sociales françaises maintiennent un record misérable en Europe. Le taux d’imposition total moyen des entreprises françaises est supérieur à 60 % des bénéfices des entreprises. C’est 20 points de plus que la moyenne européenne ! A chaque fois que le Gouvernement communique sur l’attractivité de l’écosystème français, ces chiffres ne sont pas évoqués. Dans le même temps, comme l’État finance ses dépenses par la dette, cela signifie que les impôts sur les sociétés seront plus lourds s’ils ne sont pas modifiés. Comment peut-t-on créer et développer dans des conditions pareilles ?

En fait, la France est le pays le moins libéral, le plus social et le plus difficile à changer d’Europe. Le centralisme est un héritage de la Monarchie et du Colbertisme. Le statut de l’État vient des Révolutions et des Empires. Les lois sociales de l’ingérence et de la coercition de l’État sont, quant à elles, les enfants de la Troisième République…

Jean Thannberger
Président d’Axe Capital