Depuis deux décennies, la question des retraites occupe régulièrement le devant de la scène publique… Quelles réformes de fond, seraient, selon vous, à entreprendre ?

Je viens tout juste de sortir de la Commission pour les EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes). Je peux vous dire que je connais ces structures en tant que médecin, car j’étais en train d’effectuer des visites il y a encore quelques mois… Aujourd’hui, les EHPAD sont clairement devenus des établissements de fin de vie, où l’espérance de vie ne dépasse pas 2 ans. Le problème est qu’on maintient les personnes âgées à domicile le plus longtemps possible avec beaucoup de moyens, de médecins, des infirmières et du personnel. Les personnes vont donc à l’EHPAD de plus en plus tardivement, quand il n’y a vraiment plus de possibilité pour les garder à domicile.
D’où la vraie nécessité de créer une structure intermédiaire, moins médicalisée et plus conviviale pour les personnes qui quittent l’hôpital et ne peuvent pas encore rentrer chez elles, car n’étant que peu dépendantes, par exemple. Ces structures doivent aussi exister dans les petits villages afin que les gens puissent rester dans un environnement qui leur soit familier. Certes, si actuellement, les familles d’accueil et les partenariats existent, ils doivent, incontestablement, être davantage développés.

Il y a en France un double problème : celui des déserts médicaux et celui d’une organisation inadéquate de l’offre médicale. Les médecins ne se déplacent plus, les personnes âgées ne peuvent, souvent, plus sortir de chez elles pour visiter un praticien et on les renvoie de plus en plus rapidement au domicile pour libérer des places dans les hôpitaux. Que faire ?

En effet, le premier problème est celui de la disponibilité et de l’accès au médecin. Là-dessus, j’ai une proposition : je trouve qu’une infirmière, dans certains cas, pourrait prendre davantage de responsabilités. Il y a déjà des formations plus poussées qui existent. Attention : l’infirmière ne peut pas faire le diagnostic et prescrire un médicament. Mais en tant que médecin, j’ai un certain nombre d’infirmières avec qui je travaille et qui ont mon numéro de portable. Elles peuvent donc, sans problème, m’envoyer une photo du patient en expliquant ce qui ne va pas et me demander conseil. Ce n’est pas de la télé-médecine, puisqu’à l’autre bout du fil, j’ai quelqu’un qui est compétent, qui a une formation médicale et à qui je fais confiance.

Le deuxième point concerne l’accueil temporaire démédicalisé. Il faut envisager des structures où l’on peut placer des personnes qui ne peuvent pas rentrer à domicile et qui ont besoin de quelqu’un qui puisse les aider, mais qui n’est pas forcément une aide-soignante.

Justement, la question des aidants est-elle, aujourd’hui suffisamment prise en compte ?

Très clairement non. Il faut évidemment renforcer le nombre d’aides-soignants dans les structures, mais aussi le soutien et la valorisation de ce qu’ils font, de leur travail, de leur formation du point de vue de l’évolution de carrière et de la rémunération.

Quelle est la situation de la France sur les retraites, en comparaison avec ses voisins européens ?

C’est très variable… Du point de vue des statistiques, le Danemark utilise 3% de son PIB à la prise en charge des ainés, tandis que nous sommes à 1% seulement. Aussi, l’accès aux structures privées au Danemark n’existe pas, car ils considèrent que l’on ne doit pas faire de l’argent sur le vieillissement de la population. Après, dans les pays du sud, ce n’est pas la même vision.
La prise en charge doit-elle être lucrative ou pas pour les établissements ? C’est une vraie question, en effet…

Vous êtes médecin… Quel diagnostic faites-vous de la situation socio-médicale de notre pays ?

Je trouve qu’en France, le système fonctionne quand-même assez bien. Nous avons un accès aux soins qui reste confortable, avec un coût de prise en charge très modéré. En revanche, il y a un virage numérique que nous avons besoin d’adopter davantage. Par exemple, le vrai problème aujourd’hui, c’est qu’on est absolument incapable d’avoir un dossier médical partagé ! Vous avez votre médecin, il a votre traitement, mais si vous allez aux urgences, personne n’est au courant ! Vous ne pouvez pas faire transmettre votre dossier. Il faut donc, vous l’aurez compris, créer un dossier médical partagé où tous les acteurs, non seulement les médecins, mais aussi les infirmiers et les pharmaciens ajoutent des informations. C’est clairement l’avenir !

La deuxième chose concerne la télémédecine. Cependant, quand je vois les cabines où l’on peut faire un diagnostic, je reste malgré tout très prudent. La télémédecine ne peut pas travailler à la place du médecin, mais le médecin peut être plus efficace grâce à la télémédecine.

Vous vous occupez seulement du domaine médical ? En dehors de cela, qu’est-ce qui vous tient à cœur ?

Oui, en effet. Aujourd’hui, nous avons 36 000 petites communes en France. Certes, si cela ne manque pas de charme, j’aimerais toutefois que l’on arrive à les regrouper…

Le 1er février, vos remarques ont fait polémique lorsque vous avez refusé de reconnaître le burn-out en tant que maladie professionnelle… Pourriez-vous expliquer votre point de vue ?

Cela a créé la polémique, car Jean-Luc Mélenchon a été particulièrement sensible à ces paroles… Mais le but était de faire comprendre qu’en tant que médecin, je refuse catégoriquement de mettre mes confrères et consœurs dans une situation où ils seront obligés de devenir des juges. Le syndrome d’épuisement professionnel signifie que la personne se trouve à bout de forces, parce qu’elle s’est beaucoup investie dans son travail. Mais les causes et les effets sont très difficiles à distinguer. La personne se trouve-t-elle épuisée et dépressive à cause de son emploi ou bien à cause des problèmes personnels auxquels se rajoute le travail ? Le burn-out étant lié au travail, dans l’esprit commun des gens, c’est une maladie professionnelle.
Et, dans l’esprit du législateur et de la France Insoumise, cela veut dire que le patron est fautif. Qui doit, alors, prendre en charge le traitement, l’arrêt de travail, etc ? Aujourd’hui, on n’a pas de critères clairs pour trancher. Si, de fait, le patron et fautif, alors, oui, c’est grave. Mais si c’est la compagne qui l’a quitté ou son petit qui ne réussit pas à l’école, cela se répercutera, à tort, sur l’employeur. Dans ce cas, vous en conviendrez, ce n’est pas normal… Il y a donc eu un rejet de la proposition.

Comment vous êtes vous engagé en politique ?

Pendant 10 ans, j’ai milité, mais quand j’ai repris le cabinet de mon père, le temps me manquait… Ensuite, le Mouvement En Marche s’est créé. J’ai été l’un des premiers à adhérer. C’était jeune, dynamique et il y avait de bonnes idées. Et puis, les élections présidentielles sont arrivées…
Du coup, je me suis engagé, j’ai distribué les programmes, j’allais aux réunions et j’ai commencé à me poser la question de savoir si j’allais postuler. Mon CV et ma lettre de motivation sont restés très longtemps sur mon bureau… Ce n’était pas évident. Le tournant était difficile à prendre. J’ai hésité à cause de mes patients. Mais je l’ai fait. Tout est passé si vite ! J’ai été élu. Maintenant, je m’adapte !

Julien Borowczyk

Député de la Loire
Secrétaire de la Commission des Affaires sociales
Président du Groupe d’ études Santé et numérique