Lettre ouverte à Mesdames et Messieurs les Parlementaires

Nous sommes 9 soignantes : Nadège, Anaïs, Amélie, Dinah, Christelle, Samia, Anne-Gaëlle, Claire et Siham…

Nous sommes des infirmières, des aide-soignantes et des aides médico-psychologiques qui avons décidé de porter un combat pour la dignité.

Nous avons lutté pour cela pendant 133 jours, la plus longue grève de l’histoire du Val d’Oise, qui a débuté le 3 janvier 2022… Soit quinze jours avant les révélations du livre « les fossoyeurs », dont nous n’avions d’ailleurs aucune connaissance.

Aussi, nous voulions tenter de regagner notre dignité de professionnelle de la santé, mais plus largement, de protéger la dignité de nos résidents, des personnes âgées, vulnérables, que nous accueillons dans ce qui est, le plus souvent, leur dernière maison.

Or, cette dignité, dans un monde où tout est soumis à la rentabilité, n’était plus assurée. Cela, nous avons précisément décidé de ne plus l’accepter, par respect pour nos aînés.

Chaque jour, notre rôle a été durant toutes ces années (entre 7 et 14 ans selon l’ancienneté) d’accompagner nos plus anciens par des soins d’hygiènes, paramédicaux, d’animations, de soutien psychologique…

Nous avons toutes choisi notre métier et nous l’aimons, même si provisoirement, nous ne l’exerçons plus, faute de perte de sens.

Notre établissement est un luxueux EHPAD à but lucratif « le Château de Neuville ». Il se situe dans une ville cossue de la région parisienne, Neuville-sur-Oise. On y retrouve derrière ses murs imposants et ses dorures, la triste réalité de la prise en charge du grand-âge dans ce type de structure en France.

Il est ici question de sous-effectif chronique, de manque de matériel, de coûts artificiellement rationalisés dans tous les domaines, mais aussi de management brutal et toxique, de liberté avec le code du travail et même, osons le mot, de… maltraitance institutionnelle !

Nous avons toujours eu à cœur d’accompagner nos résidents, leurs familles et ce malgré les injonctions paradoxales d’une Direction présentant son Château comme un établissement haut-de-gamme, tout en étant incapable d’assurer l’accompagnement de base auquel chacun aurait dû avoir droit, notamment sur le plan médical, humain ou de sécurité.

A tout cela, il convient d’ajouter la violence psychologique qui était exercée en permanence sur nous.

Le 3 janvier 2022 à 7h dans un froid intense, nous avons décidé de ne plus accepter l’inacceptable et de sortir nous installer sur le trottoir pour montrer notre détermination à faire changer les choses !

Nous y sommes restées 133 jours ! Dans le froid, le vent, sous la pluie ou en pleine chaleur… Des mois de combat où nous avons tenté de tirer tous les leviers pour nous faire entendre.

La sortie du livre Les fossoyeursa été une caisse de résonance inattendue qui nous a rappelé que nous n’étions pas seules, que le problème était bien plus répandu que nous ne pouvions l’imaginer et qu’un Groupe comme le nôtre avait des méthodes aussi répréhensibles que celles, indignes, évoquées par Victor Castanet.

Durant toute notre lutte, les Services de l’Etat (de l’Inspection du travail Val d’Oise, à l’ARS IDF, en passant par le Ministère de l’Intérieur) ont tenté de trouver des issues à cette crise. Nous en profitons pour les remercier. Mais c’était sans compter sur le sentiment d’impunité de notre employeur.

Notre lutte, tout comme l’enquête de Victor Castanet, a mis en lumière les défauts de contrôle de ce type d’établissement qui prospère avec de l’argent public. Cette problématique est systémique et ne pourra être refondue sans une volonté sans faille de nos politiques.

Quelle est donc cette société qui tourne le dos à ses anciens, à ses invisibles et qui continuent à se regarder dans un miroir ?

Nous avons frappé à tous les étages de l’Etat, nous avons fait appel au contre-pouvoir qu’est la presse. Mais… rien n’a été assez fort pour faire changer les choses !

Nous avons, cependant, trouvé un réel soutien émanant d’Eric Coquerel (qui n’était pas encore le Président de la Commission des Finances) ou de Paul Vannier, mais aussi du Secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez.

L’issue de notre mouvement a, toutefois, pris une tournure inattendue lors du passage du Président de la République, Emmanuel Macron, au marché de Saint-Christophe, le 27 avril. En effet, l’une d’entre nous l’a interpellé directement pour lui faire part de notre désarroi.

Le Préfet du Val d’Oise M. Court a alors pris l’affaire en main de manière efficace en devenant notre médiateur. Nous avons pu sortir de cet enfer par le biais de ruptures conventionnelles, au minima légal, non sans avoir mis en lumière les pratiques de cet établissement. 

Il a, depuis, subi les contrôles de l’ARS-IDF, dont nous sommes en attente des conclusions…

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, qu’attendons-nous pour faire un vrai plan en faveur des plus anciens, dépendants, en favorisant en tout premier lieu leur maintien à domicile ? 

Qu’attendons nous pour contrôler de manière plus efficace les EHPAD ? 

Qu’attendons nous pour que des établissements, à l’image de celui-ci, soient condamnés à suivre la loi ?

Derrière nos personnes âgées en souffrance, vous trouverez aussi des familles, qui vivent dans leur chair cette violence de la maltraitance institutionnelle.

Quant aux salariés, il est temps de leur redonner les moyens de leurs missions et d’entendre leurs cris d’alarme !

Nous sommes 9 soignantes à vous alerter. 9 soignantes à vous faire part de notre expérience au quotidien. 9 soignantes qui veulent se faire entendre pour dénoncer des pratiques inacceptables…

Vous, nouveaux élus, êtes garants de l’équité de tous. Il est grand temps que vous preniez en main ce type d’affaires. Personne, désormais, ne pourra plus dire qu’il ne savait pas…

Demain, il sera question de vos parents. Après-demain, de vous-même… Pensez-y !