Christian de Portzamparc
Architecte Urbaniste international

Entretien avec l’Architecte Urbaniste international Christian de Portzamparc qui fait le point sur sa vision du quartier de la Défense.

En tant qu’architecte international, quel regard portez- vous sur le quartier de La Défense ?

Construit dans la deuxième moitié du XXème siècle pour Paris, cette belle réalisation n’aurait jamais pu avoir lieu intra-muros sans destruction.

Cependant, la façon dont elle est construite, c’est-à-dire une dalle, avec un spaghetti gigantesque de routes et de parkings, n’est, en tout état de cause, pas la vision que j’aurais souhaité. C’est une époque qui refusait de faire des rues considérées comme des outils du passé, indignes de l’époque industrielle. Ces rues, qui mélangeaient l’habitat, le travail, la Poste, des boutiques, le cinéma, les arbres, les voitures, les cyclistes, les piétons… ressemblaient à celles de Jacques Tati. On faisait des voies rapides, des bretelles qui desservaient les villes nouvelles, mais où il était facile de se tromper de sortie… Il faut bien admettre que le système des rues est toujours universel et qu’il raconte la diversité du monde. J’aime les rues et elles manquent, indéniablement, à La Défense. Mais le geste de fond qui permet de créer un « espace- idée », de construire Paris en dehors de Paris, était assez cohérent avec le modernisme. À l’époque, il y avait plusieurs projets dans les Villes nouvelles qui étaient détachées de la Capitale, même si elles sont désormais rattachées par un tissu urbain.

Concernant Paris La Défense Arena, qu’est-ce qui a constitué, selon-vous, la singularité de votre approche, par rapport aux 27 autres architectes du concours ?

Pour être honnête, je n’ai pas fait une analyse des résultats et je n’ai pas non plus consulté tous les projets. Le concours se déroulait en deux phases… Au départ, je n’avais pas envie d’un nouveau concours, toujours contraignant, mais lorsque j’ai rencontré Jacky Lorenzetti, je dois avouer qu’il m’a convaincu, car lui-même prenait un risque avec ce projet. Nous avons même évoqué sa passion pour le vin, le bateau – pour la petite histoire, il avait soutenu le navigateur Desjoyeux. Pour revenir à notre projet, sa spécificité reposait sur le fait, qu’il dessinait une entrée importante du stade sur la grande avenue, alors que pour un stade, il faut habituellement des entrées et des sorties tout autour.

Quelle a été la ligne directrice du plan de conception de Paris La Défense Arena qui, aujourd’hui, regroupe à la fois des bureaux, une salle de spectacle et un terrain de sport ?

Je ne voulais pas donner l’Impression d’une « chose » énorme, plus forte que les habitats. In fine, je pense que le bâtiment possède une douceur horizontale et, à l’intérieur, telle une surprise, il est plus grand que ce qu’il ne paraît. Initialement, nous avions travaillé sur l’idée d’un stade spécifiquement dédié au rugby, avec une distance maximum des spectateurs et la meilleure visibilité possible. Au départ, il était même prévu un toit ouvrant. Jacky Lorezetti avait obtenu de la Fédération Internationale de Rugby que l’on puisse jouer avec un plafond d’au moins 40 mètres de haut ! En effet, le toit ouvrant a été supprimé car, à lui seul, il coûtait dans les 20 millions d’euros et il fallait, obligatoirement, faire des arbitrages. son argent, n’ayant au départ aucun acheteur et quel défi ! Il a véritablement pris des risques, qu’une ville ne pourrait plus prendre aujourd’hui. C’est un projet éminemment public, pris par un homme seul. Petit à petit, il a intégré l’idée que le stade devienne aussi une salle de spectacle, car le rugby, seul, n’aurait pas été rentable. Le nombre de spectateurs dépassait largement Bercy. Elle reste, sans aucun doute, l’une des plus grandes salles couvertes d’Europe. Puis, la décision de Patrick Devedjian de déménager les 60 000 m2 de bureaux du Conseil régional a permis de débloquer des fonds. Il a pressenti que c’était un équipement qui apporterait une vie bouillonnante à cette partie de La Défense, qui s’inscrit hors de la première dalle, dans le prolongement vers Nanterre. Sans Patrick Devedjian, le chantier n’aurait pas pu aboutir.

À quelles contraintes avez-vous été confronté en particulier, au cours des trois années de ce chantier ?

Tout grand projet a ses contraintes. D’ordre acoustique, notamment pour l’Arena, par la présence des bureaux à côté du stade. A titre d’exemple, les répétitions des Rolling Stones dans l’enceinte ne doivent pas gêner les employés dans les bureaux. Les sons se transmettent par les dalles, les vibrations et nécessitent des constructions spéciales pour les empêcher de tout envahir ! De même, le toit, de 120 mètres à 40 mètres de haut, a nécessité une charpente très importante. Des soudures mal-faites ont entraîné un arrêt temporaire du chantier. Il y a donc eu des moments difficiles pour l’entreprise, pour nous, pour Vinci, pour Razzetti

En quoi Paris La Défense Arena est-elle une réalisation emblématique ?

La douceur de cette toiture se lit la structure en béton – réalisée par le collier en métal de verre et aluminium – comme un puissant mouvement de vague. Celui-ci permet de faire entrer la lumière du jour dans les étages où se trouvent le public, les buvettes, les vestiaires, qui communiquent avec les balcons de la salle. Les écailles apportent une présence singulière. Je les ai pensées comme un élément à même de déployer toutes les variations de la lumière et de conjuguer différentes couleurs, la nuit, selon les spectacles. De jour, ces écailles renvoient les lumières du ciel. Ce collier est conçu de coques de verre et de métal avec plusieurs sérigraphies. Cette partie n’a pas connu de difficultés particulières, ce qui n’était pourtant pas évident au départ !

Comment définiriez-vous la signature Christian de Portzamparc ? Quel architecte-urbaniste êtes-vous ?

A dire vrai, j’ai eu des signatures différentes selon les époques… Dans les années 70-80, j’avais une signature assez simple, liée à la géométrie : j’apprenais à construire, je m’intéressais à la simplicité, à l’espace intérieur, mais aussi à l’extérieur : une place, une rue qui renvoyaient la lumière. Peu à peu, je suis entré dans des projets plus subtils, liés à la matière, à travers des projets pour de grandes Institutions comme le Conservatoire à la Villette de 2 000 places ou à travers des programmes offrant des volumes et des salles différentes, dans lesquels j’ai introduit d’autres matériaux.

J’ai obtenu une très grande variété de chantiers à traiter dans des villes d’envergure internationales, à l’image de New-York, Tokyo, Shanghai, Pékin, Hambourg, Berlin, Luxembourg, etc. Dans tous les cas, je m’intéresse toujours beaucoup à la nature du lieu et à ce que le projet peut lui apporter avec l’analyse qui en découle. Je veille, à la fois, à ce que l’architecture se nourrisse d’un lieu et nourrisse le lieu en lui-même, l’un étant le prolongement naturel de l’autre et vice-versa…

Certains bâtiments sont en verre, comme à New-York ; en béton, comme à Rio; en aluminium et métal au Luxembourg… D’autres sont purs et simples, comme le long ruban de toiture qui relie deux édifices au bord du Lac de Suzhou. D’autres, encore, sont plus composés, plus sophistiqués. À Berlin, pour l’Ambassade de France, ce fut un anneau, tout en jardins intérieurs, qui s’intègre dans l’urbanisme du quartier… Si vous feuilletez les images, des attentions communes se retrouvent, une certaine façon de jouer avec les prismes ou les courbes, de ne pas être simplement dans un cube ou un parallélépipède. L’époque actuelle est très différente de celle de mes débuts : le mouvement moderne prévoyait que l’on pouvait faire un programme idéal, universel et l’implanter partout, de Buenos Aires à Götteborg. En réalité, nous avons vécu exactement le contraire… Dès lors qu’il y a plusieurs architectes, plusieurs écritures apparaissent, ce qui peut d’ailleurs s’avérer compliqué pour les urbanistes, sans quoi, on arriverait à une sorte de « zoo », ce qui n’est pas non plus souhaitable, car nous avons besoin de villes homogènes. À titre d’exemple, j’ai travaillé sur le quartier Massena, à Paris, avec l’idée que chaque architecte pouvait avoir sa pleine liberté et que les projets ainsi assemblés apporteraient, ensemble, une saveur, une harmonie… C’est précisément ce que nous cherchons actuellement avec Élizabeth de Portzamparc. Nous travaillons dans des ateliers distincts, mais nous nous rejoignons aussi parfois.

Comment imaginez-vous la ville du futur ?

Nous devons nous diriger vers des projets qui ne sont pas dépendants des énergies fossiles, du pétrole, du charbon. C’est l’un des grands enjeux auxquels doivent faire face architectes et ingénieurs. Nous travaillons avec du bois, de la terre, du béton de terre. Ces nouveaux matériaux nécessitent que l’on remette véritablement en question les techniques et les projets…

La ville de demain sera plus apaisée, mais certainement pas avec des pavillons. Nous avons besoin d’une relative proximité, de densité face à un immense problème de transports. La ville nécessite en effet des îlots ouverts, avec plusieurs architectures et bâtiments, mais pas de cours fermées et des rues qui laissent, aussi, voir les jardins privés. On peut jouer sur les hauteurs et apporter de la lumière. La densification reste le meilleur moyen de ne pas étaler les villes, sinon nous détruisons des mètres carrés que nous prenons sur la campagne. Élisabeth a écrit un article au début du confinement qui nous révèle notre besoin de ville. Certains n’ont pas de balcons, d’où la nécessité de sortir dans le quartier.

Dès que l’on pense quartier, on pense « difficile », mais le quartier est central pour la vie des gens. La question de l’urbanisme, des bâtiments, des rues et des arbres s’inscrit au coeur de cet enjeu. Souvent, il faut aussi « réparer » certains endroits, même dans Paris. Rue Nationale, par exemple, sur deux très grandes barres et trois petites, j’ai détruit l’une d’entre elles, afin d’apporter, à tous les appartements, des balcons plus grands de 2,20 m pour laisser entrer le soleil et offrir des halls spacieux. Tout cela pour dire qu’il est aussi, parfois, important de revenir sur ce qui a été fait, pour le transformer en îlots plus agréables.

Quels sont les projets que vous développez avec vos équipes ?

Avec Élizabeth, nous totalisons une centaine de collaborateurs, chacun ayant son équipe. Certains sont à nos côtés depuis longtemps, d’autres sont plus jeunes, même si le confinement a, bien sûr, ralenti les choses, avec une équipe écartelée. Aussi, le chantier pour la Sorbonne nouvelle, la partie de Censier – Lettres et Histoire – qui va déménager rue de Picpus, demeure un peu bloqué…

Nous avons inauguré l’extension du Conservatoire de Shanghai (comprenant une salle l’Opéra de 1300 places) et nous sommes actuellement sur le chantier du futur Centre Culturel de Suzhou qui devrait être livré en 2021.

Enfin, le Grand Théâtre de Casablanca vient de s’achever. Je suis heureux de découvrir la transformation de cette place emblématique de la ville. C’est toujours réjouissant de voir se concrétiser de si longues années de travail…

Propos recueillis par Patricia de Figueirédo