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« Nous allons achever ou résoudre de manière différente les dossiers entamés par la France »

Alexandr Vondra, Vice Premier ministre pour les Affaires européennes, Sénateur pour les régions de Litomerice et de Slaný

Alors que l’Irlande a rejeté le traité de Lisbonne, le Président Vaclav Klauss a affirmé que « la Constitution était un projet erroné »… Comment sortir de cette impasse et quelle est votre conception de l’Europe ?

Tout d’abord, il est erroné de confondre la Constitution et le Traité de Lisbonne. Ce sont deux documents distincts, le Traité de Lisbonne étant le résultat de deux années de négociations après que la Constitution a été rejetée par les référendums en France et aux Pays-Bas en 2005. L’Union européenne se trouve actuellement dans une situation difficile en raison du « non » irlandais. Cette crise est désagréable, mais en prenant du recul, on peut dire qu’elle offre aussi une occasion de réfléchir. Il est important de comprendre les raisons du refus du Traité de Lisbonne en Irlande. Les analyses montrent qu’il y avait deux raisons principales : d’une part, le sentiment d’éloignement des Irlandais vis-à-vis de l’Europe, c’est-à-dire une communication insuffisante ; et d’autre part, un sentiment de perte de contrôle sur l’évolution de l’UE. À l’heure actuelle, il est crucial de ne pas prendre de décisions hâtives. Les sondages d’opinion publique en Irlande indiquent qu’aujourd’hui, à l’automne 2008, le « non » serait exprimé avec encore plus de force qu’en juin 2008. Cela serait probablement fatal au Traité de Lisbonne, qui stipule que son entrée en vigueur ne se fera que si tous les pays membres le ratifient. Selon moi, il faut maintenant donner du temps aux Irlandais. La moindre pression pourrait conduire l’Union dans une impasse. Et cela, même si les élections au Parlement européen en juin 2009 se déroulent selon les règles du Traité de Nice et que la nouvelle Commission est formée selon ces mêmes règles.

Vous qui avez en charge la préparation de la Présidence tchèque qu’attendez-vous de la Présidence française ? Quels sont vos projets et comment vous situez-vous au sein de la Troïka France – Tchéquie – Suède ?

Pour la Présidence européenne, la France est un matador expérimenté : elle en a exercé douze depuis cinquante ans. Malgré cela, ce n’est pas facile pour elle. Le référendum irlandais a rendu la tâche de la Présidence française très ardue. La France était et est toujours l’un des principaux défenseurs du Traité de Lisbonne. Dans plusieurs domaines, nos présidences sont liées : nous allons achever ou résoudre de manière différente les dossiers entamés par la France. Mais, dès à présent, nous savons clairement ce qui nous attend dans beaucoup de domaines, grâce au programme sur 18 mois décidé à Prague en mai 2008.

Que représente le Groupe de Visegrád (Pologne-Hongrie-Tchéquie-Slovaquie) au sein de l’Europe ? Et comment avez-vous perçu le projet d’Union pour la Méditerranée de Nicolas Sarkozy ?

Le Groupe de Visegrád est une importante zone d’échange d’opinions et d’expériences entre quatre pays qui sont liés non seulement par leur position au centre de l’Europe, mais aussi par leur histoire commune et leurs ambitions pour l’avenir. Tous ces pays ont une position stable au sein de l’Union européenne, mais également de l’OTAN ; il ne serait donc pas pertinent de les comparer avec le projet d’Union pour la Méditerranée. Je vois le projet de Nicolas Sarkozy avant tout comme une initiative originale qui permet de concrétiser les priorités et les ambitions françaises. Il est arrivé au bon moment, car on a constaté que le Processus de Barcelone n’avait plus le dynamisme nécessaire. J’espère que le projet d’Union pour la Méditerranée rencontrera plus de succès. Les relations avec nos voisins sont importantes, tant au sud qu’à l’est. Pour la République tchèque, les relations avec les pays voisins sont une priorité évidente.

Parmi les 4 priorités que la France a fixé pour l’UE – Politique énergétique et lutte contre le réchauffement climatique, lutte contre l’immigration clandestine et développement solidaire, Europe de la Défense et de la Recherche, Réforme de la Politique Agricole Commune – lesquelles allez-vous soutenir et pourquoi ?

La majorité de ces thèmes nous intéressent déjà et continueront à nous intéresser. La politique énergétique sera certainement notre priorité numéro un. La situation en Géorgie a donné aux aspects énergétiques une nouvelle dimension. Nous devrons aussi nous occuper du Pacte Énergie-Climat, vraisemblablement déjà dans sa phase d’implantation. Au cours des négociations, la République tchèque s’est prononcée plusieurs fois en faveur d’une approche rationnelle pour la prise de décision concernant cette problématique complexe.

Nous l’envisageons comme un triangle isocèle dont les sommets représentent la sécurité, la protection de l’environnement et du climat, et la compétitivité. L’économie tchèque sera très affectée par le Pacte : la mixité énergétique va très certainement basculer en faveur du gaz, ce qui constitue un changement stratégique essentiel. C’est également pour cela que nous avons tenté d’imposer que ces trois aspects de la problématique soient traités de manière égalitaire. Nous estimons que les thèmes de recherche et de réforme de la politique agricole sont des sujets très importants et nous nous en occuperons aussi pendant notre présidence. Nous nous demandons quelles mesures nous pourrons réellement appliquer, car, par exemple, en ce qui concerne le budget, la République tchèque et la Suède sont contraintes d’attendre la publication du Livre Blanc sur le budget de la Commission européenne.

Condoleezza Rice a signé le 8 juillet l’accord pour l’installation d’un radar antimissile américain sur le sol tchèque. Les traités doivent encore être approuvés par votre Parlement, mais pensez-vous que l’élection américaine a changé la donne ? Ces radars sont-ils réellement nécessaires, et quels sont vos rapports avec la Russie ?

Nous considérons la Russie comme un partenaire clé de l’Union. Son ouverture croissante doit motiver l’Europe à adopter une position unanime. L’hétérogénéité des attitudes des pays membres affaiblit l’UE dans son unité et ne contribue pas à inspirer le respect de la part de la Russie.

D’autre part, la défense antimissile relève de la compétence de l’OTAN ; nous ne parlons donc pas ici des relations institutionnelles entre la seule République tchèque et la Russie.

La Russie respecte l’OTAN — comment expliquer autrement son désaccord quant à l’emplacement des parties du bouclier antimissile en Europe centrale ?

Même si le bouclier n’est pas dirigé contre la Russie, la situation en Géorgie a quelque peu modifié sa conception dans ce sens. De plus, cet été, des photos de missiles iraniens lancés dans le désert dans le cadre d’un exercice militaire ont fait le tour du monde.

Quelle meilleure preuve apporter à ceux qui doutent encore de la raison d’être de la défense antimissile ? Je ne sais vraiment pas.

Ce radar fait partie du bouclier antimissile qui protègera l’Europe et les États-Unis. Les Américains nous proposent ce bouclier gratuitement, car ils sont conscients de la nécessité d’avoir un allié bien protégé. Dans ce but, les ex-candidats démocrates comme républicains tenaient à la construction du pilier européen de la défense antimissile.

Propos recueillis par
Olivier de Tilière