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Quelle Europe voulons-nous ?

Par Antonio Tajani, Président du Parlement européen.

Antonio Tajani, Président du Parlement européen.
La lenteur avec laquelle l’Europe a réagi aux défis posés par la crise migratoire et le délai avant de proposer des réponses concrètes ont laissé à nos concitoyens l’impression que la politique européenne est incapable de maîtriser ce phénomène. Bien que ce ne soit qu’une impression, nous devons la prendre au sérieux.

Certains ont utilisé cette situation pour alimenter les peurs des citoyens et développer un discours anti-européen efficace dans de nombreux pays de l’Union. La perception du « péril migratoire » reste prédominante parmi les préoccupations politiques des États membres. Toutefois, une analyse factuelle nous oblige à reconnaître que l’Union européenne a mis en œuvre des solutions efficaces, bien que temporaires.

Les flux migratoires via la route des Balkans ont été considérablement réduits depuis l’accord avec la Turquie. Grâce à la coopération de l’Union avec le Niger et à l’utilisation des fonds européens, le nombre de migrants irréguliers en direction de la Libye et de l’Europe a chuté de 300 000 en 2016 à un peu plus de 10 000. Les arrivées sur les côtes italiennes ont diminué de 80 %, et ce chiffre atteint 95 % à l’échelle de l’Union européenne. Toutefois, le problème des demandeurs d’asile déjà présents sur le sol européen reste entier. Nous devons communiquer clairement ces informations aux citoyens pour contrer la propagande de ceux qui prétendent que l’Europe reste inactive. Il est essentiel de souligner que la réduction des flux migratoires est une conséquence directe des actions de l’Union et de l’engagement de moyens communs. Cependant, nous devons rester conscients de la fragilité de ces accords, qui sont de nature à court terme.

Il est urgent de mobiliser davantage de moyens financiers. Nous devons augmenter considérablement le fonds fiduciaire pour l’Afrique, ajoutant trois milliards d’euros aux trois milliards déjà investis, comme nous l’avons fait pour la route des Balkans. Sans ces fonds supplémentaires, nous ne pourrons pas continuer à coopérer efficacement avec les pays clés du Sahel, de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique du Nord.

De plus, il est essentiel de disposer d’au moins 40 milliards d’euros pour un plan Marshall visant à mobiliser 400 à 500 milliards d’euros d’investissements pour offrir des débouchés aux Africains dans leurs propres pays et faciliter les accords de rapatriement. C’est une nécessité absolue. Comme je l’ai déjà mentionné, une stratégie à long terme doit inclure une action commune en Libye, où l’absence de contrôle territorial par les autorités alimente les flux migratoires incontrôlés et contribue au terreau du terrorisme et du trafic d’armes et de stupéfiants. L’insécurité et l’instabilité qui en résultent ont des conséquences dévastatrices pour la région, pour les pays de la Méditerranée, et finalement pour toute l’Union européenne.

La discorde européenne donne libre cours à la Russie, à l’Égypte, aux Émirats arabes unis et à d’autres pays qui cherchent à promouvoir leurs intérêts. Il est temps que l’Union européenne parle d’une seule voix et soutienne fermement le processus politique de réconciliation et de construction d’un État démocratique en Libye sous l’égide des Nations unies.

Concernant la réforme du régime européen d’asile, il est clair que nous ne pourrons pas résoudre durablement le problème migratoire sans une répartition plus équitable des responsabilités entre tous les États membres. De nombreux citoyens, notamment dans le sud de l’Europe, perçoivent le régime actuel comme injuste, car il oblige le pays de premier accueil à traiter les demandes d’asile et à prendre en charge les demandeurs. Nous devons reconnaître que certains États membres refusent la répartition obligatoire, mais je suis convaincu qu’une Union fondée sur la coopération ne peut échouer sur un enjeu aussi crucial. L’histoire de l’Union montre que la recherche d’un consensus à tout prix est source de paralysie. Nous ne sortirons de l’impasse créée par les vetos réciproques que si nous acceptons une décision prise à la majorité, conformément aux traités.

Antonio Tajani,
Président du Parlement européen