La langue française en déclin ?
Par Boutros Boutros Ghali, Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie.
on, je ne pense pas que la langue française soit en déclin. Au contraire, le nombre de francophones augmente dans le monde. Il y a également une volonté politique de la part des 55 États membres de l’Organisation internationale de la Francophonie de renforcer la langue française, que ce soit comme seconde langue dans certains pays ou comme troisième langue dans d’autres. Cette volonté politique existe, et l’un des objectifs de l’Organisation internationale de la Francophonie est de canaliser cette volonté en faveur du français, non seulement en tant que langue, mais aussi en tant que valeur et concept. Le droit français est à l’origine du droit utilisé dans les pays d’Amérique latine, dans les pays arabes et dans une grande partie des pays africains. C’est un autre élément extrêmement important. Nous avons récemment tenu une réunion des ministres de la Justice et, il y a quelques mois, à Libreville, une rencontre des présidents des cours constitutionnelles. Voici une série d’institutions qui reposent sur les valeurs juridiques du droit français.
Nous sommes pour la diversité culturelle à un moment où cette idée se répand. Nous sommes en faveur de toutes les langues. Nous pensons que toutes les langues s’enrichissent mutuellement et constituent l’un des patrimoines les plus importants de l’humanité. Nous ne voulons pas du tout partir en guerre contre l’anglais, qui est une langue internationale et qui est utilisée aujourd’hui dans les domaines commerciaux. Nous voulons défendre la diversité culturelle ; c’est là notre concept, qui est beaucoup plus large que celui de la défense d’une seule langue. En défendant la langue française, nous défendons aussi la langue espagnole, la langue portugaise et la langue arabe. C’est dans cet esprit que nous venons d’organiser, pour la première fois à Paris, un dialogue des cultures entre les trois espaces linguistiques de la latinité face à la mondialisation. L’enjeu est énorme. Les mutations scientifiques, la globalisation économique, la circulation instantanée de l’information ont précipité les hommes vers un destin commun, à un moment où la menace d’uniformisation est réelle et, pour certains, déjà partiellement réalisée.
Il faut démocratiser la mondialisation avant que la mondialisation ne dénature la démocratie. Mais cela suppose que l’on reconnaisse que la diversité mondiale est une condition préalable pour restaurer un dialogue réel entre les peuples. En d’autres termes, il faut reconnaître que le droit de tout individu de participer à la vie culturelle de sa communauté et le droit de toute activité culturelle à préserver son identité sont des droits fondamentaux inscrits dans la Déclaration des droits de l’Homme, et qu’ils sont garants de la démocratie. La Francophonie a compris très tôt le rôle important qu’elle pouvait jouer, tant au sein de son espace institutionnel que dans les enceintes internationales. C’est toute cette réflexion que la Francophonie a menée avec les pays de langue espagnole et portugaise, afin que le débat soit progressivement élargi à l’ensemble des membres de la communauté internationale.Boutros Boutros Ghali,
Secrétaire général de l’Organisation
internationale de la Francophonie