Vous êtes ici Le Journal du Parlement > Christian Poncelet

Le Sénat : Une chance pour la Démocratie

Par Christian Poncelet, Président du Sénat.

Christian Poncelet, Président du Sénat.
Me suis profondément honoré d’accéder à la Présidence du Sénat, une étape qui marque l’aboutissement de ma carrière publique et de mon engagement politique. Je souhaite commencer en rendant hommage à mon prédécesseur, le Président René Monory. Sa personnalité forte et son action rénovatrice méritent bien plus que quelques mots rapides au terme d’une séance tumultueuse. Grâce à son bon sens avisé, sa persévérance et sa vision novatrice, René Monory a modernisé notre Assemblée, la connectant avec le monde en mutation vers un véritable village global. Il a également placé le Sénat à la pointe des nouvelles technologies de l’information. Nous lui devons un hommage vibrant pour avoir insufflé une telle modernité à notre institution.

Je tiens également à honorer les premiers Présidents du Sénat sous la Ve République : Gaston Monnerville, fervent défenseur des libertés et de la dignité humaine, et Alain Poher, sage de la République et Européen convaincu. Leur héritage inspirera mon action et mon comportement. Si Dieu et la médecine me le permettent, mon mandat en tant que Président du Sénat sera celui qui introduira notre institution dans le troisième millénaire. Cette responsabilité particulière est d’autant plus marquante en l’an 2000. Comme vous le savez, chers collègues, j’ai une vision claire du Sénat et de son rôle dans la République.

Nous devons admettre, chers collègues, que notre institution est souvent critiquée, et injustement, alors qu’elle est pourtant indispensable. Les critiques du Premier Ministre sur notre mode d’élection, bien qu’elles ne reniaient pas les avantages du bicamérisme, ont trouvé un large écho dans une opinion publique souvent prompte à la critique. Cette contestation externe nourrit un malaise interne. Beaucoup parmi nous, notamment les plus jeunes, ressentent parfois le sentiment de jouer un rôle secondaire dans un Sénat où les décisions se prennent ailleurs. Ils désirent une réforme plus dynamique, collégiale et transparente. Il est crucial de reconnaître cette réalité. Ne nous réfugions pas derrière une ligne Maginot illusoire. Adoptons plutôt une posture proactive pour revitaliser le Sénat et restaurer sa crédibilité auprès de l’opinion publique.

Pour cette revitalisation, notre Assemblée dispose de nombreux atouts. Je pense à sa stabilité, son enracinement local, la qualité de ses membres, la rigueur de ses travaux, la compétence de son personnel et la maîtrise des nouvelles technologies.

Notre rôle principal est d’examiner et de voter les lois. Le Sénat est une véritable Assemblée parlementaire, même lorsque sa majorité diffère de celle de l’Assemblée Nationale. Nos commissions sont efficaces, et les contributions du Sénat sont généralement positives, bien qu’elles ne soient pas toujours reconnues. Toutefois, le Sénat législateur n’est pas toujours le décideur final. Ainsi, pour exercer une influence, le Sénat doit savoir convaincre. La force de cette conviction repose sur des arguments solides et non sur des a priori partisans. Le Sénat doit conserver sa spécificité institutionnelle, faire preuve de responsabilité et éviter les tentations d’opposition systématique ou d’approbation aveugle du Gouvernement. Nous devons améliorer les textes qui impactent la vie quotidienne des Français. Comme l’a dit un de mes prédécesseurs, Jules Ferry, Sénateur des Vosges et Président du Sénat : « Le Sénat ne saurait être un instrument de discorde, ni un organe rétrograde. Il n’est point l’ennemi des nouveautés généreuses ni des initiatives audacieuses. Il demande simplement qu’elles soient mieux étudiées. » Le Sénat doit offrir une perspective différente de celle de l’Assemblée Nationale. Cette spécificité doit se manifester dans l’exercice de ses deux attributions principales : la fonction de force de proposition et la mission de contrôle.

Le Sénat doit éclairer et préparer l’avenir des Français. Il doit devenir un laboratoire d’idées pour l’action politique, en réfléchissant profondément sur les problèmes de société, la construction européenne, les collectivités territoriales et la décentralisation. L’une des causes de la crise de la démocratie représentative est que le Parlement a été dépossédé de sa fonction de réflexion au profit de comités d’experts, dont la compétence technique ne remplace pas la légitimité démocratique des élus et leur connaissance des préoccupations citoyennes.

Bien que la situation soit grave, elle n’est pas désespérée. Les Français semblent désirer un retour à une politique authentique, comme le montre l’intérêt croissant pour les interventions du Sénat sur des sujets tels que la veille sanitaire, la prise en charge de la douleur, la prestation dépendance, ou les sectes. Ces avancées sont significatives mais encore partielles. Pour que le Sénat regagne toute sa légitimité, il doit s’investir plus résolument dans la prospective, en abordant les préoccupations majeures des Français : la réforme fiscale, l’avenir des retraites, la protection sociale, l’éducation, l’emploi des jeunes, la sécurité et l’aménagement du territoire.

Le Président du Sénat doit être un initiateur d’idées, un stimulateur de réflexion et un catalyseur de débats. À l’heure de la mondialisation, l’Europe et la démocratie locale sont des antidotes précieux. Concernant la construction européenne, il est essentiel d’intervenir en amont pour influencer les décisions. Nous pourrions envisager de créer une antenne permanente à Bruxelles rattachée à la délégation du Sénat pour l’Union européenne, ainsi qu’une association des Sénats des pays de l’Union européenne. De plus, le Sénat exerce une mission particulière de représentation des collectivités territoriales, mais il semble ne pas s’être suffisamment investi dans ce domaine, laissant échapper une part de sa raison d’être.

Il est crucial de reconquérir ce terrain et de faire du Sénat la « maison des collectivités locales », en étant plus attentif aux élus locaux et en organisant des « États généraux des élus locaux » dans chaque région. Nous devons également développer une information spécifique pour ces élus. Le Sénat doit aussi devenir le « gardien vigilant » de la décentralisation en créant une structure permanente de suivi, travaillant en partenariat avec les associations d’élus locaux.

La fonction de contrôle doit devenir une priorité. Nous devons renforcer le suivi de l’action gouvernementale, contrôler les dépenses de l’État et évaluer l’efficacité des politiques publiques. Le contrôle doit devenir une pratique habituelle et permanente du Sénat, nécessitant une expertise autonome.

Enfin, notre civilisation de l’image exige que le Sénat définisse une politique de communication plus proactive, visant à restaurer et à moderniser son image tout en assurant une large publicité de ses travaux. Les nouvelles technologies de l’information sont des outils précieux pour diffuser nos messages, mais elles nécessitent une utilisation efficace pour informer l’opinion publique. La transparence doit aller de pair avec la préservation de l’atmosphère de convivialité et de sérénité au sein du Sénat.

Notre hémicycle, cœur de notre institution, doit être le lieu de grands débats sur les thèmes préoccupants pour les Français : la drogue, l’insécurité, la violence, l’éducation, et les questions urbaines. Nous devrions envisager la création d’une chaîne de télévision pour diffuser nos débats et travaux, en collaboration avec les collectivités locales. De plus, il est essentiel de maintenir l’ouverture du Sénat sur le monde et d’intensifier son rayonnement international par un réseau renforcé de groupes d’amitié et une coopération inter-parlementaire accrue.

Ce programme ambitieux requiert la mobilisation de toutes les énergies et compétences du Sénat. La modernisation de la « maison Sénat » est une tâche collective qui doit associer et rassembler tous les sénateurs. Pour ma part, je m’engage à promouvoir une présidence modeste, proche et conviviale, dénuée d’ambition personnelle. Mon seul objectif sera de rénover le Sénat pour transmettre aux générations futures une institution crédible, respectée et appréciée, véritable atout pour la démocratie.

Christian Poncelet,
Président du Sénat