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Institutions et vivre-ensemble

Par Jean-Paul Delevoye, Ancien Sénateur du Palais-de-Calais, Médiateur de la République.

Jean-Paul Delevoye, Ancien Sénateur du Palais-de-Calais, Médiateur de la République.
Qu’est devenu notre contrat social ? Qu’est devenu ce lien qui doit nous faire surmonter nos intérêts particuliers, accepter un ensemble de règles communes et ressentir l’appartenance à une même communauté de destin ?

Crise des banlieues, contestation dans la rue de lois démocratiquement votées, désaffection envers les principaux partis de gouvernement, « déclinisme », pessimisme et absence de confiance en l’avenir : la société française semble en permanence au bord de l’explosion, marquée par le doute, l’égoïsme, le repli sur soi ou sur les communautés, et par la violence croissante des rapports sociaux et personnels. On réclame bruyamment l’égalité devant la loi, mais on la rejette violemment quand elle vient perturber son propre confort.

On exige des autres l’effort et la moralité nécessaires, mais on refuse la discipline collective qu’implique toute vie en société. On n’attend plus que la République garantisse l’égalité des chances à l’école, dans l’accès aux soins ou devant la loi, mais on recherche pour soi et pour ses proches la « bonne » école, le meilleur hôpital et le tribunal le moins sévère. Le consumérisme l’emporte sur la vertu, l’utilitarisme et l’intérêt individuel sur les valeurs républicaines.

Dans le conflit permanent entre la nécessité d’une règle collective dont le respect devrait s’imposer à tous et la puissance des intérêts particuliers, c’est la seconde qui paraît actuellement l’emporter.

Pourquoi un tel délitement du lien social et une telle menace sur notre « vivre-ensemble » ? Il y a bien sûr la baisse d’influence des relais traditionnels de socialisation qu’étaient la famille, les églises, les syndicats et les partis. L’échec des idéologies, la fin des messianismes révolutionnaires et politiques ainsi que les évolutions sociétales ont fait disparaître bien des repères qui ne sont pas encore remplacés. Il y a le rôle des politiques, relativisé par la mondialisation, les pouvoirs économiques et financiers, le poids croissant des organisations et groupes de pression non-gouvernementaux. Il y a leur impuissance apparente, d’une part à résoudre les difficultés quotidiennes de leurs concitoyens et, d’autre part, à leur proposer les grands choix de société et les grands desseins susceptibles de les mobiliser collectivement. Les pouvoirs, les institutions, les autorités établies, mais aussi les médias et les experts en viennent à être considérés par nos compatriotes comme un « système » dont ils sont exclus, qui a oublié de servir le bien commun et qui n’a plus d’autre fin que de se protéger et se perpétuer. C’est ainsi que s’installe l’incompréhension, que s’élargit le fossé entre la société civile et la sphère publique, entre les Français et leurs institutions.

Il est urgent de retrouver des repères, de recréer du lien social, de redonner à notre société confiance en elle. Cela passe en premier lieu par de nouveaux comportements, par de nouvelles attitudes de la part de ceux qui, élus, dirigeants et administration, ont en charge l’action publique.

L’écoute et la compréhension, d’abord. Je suis frappé, dans l’exercice quotidien de mes fonctions de Médiateur de la République, de constater à quel point les citoyens se sentent « perdus » face à la complexité croissante de la vie administrative et juridique. Ils éprouvent souvent un sentiment d’insécurité, d’inégalité face à la loi, par rapport à ceux qui sont plus riches, plus instruits, mieux formés. La loi, la règle démocratique, ne sont plus ressenties comme garantes des libertés et protectrices des plus fragiles, mais comme des contraintes et des outils au service des plus forts. Il faut savoir appréhender ce sentiment, prendre le temps de la proximité et de la compréhension. Le respect de soi passe par le respect des autres. La concertation et la pédagogie ensuite. Nous vivons à une époque où plus aucune décision, qu’elle soit politique, judiciaire, médicale ou autre, ne sera acceptée ou comprise si elle n’est pas expliquée. La modestie et la mesure enfin. Parce que ce qui est en question est l’intérêt général qui surpasse tout, et particulièrement les enjeux de pouvoir que nos compatriotes croient deviner dans toute décision.

Ces comportements nouveaux sont aussi ceux de la médiation. Il serait utile de s’en inspirer si nous voulons éviter une explosion et refonder l’envie de vivre ensemble.

Jean-Paul Delevoye,
Ancien Sénateur du Palais-de-Calais,
Médiateur de la République