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S.E. Hala Abou Hassira, Ambassadeur de Palestine en France

Il y a 30 ans, le 13 septembre 1993 : une poignée de main historique lors des accords d’Oslo… Que reste-t-il de cette célèbre photo du Président Bill Clinton avec le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin et le Chef de l’OLP, Yasser Arafat ?…

S.E. Hala Abou Hassira lisant le Journal du Parlement…

Nous avons tous vu ces images très dures qui donnent un aperçu de cette guerre et de ces milliers de vies perdues… Quelle est la situation humanitaire aujourd’hui à Gaza ?

Depuis 27 jours dans la bande de Gaza, c’est l’enfer sur terre, littéralement. C’est un génocide. J’utilise à dessein le terme de « génocide », car la réalité sur le terrain répond, de facto, à sa définition. Premièrement, plusieurs responsables israéliens ont déclaré vouloir punir collectivement la population de Gaza, en coupant l’eau, l’électricité, le carburant, la nourriture. Leur intention constitue une atteinte très grave à l’intégrité physique et mentale de la population. La moitié des unités résidentielles est complètement rasée. Cela signifie que la population qui a été déplacée – soit près d’un million de personnes – ne saura plus où revenir, où vivre. On compte environ 50 000 femmes enceintes à Gaza qui n’ont pas accès aux soins de base et ne pourront pas accoucher dans les hôpitaux qui sont bombardés. Nous avons aussi des meurtres en masse de civils, ainsi qu’un transfert massif de la population, avec pas moins d’1,5 million d’individus qui ont d’ores et déjà été déplacés de force.

Le Gouvernement israélien avait pourtant demandé aux civils de partir de Gaza qui devait se transformer en champ de bataille, justement pour éviter les massacres…

Sauf qu’ils ont nulle part où aller ! Israël savait très bien que le sud de Gaza ne pouvait pas accueillir toute la population. 

Et puis, au début de l’offensive, il y avait déjà le transfert des personnes qui se trouvaient dans le nord de la bande de Gaza vers le sud, car Israël a indiqué que le sud serait une zone sécurisée pour la population civile. Mais tout le monde a pu constater que des familles entières étaient sous les bombardements lors de ce déplacement et peu de temps après le sud a commencé à être bombardé lui aussi. Puis, il y a eu l’intensification des bombardements dans toutes les villes qui abritaient la population civile… Rafah, Khan Yunes, Beit Hanoun ont été entièrement rasées !

Les gens sont en train de bouger d’une maison à l’autre. Beaucoup de ceux qui ne savent pas où aller ont trouvé refuge dans les hôpitaux, à l’instar de l’hôpital de Shifa à Gaza qui abrite 60 000 civils – des familles, des femmes, des enfants…

Israël justifie les bombardements en indiquant que ce sont précisément sous les hôpitaux que se trouvent les centres de commandement du Hamas, ces derniers utilisant les civils comme boucliers humains…

Rien ne justifie le bombardement des hôpitaux ! Rien… Et l’on a l’habitude de fausses allégations d’Israël. Par exemple Israël a jeté la responsabilité du bombardement de l’Hôpital de Jean-Baptiste à Gaza. Or toutes les enquêtes, tous les médias ont démontré que c’était bien Israël qui l’avait bombardé. Israël qui est en train de justifier l’injustifiable, un massacre et un génocide à grande échelle, pour fuir sa responsabilité juridique et morale. Aujourd’hui, les gens s’abritent dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les églises et je ne crois parce qu’il y ait des commandos du Hamas sous les églises. Hier encore, quatre écoles où s’étaient réfugiés des milliers de familles, de civils et d’enfants ont été bombardées ! Chaque mosquée, chaque centre médical, chaque clinique est systématiquement bombardé. 

C’est Israël qui terrorise l’ensemble du peuple palestinien, non seulement dans la bande de Gaza, mais aussi en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. C’est Israël qui a pris en otage 2,4 millions de civils pour satisfaire sa soif de vengeance. C’est Israël qui détruit les hôpitaux. C’est Israël qui assassine les enfants !…

Face à la situation actuelle, la communauté internationale demande un cessez-le-feu immédiat, ainsi qu’un couloir humanitaire. Selon vous, que peut-elle faire de plus ?  

La communauté internationale est responsable de ce qui arrive aujourd’hui. Le drame a commencé quand elle a donné le feu vert à Israël pour se défendre, sans tenir compte du fait qu’il s’agissait de la force occupante, mais aussi pour perpétrer ces massacres dans la bande de Gaza sans en mesurer la puissance de l’impact sur les habitants. Cette attaque a été légitimée au détriment de la population civile. 

Appeler à une trêve humanitaire est aussi une injustice. Il faut immédiatement demander le cessez-le-feu pour secourir la population. On ne peut pas donner un morceau de pain avec une main et massacrer avec l’autre. 

Il faut aussi revenir à la source et remettre les événements du 7 octobre dans leur contexte historique et politique. Cette année, nous commémorons les 75 ans de la Naqba – la catastrophe palestinienne – qui a conduit au déplacement de la population de force. Nous commémorons aussi les 56 ans de l’occupation militaire israélienne des territoires palestiniens, c’est-à-dire de la bande de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem Est. Rappelons que le siège israélien de la bande de Gaza nous est imposé depuis 16 ans ! Et voilà 75 ans maintenant que le peuple palestinien subit le déni de ses droits les plus fondamentaux : le droit à l’autodétermination et à la création de son État indépendant et souverain. 

Et pourtant cette attaque du Hamas arrivait au moment où il y avait un espoir… Beaucoup de Palestiniens avaient réussi à obtenir un permis de travail. Il y avait aussi la normalisation des relations d’Israël avec les Etats arabes…

Bien au contraire ! Le 7 octobre est arrivé au pic des agressions israéliennes contre la population palestinienne dans l’ensemble de la Cisjordanie et à Jérusalem-Est. 2023 est l’année la plus meurtrière depuis 20 ans, avec 250 Palestiniens tués dans la bande de Gaza avant le 7 octobre. Est-ce qu’on a oublié les massacres à Jénine, à Naplouse, les pogroms de Huwara et Turmus Aya ? C’est tout récent. Cela remonte à quelques mois à peine ! Nos enfants représentent une jeunesse désespérée, asphyxiée, privée de toute opportunité d’évoluer, privée de toute perspective politique. Le taux de pauvreté et de chômage, de l’ordre de 60%, sont les plus élevés du monde. Si Israël donne le droit de travail aux Palestiniens, il ne s’agit pas d’un don amical, mais cela signifie simplement qu’Israël a besoin de main d’œuvre…

Vous avez évoqué l’occupation et les agressions liées à la colonisation israélienne… Cela justifie-t-il pour autant les massacres du 7 octobre ? Dans quelle mesure aujourd’hui le peuple palestinien soutient le Hamas ? 

Ce n’est pas une question de soutien. L’ensemble du peuple palestinien lutte depuis des décennies contre l’occupation israélienne et le peuple palestinien, comme le peuple ukrainien devrait avoir la faculté, garantie par le droit international, de résister à l’occupation par les moyens qu’ils jugent nécessaires. Nous avons choisi la résistance pacifique contre l’occupation israélienne. Et nous n’avons pas arrêté de mettre en garde la communauté internationale contre une éventuelle explosion. Personne ne savait quelle forme celle-ci allait prendre. Et c’est véritablement malheureux qu’elle ait pris cette forme-là. Mais aujourd’hui la communauté internationale ne peut pas fermer les yeux sur les droits du peuple palestinien. Le droit international ne doit pas être sélectif. 

Justement, le Premier conseiller de la Mission de Palestine auprès de l’UE refuse de condamner l’agression brutale du Hamas contre l’État hébreu tant qu’il n’y aura pas d’État palestinien. Êtes-vous êtes d’accord avec lui ? 

Pourquoi les Palestiniens doivent-ils s’auto-condamner ? Pourquoi personne ne demande aux Israéliens de s’auto-condamner pour le meurtre de 4000 enfants tués à Gaza depuis le début de l’offensive ? Selon Save the Children, le nombre d’enfants morts dans les zones du conflit à travers le monde entier est inférieur au chiffre des enfants qui sont en train de se faire assassiner depuis 27 jours ! C’est dramatique. Il faut humaniser les Palestiniens. Rien ne peut justifier le massacre et le génocide dont ils sont victimes. Il y a une volonté et une intention manifestes de la part d’Israël d’anéantir le peuple palestinien. 

Le but officiel d’Israël est d’éradiquer le Hamas. Si Israël y parvient, qui, selon vous, devrait diriger la bande de Gaza ? Quel est son avenir ? 

L’approche militaire ne marchera pas. La solution est politique. Or, on ne pourra pas avoir la paix tant qu’il y aura le déni des droits fondamentaux du peuple palestinien. 

La bande de Gaza fait partie du Territoire palestinien occupé. Et c’est pour cela qu’il faut en finir avec l’Occupation. Il y a trois étapes qui doivent avoir lieu…

La première, c’est le cessez-le-feu immédiat.

La deuxième, c’est l’ouverture d’un couloir humanitaire qui permettrait de faire entrer les produits de première nécessité pour la survie de la population.

Et la troisième étape, c’est le processus politique, c’est-à-dire l’application de la Résolution des Nations-Unies pour la concrétisation des solutions à deux Etats avec le démantèlement des colonies en Cisjordanie et la capitale de la Palestine à Jérusalem-Est. On a besoin d’un partenaire qui veut faire la paix, qui souhaite garantir la sécurité de l’ensemble de la région de la part des Israéliens pour que ces trois étapes puissent enfin avoir lieu. 

Selon vous, le Hamas est-il une organisation terroriste ? Car c’est justement l’existence de ces groupuscules radicalisés à l’intérieur de la Palestine qui explique la méfiance de la communauté internationale vis-vis de la création de deux Etats que vous revendiquez… 

Le Hamas a été créé en 1987. L’occupation israélienne était déjà là deux décennies avant. Quant à la Naqba palestinienne, il faut remonter 50 ans en arrière. Le véritable problème est l’occupation israélienne. L’existence du Hamas est simplement la conséquence de cette mauvaise politique. Qui a assassiné les Accords d’Oslo ? Ce sont les mêmes fanatiques israéliens de l’extrême droite qui sont aujourd’hui au pouvoir. Notre main sera toujours tendue pour la paix, mais aussi pour nos droits égaux. 

Avec la création de deux États, les organisations terroristes vont-elles soudainement disparaître ? Et qu’en est-il de l’avenir de Mahmoud Abbas qui a maintenant  87 ans ? 

Depuis 30 ans, on a largement investi pour créer les Institutions de l’État de Palestine, avec l’appui des Etats-Unis, de l’Union Européenne et de la France. Nous souhaitons en effet mettre en place des élections démocratiques pour que le peuple puisse élire ses représentants. Mais aujourd’hui, Israël refuse qu’on tienne les élections à Jérusalem-Est. Or, il va de soi qu’aucun Palestinien n’accepterait d’organiser des élections sans Jérusalem-Est, car cela signifierait d’une part, l’acceptation de l’annexion et, d’autre part, la trahison de notre cause. Voilà pourquoi le Hamas est toujours au pouvoir et pourquoi il n’y a pas eu d’élections depuis 2016. Si nous avions un système démocratique, surveillée par la Communauté Internationale qui permette au peuple d’élire ses Représentants, cela résoudrait beaucoup de problèmes. La stabilité chez nous, signifierait la stabilité dans la région et bien au-delà.  

Est-ce que vous croyez aujourd’hui à cette solution pacifique et politique ?

C’est la seule solution qui garantirait la paix pour tous. On n’a pas d’autre scénario. Sinon c’est la solution d’un seul État qui serait, de facto, un État d’apartheid. C’est pour cela que la communauté internationale doit œuvrer pour la création de deux États par la levée de l’impunité d’Israël. Nous avons déjà sollicité la Cour Pénale internationale. Nous avons choisi la voie pacifique et la voix juridique pour juger les criminels de guerre. Et cela montre à quel point nous souhaitons régler cette question pacifiquement. 

Si vous souhaitez régler cette question pacifiquement, pourquoi ne pas négocier avec le Hamas qui détient aujourd’hui des otages en disant : « nous sommes pour la paix, libérez ces otages, car nous souhaitons avancer vers une solution politique » ? 

Nous avons demandé la libération des otages des deux côtés. Du côté israélien il y a près de 10 000 otages. Depuis le 7 octobre, 3000 Palestiniens sont détenus en Israël sans jugement, sans inculpation, sans charge, y compris des enfants et des femmes ! Il faut donc libérer tout le monde. Il n’y a pas une vie qui vaut plus qu’une autre, pour avancer vers une solution politique.

Israël doit choisir quel avenir donner à son peuple. Est-ce que les Israéliens ont eu assez de vengeance ? Est-ce qu’ils sont satisfaits ? Est-ce que la perte des milliers de vies des deux côtés suffit enfin ?

Quel message souhaiteriez-vous transmettre à travers le Journal du Parlement à la classe politique française ?

La France doit reconnaître la solution à deux Etats dans l’immédiat. Ladite reconnaissance a déjà été votée par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce serait un message très fort adressé à Israël et l’on sait que de nombreux pays suivront alors la France sur le chemin de cette reconnaissance. Le temps de l’action est venu pour la communauté internationale qui porte une responsabilité à la fois juridique, politique et morale. J’ai foi en l’idée que l’on va entendre à nouveau la voix singulière de la France qui s’est toujours inspirée du droit international. On l’a entendue avec de Gaulle. On l’a entendue avec Giscard d’Estaing. On l’a entendue avec Mitterrand et on l’a entendue  avec Chirac. Le monde entier se souvient de cette voix lors du Conseil de la Sécurité en 2003 contre la guerre en Iraq. Aujourd’hui, on voudrait l’entendre encore une fois résonner pour la paix dans cette région déchirée par la guerre, ce qui permettrait à la France de s’affirmer comme un vrai acteur de la paix au Moyen Orient.  

Propos recueillis par Marina Yaloyan