Michel Freyche, Président de l’Association Française des Banques.
« Nous ne sommes pas en récession »
Inspecteur des Finances, Michel Freyche a occupé divers postes de responsabilité dans la haute administration avant de présider la Banque Française du Commerce Extérieur de 1982 à 1992. En 1992, il est nommé Président de l’Association Française des Banques. Par ailleurs, il siège comme administrateur, membre du conseil de surveillance ou du comité exécutif de plusieurs sociétés et occupe également le poste de vice-président du CNPF International.
Que pensez-vous de cette menace de récession dont on parle ?
Il s’agit de la combinaison d’une crise asiatique, notamment d’une crise japonaise qui n’a pas trouvé de solution véritable, et d’une crise financière survenue de manière brutale et imprévisible suite à la cessation de paiements de la Russie. Cependant, la crise russe à elle seule n’est pas catastrophique pour notre pays ni pour les autres pays occidentaux. En France, la Russie représente une part négligeable de nos échanges extérieurs, soit seulement 1% de nos exportations. Même en cas d’effondrement du marché russe, les répercussions sur notre économie seraient minimes.Nous importons effectivement des matières premières et de l’énergie, telles que le gaz et le pétrole, mais il n’y a pas de raison de penser que ces importations pourraient être compromises. L’économie allemande sera légèrement plus affectée que la nôtre, car l’Allemagne, par sa politique orientée vers l’est, s’était beaucoup plus impliquée à la fois dans les échanges et les crédits, entraînant une exposition des banques allemandes environ 4 à 5 fois supérieure à celle des banques françaises vis-à-vis de la Russie.
En réalité, il s’agit principalement d’une crise de confiance exacerbée par une situation asiatique qui, malgré les progrès réalisés par la Thaïlande et la Corée, n’a pas trouvé de solution satisfaisante dans le cas japonais. Le Japon, en difficulté depuis plusieurs années, n’a pas pris les mesures nécessaires pour sortir de cette crise significative. Les difficultés économiques japonaises sont en grande partie responsables du climat de pessimisme observé actuellement sur le marché mondial.
Il y a donc eu des phénomènes d’accélération ?
Les phénomènes d’accélération sont généralement d’ordre technique, monétaire ou bancaire. En particulier, le maintien artificiel de parités élevées et fixes pour certaines monnaies, malgré un environnement économique défavorable, a souvent conduit à des corrections brutales. Ces ajustements ont, à leur tour, contribué à une partie de la crise. Je pense notamment au baht thaïlandais qui a été un déclencheur majeur, ainsi qu’au rouble russe. Ce dernier a été soutenu au-delà du raisonnable à un niveau qui ne reflétait pas son véritable cours, entraînant une érosion complète des réserves de change de la Russie, y compris les crédits accordés par le FMI, et plaçant ainsi le pays en situation de cessation de paiement.
Êtes-vous optimiste pour la France ?
Nous ne sommes pas en récession. Cette année, nous prévoyons une croissance de 3%, ce qui est tout à fait raisonnable. Pour l’année prochaine, la prévision officielle est de 2,7%. Certains économistes estiment que ce taux pourrait être légèrement inférieur, avec des prévisions pessimistes autour de 2%. Bien que ce chiffre ne soit pas particulièrement brillant, il reste largement au-dessus du seuil de récession. La même tendance se vérifie dans d’autres grandes économies comme celles de l’Europe et des États-Unis. Les grands pays industriels pourraient connaître un ralentissement économique, mais ils sont encore loin de la récession.
Il semble que la communauté internationale prenne des mesures pour restaurer la confiance et stabiliser les monnaies où il y a encore du désordre. Les conditions sont favorables pour que le ralentissement de la croissance soit contenu.
En tant que 4e exportateur mondial, nous devons nous préparer à un éventuel ralentissement de la demande, qui a jusqu’à présent soutenu notre croissance. Bien que notre excédent de l’année précédente, évalué à 190 milliards d’euros, soit exceptionnel, il reste suffisamment important pour que le commerce extérieur continue à jouer un rôle moteur dans notre économie. Il serait fortement souhaitable que la reprise de la consommation observée au début de cette année se confirme.
Les États-Unis sont-ils eux aussi menacés par la récession ?
Il n’y a pas de menace de récession aux États-Unis. La principale inquiétude actuelle est une possible diminution de la croissance. Cette préoccupation a conduit la Banque Fédérale à réduire récemment les taux d’intérêt de un quart de point sur toutes les références monétaires. Monsieur Greenspan estime que le risque d’inflation s’atténue, bien qu’il persiste une tension sur le marché de l’emploi. Les États-Unis sont en situation de plein emploi, une condition qui ne correspond en rien à une crise économique.
C’est justement cette tension sur l’emploi qui avait jusqu’à présent freiné une réduction supplémentaire des taux d’intérêt. Cette décision sera probablement suivie de mesures complémentaires dans les mois à venir. Bien que la croissance aux États-Unis soit moins dynamique en 1999 par rapport aux années précédentes, elle devrait rester positive.
Vous êtes au CNPF un spécialiste des pays de l’Est. Quand la Russie va-t-elle sortir de son marasme ?
Récemment, une évolution politique favorable s’est dessinée avec le déblocage du conflit entre le Parlement, la Douma, et Boris Eltsine. Ce conflit était marqué par un affrontement quasi permanent entre le gouvernement, les communistes et la Douma. Bien que la situation financière demeure dramatique, la nomination de Monsieur Primakov au poste de Premier Ministre représente un tournant significatif. Monsieur Primakov, un homme de grande qualité et d’une riche expérience, tant sur le plan national qu’international, a reçu le soutien du Parlement.
On peut espérer que Monsieur Primakov, avec le soutien de la majorité parlementaire, sera en mesure de faire passer un certain nombre de mesures qui avaient été longtemps reportées. Cette évolution politique est, à mon avis, positive. Toutefois, il reste à voir dans quel délai ces changements se concrétiseront dans les domaines économique et financier.
Propos recueillis par Madi Testard.