Charles Pellegrini
Ancien Commissaire divisionnaire
et Chef de l’Office Central de Répression du Banditisme

Ancien Commissaire divisionnaire et patron de l’Office Central de Répression du Banditisme, Charles Pellegrini fait partie des grands noms de la Police française, dont la carrière reste attachée, notamment, au Gang des Lyonnais, aux affaires de rapt et de grande délinquance, à l’affaire Mesrine, mais aussi à la lutte anti-terroriste et au monde du renseignement. Il revient sur les dernières émeutes déclenchées par le 49-3…

Vous qui avez intégré dans vos jeunes années la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) avant d’embrasser la brillante carrière que tout le monde connaît, quel regard portez-vous sur la situation actuelle après les dégradations et les affrontements liés au 49-3 ?

Le maintien de l’ordre n’est pas une science exacte… Il répond, d’une part, à des éléments factuels – une situation sur le terrain – et, d’autre part, à des circonstances générales – l’ambiance politique, syndicale et économique – .

Il y a quelques années, Didier Lallemand a été appelé à rétablir une conjoncture pour le moins dégradée avec les Gilets jaunes. Et il y est parvenu, certes avec des méthodes parfois un peu brutales, mais il l’a fait. Puis les choses se sont un peu calmées jusqu’à l’arrivée du Préfet Laurent Nuñez qui a alors adopté une autre stratégie, plus adaptée sans doute au nouveau paysage et aux nouvelles formes de contestations sociales. Il a notamment rétabli le dialogue avec les syndicats, de telle sorte que ces derniers prévoient leur propre Service d’ordre pour encadrer les manifestants. Mais les forces de violence et de rupture n’ont pas disparu. Les black blocs sont toujours là.

Aussi, pour revenir aux événements récents, personne ne me fera croire qu’il s’agit d’une manifestation spontanée ! À mon avis, les mots d’ordre plus ou moins cryptés ont circulé sur les réseaux sociaux et il y a eu ensuite un effet boule de neige, tant et si bien que les black blocs s’en sont donnés à cœur joie et qu’il y a eu les dégradations que l’on connaît. Et cela a fait beaucoup de mal aux politiques. Le premier d’entre eux à avoir condamné les débordements est, soulignons-le, le communiste Fabien Roussel, alors que les précédentes manifestations s’étaient déroulées dans le calme…

Mais, malheureusement, en période de tension, les vieux démons reviennent !

La nouvelle doctrine du maintien de l’ordre, en place depuis la fin de l’année dernière, vous semble-t-elle adaptée ?

En réalité, il n’existe pas une, mais des doctrines du maintien de l’ordre et il faut que les Forces chargées de ce maintien de l’ordre apprennent à le faire en fonction de chaque situation et de leur nature.

Il y a la doctrine adoptée il y a 10 ans par la Préfecture de Police, qui consiste à maintenir les manifestants à distance, par les canons à eaux ou les jets de grenades… Il y a également la doctrine Lallemand qui consiste pour sa part à ne pas laisser les black blocs se constituer. Et malgré des problèmes de tirs de LBD, cela a le mérite d’avoir fonctionné. Et puis il y a une autre doctrine qui fait le lien entre les deux et qui consiste à ce que la rue ne prenne surtout pas le dessus, tout en évitant à tout prix une réaction trop vive susceptible de provoquer une contestation et une violence généralisées. Tout cela pour vous dire que non seulement une doctrine n’est pas figée, mais surtout, qu’elle s’adapte. Rien n’est gravé dans le marbre.

Émeutes à l’annonce de l’utilisation du 49-3.

Mais comment trouver le point d’équilibre que vous évoquez…

Revenons aux événements eux-mêmes de la Place de la Concorde…

Certes il y a eu des dégradations, mais cela me paraît difficile de les empêcher compte tenu du nombre et de la dispersion. Cependant, les Forces de l’Ordre avaient bien anticipé les choses en amont. Elles étaient devant l’Assemblée Nationale et protégeaient tous les points sensibles. Malheureusement on leur a laissé une échappatoire – car il ne faut jamais bloquer – et ils ont alors commis des dégradations ailleurs.

Aujourd’hui, ce qui est dur à maîtriser pour les Forces de l’Ordre, c’est le degré de violence sociale et pas seulement les blacks blocs, mais aussi toute une fange de la population, qu’on aurait qualifiée d’ouvrière, comme aurait dit Marchais, mais qui a changé et est devenue extrêmement imprévisible.

Le point d’équilibre est difficile à déterminer parce qu’il n’y a plus comme avant de politique syndicale ni de discussions avec l’Autorité publique. En d’autres termes, la situation est particulièrement volatile. C’est la raison pour laquelle c’est beaucoup plus difficile qu’avant.

Comment expliquez-vous que les black blocs soient si difficiles à identifier et mettre hors d’état de nuire. À qui imputer cette carence ? Au renseignement intérieur ?

Non, non et non, contrairement à ce que disent beaucoup qui n’y connaissent rien, nous ne sommes pas un pays si fliqué que cela ! Personne ne connaît les black blocs. Ils n’ont pas de structure. Ils n’ont pas de chef. Ils se réunissent et ils disparaissent vite. Ils savent utiliser à merveille les réseaux sociaux. Ils se détectent plus qu’ils ne se connaissent. Et ils sont un danger public permanent. Toute cette fange de la population, violente, désœuvrée et nourrie de doctrines marxistes-léninistes travaille en profondeur sur les réseaux sociaux.

Leur grande force, c’est leur dispersion dans le brouillard du net. Ils ont quelques sites qui changent tout le temps et qui leur servent à se rassembler. Si le Renseignement territorial est bien informé, encore une fois, se battre avec un bouclier et une flèche, c’est compliqué. Ils sont mouvants en permanence et difficilement traçables. Même si les Renseignements sont au top sur les black blocs, il est très difficile lors des manifestations de rendre opérationnels lesdits renseignements…