Laurent Wirth : La discorde & la concorde
De la Révolution à nos jours, histoire des déchirures et réconciliations françaises
Dès les premières pages, le ton est donné. Wirth pose une question centrale : et si l’histoire détenait les clés de nos unions et de nos divisions ? La cyclothymie constante de la vie politique française depuis 1790, semble être devenue au XXIème siècle l’un des symptômes d’un malaise démocratique plus large. Dans cet esprit, l’historien ne se contente pas de raconter le passé, il en établit une grille de lecture pour disséquer nos fractures contemporaines et décrypter les racines profondes des divergences politiques et sociales actuelles. Mais l’auteur va au-delà et s’interroge à nouveau : comment, en effet, une collectivité déchirée par la division parvient-elle, malgré tout, à reconstruire du « commun » ? Comment, alors qu’elle est écorchée par la violence ou l’idéologie finit-elle par se réinventer ?
Car, si d’hier à aujourd’hui, une alternance rapide de discordes et de concordes dessinent les contours de l’histoire de France, l’ouvrage explore surtout la manière avec laquelle les sociétés traversent les conflits pour mieux les dépasser. En fin de compte, la discorde ne serait pas l’échec du vivre-ensemble, mais en serait, a contrario, le point de départ : les guerres de religion, les révolutions, les compromis politiques… à chaque fois, le conflit précède l’apaisement. Dès lors, en scrutant des périodes charnières, le livre démontre qu’en réalité la discorde n’est pas l’ennemie de la concorde, mais bien souvent son prélude. L’analyse, fine, met en lumière, notamment, les ressorts institutionnels qui permettent la pacification.
In petto, ce travail revêt une résonance et un écho particulier à l’heure qu’il est. Impossible en effet de ne pas dresser le parallèle avec notre actualité : polarisation du débat public, défiance envers les Institutions, fragmentation des récits collectifs… Dans un climat social pour le moins délétère et morcellé, où les clivages semblent s’exacerber, Wirth rappelle que la conflictualité est, bien sûr, inhérente à toute société, mais il rappelle surtout, avec force, que l’histoire regorge d’exemples où le dialogue, les réformes et la mémoire partagée ont permis de retrouver le chemin de l’équilibre : en définitive, la discorde n’est donc pas une anomalie, mais une étape presque nécessaire. La concorde quant à elle ne surgit pas par magie et se construit souvent au cœur même de la tension. Et là où certains ne perçoivent que la répétition du chaos, Wirth entrevoit pour sa part les mécanismes d’une résilience possible. Cette approche, très Kantienne, rappelle que ce sont souvent les désaccords qui permettent de s’acheminer vers plus d’humanité. Un autre historien, représentant de l’Ecole des Annales, Fernand Braudel, écrivait d’ailleurs à ce titre : « Le désir de s’affirmer contre les autres est forcément à l’origine de curiosités nouvelles : nier autrui, c’est déjà le connaître ».
Réflexion sur les cohésions humaines, « La discorde & la concorde » est aussi le récit d’une réappropriation de notre époque. Laurent Wirth, qui s’inscrit dans une trajectoire intellectuelle solide*, signe ici un ouvrage aussi clair que nécessaire : l’histoire, miroir du temps présent, n’est pas seulement le récit de nos conflits, mais aussi celui de l’apprentissage, patient, de nos réconciliations. Et c’est peut-être là que réside l’essentiel…
Suzanne Montigny
| * Laurent Wirth, agrégé et docteur en Histoire, a longtemps enseigné en classes préparatoires, avant de devenir Inspecteur général de l’Éducation nationale et Doyen du Groupe histoire et géographie. Il est notamment l’auteur d’« A larmes égales- 1914-1915 : de l’Alsace à l’Auvergne, une histoire, deux familles » (Les Monédières – 2019), du « Destin de Babel- Une histoire européenne » (Armand Colin – 2021), de « La Madeleine et le papillon : le retour de 5 événements-monde » (Armand Colin – 2022); de « La possibilité du pire : face à la guerre 1914, 1939, 2022… » (L’Harmattan – 2024), ou encore d’un livre qu’il a co-signé avec son épouse, Sophie Wirth, « La République en héritage ou le fil de Marianne » (l’Harmattan – 2019). |