Je ne sais pas si l’Ukraine peut gagner, mais je sais qu’elle ne peut pas perdre !
Vous êtes à la tête de la Délégation française de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et vous venez de revenir d’Ukraine. Quelle est votre vision de la situation sur le terrain ?
J’étais effectivement au mois d’août en Ukraine. Je suis certainement le Parlementaire étranger à m’être le plus souvent rendu sur place et surtout à m’être rendu, à chaque fois, sur la ligne du front. Je pars toujours avec l’objectif de mieux comprendre la situation et les enjeux.
Au travers de la presse, on a une image et au travers de la communication, voire de la propagande des uns et des autres, on a une vision, mais moi j’aime me rendre sur le terrain pour prendre connaissance des choses.
Par exemple, la première fois que j’y suis allé, c’était du côté de Donetsk, à côté de Bakhmout. J’assistais à un tir opérationnel du canon César que la France a offert à l’Ukraine.
La deuxième fois, c’était plus au Sud, dans la région de Zaporijia.
Avec un collègue Député allemand, nous étions allés voir les chars Léopard AMX-10 RC français. C’était le moment où on parlait de la préparation de la contre-offensive ukrainienne, mais qui finalement n’a pas eu lieu.
Dernièrement, nous sommes allés dans la région de Kharkiv qui est à une cinquantaine de kilomètres de la Frontière russe et qui était la troisième ville d’Ukraine. Je dis « était » parce qu’elle a perdu une grande partie de sa population.
Je dois avouer qu’au cours d’une des deux nuits d’hôtel que j’ai passé à Kharkiv, le matin j’ai été réveillé par une explosion, ce qui était impressionnant et bien symbolique de ce qui se déroulait là-bas. Puis on est allés visiter une usine d’armement. On a rencontré aussi les Autorités et j’ai été très marqué quand le Gouverneur nous a expliqué que la moitié des écoles à Kharkiv étaient détruites et que certains élèves n’avaient pas vu d’enseignant depuis plusieurs années.
À Gaza on parle aussi de cibles civiles, comme les écoles, détruites par les bombardements israéliens. La justification est que le Hamas utilise la population comme bouclier humain. Les Russes disent la même chose par rapport à l’armée ukrainienne… Est-ce crédible ?
En tout cas, nous n’avons pas vu cela. Nous avons vu les soldats ukrainiens se cacher dans une forêt, pas dans les écoles. S’ils réparaient des pièces d’artillerie, ce n’était pas au milieu de la population civile.
Les dégâts qui ont été faits à l’hôpital Mère-Enfant qui est l’hôpital pédiatrique de Kiev, font froid dans le dos. En plus, je trouve que c’est un mauvais calcul. Quand les Russes attaquent les infrastructures énergétiques, par exemple, c’est pour démoraliser la population, mais le résultat est juste contraire : ça les galvanise encore plus !
À un moment donné, nous étions près de la région de Koursk, juste après l’offensive ukrainienne. Cette offensive avait donné à l’Armée un véritable coup de fouet moral, tout à fait extraordinaire. Évidemment, il n’y a pas eu de volonté ukrainienne de prendre cette région. Mais ils se disaient : les Russes ont envahi notre territoire, nous avons envahi le leur et le jour où l’on va se mettre à la table des négociations, cela servira de monnaie d’échange.
Les missiles à longue portée qui frappent aujourd’hui le territoire russe avec l’accord américain et anglais, ne risquent-ils pas davantage d’attiser le conflit ?
Aujourd’hui, la population civile ukrainienne subit des dommages importants, des pertes civiles considérables parce que les Russes ont des missiles de longue portée très précises, mais aussi ce qu’on appelle des bombes planantes avec des petits moteurs, qui peuvent aller jusqu’à 50-60 kilomètres et qui font des dégâts colossaux.
Une bombe de 500 kilos peut détruire une ou deux maisons. Une bombe d’une tonne peut détruire une rue. Une bombe de 2 tonnes, peut détruire un village. Et ça ne coûte pas cher. Donc il suffit d’arriver à 50 kilomètres de la frontière en restant dans l’espace aérien russe et de lâcher ces bombes. En fin de compte, l’Ukraine cherche principalement à se protéger en perturbant le flux logistique des Russes.
Mais on hésitait beaucoup avant de fournir ces armes justement. Pourquoi ? N’est-ce pas parce que ceci peut être interprété comme une déclaration de guerre par Vladimir Poutine ?
Tout le monde sait que la Russie utilise des armes nord-coréennes et iraniennes, entre autres. Personne ne dit que la Corée du Nord ou l’Iran sont entrés en guerre. Vous fournissez des armes au pays qui souhaite se défendre. C’est tout !
Après, le problème principal est lié au retard que nous prenons. Quand je suis allé la première fois en Ukraine, en janvier 2023, j’avais dit qu’il faudrait lui fournir des Mirages 2000. Mais on m’a dit qu’il fallait… Attendre !
Pourquoi ? Quelle était la raison de cette hésitation ? Était-ce une raison politique ou économique ?
C’était une raison économique.
Le problème avec l’Ukraine, c’est que l’aide que nous apportons c’est trop peu, trop lentement. L’exemple c’est justement ces Mirages 2000. Si nous avions fourni ces avions de chasse à l’époque, nous aurions pu déjà commencer à former des pilotes et peut-être qu’ils seraient opérationnels en ce moment.
Et aujourd’hui, par exemple, ce que j’ai vu sur le terrain, c’est qu’il y a une très grosse problématique de munitions. Le rapport des munitions entre les Forces russes et ukrainiennes, c’est de 1 à 3, voire de 1 à 10. Il y a une avancée russe parce que la puissance de feu n’est pas comparable. En moyenne, les Russes tirent 25 000 obus par jour et les Ukrainiens à peine 5 000 ! Même si la France va augmenter la livraison de nos obus 153 à l’Ukraine et aller jusqu’à 3 000 par mois, cela ne fournit qu’à peu près une demi-journée de feu pour les Ukrainiens.
On aide l’Ukraine en lui fournissant des armes, mais n’est-elle pas sous respiration artificielle ? Croyez-vous qu’elle puisse gagner ?
Je ne sais pas si l’Ukraine peut gagner. Mais l’Ukraine ne peut pas perdre ! Simplement parce que la population ukrainienne est trop impliquée dans ce conflit et elle n’acceptera pas de perdre. Il faut aussi être prudent parce que dans une guerre, il y a des choses qu’on ne voit pas venir, comme l’offensive ukrainienne sur Koursk. Il y aura peut-être donc encore des surprises.
Avant il y avait les Accords de Minsk qui prévoyaient un statut spécial aux régions tenues par les séparatistes et on arrivait à se mettre à la table des négociations. Or, aujourd’hui, on n’y songe même plus…
Ce que l’on peut dire, c’est que les deux parties sont épuisées et exsangues. Les conséquences sont difficiles pour les uns comme pour les autres. Il faut que les deux parties aient envie de se mettre à la table des négociations, mais sur quelle base ? C’est bien cela la question ! Quand il y a eu la dislocation de l’Union soviétique, la Russie a reconnu l’indépendance et les frontières de l’Ukraine et vice versa.
À l’époque aussi, les Ukrainiens étaient dotés de l’arme nucléaire. Ils ont accepté d’y renoncer contre des garanties de stabilité de la communauté internationale. Si l’Ukraine avait eu la bombe nucléaire, jamais la Russie ne l’aurait attaqué. Et donc les Ukrainiens veulent des garanties de sécurité et l’une des garanties, c’est, précisément, leur adhésion à l’OTAN.
Lors de la désintégration de l’URSS, il y avait un accord non-signé mentionnant que les ex-pays de l’URSS ne seraient pas sollicités pour leur adhésion à l’OTAN, y compris la Géorgie et l’Ukraine…
Vous savez, il n’y a pas de demie ou de quart d’indépendance. Quand le pays est indépendant, il fait ce qu’il veut. Dans ce cadre là, les Pays baltes ont décidé de rejoindre l’OTAN assez vite. L’Ukraine aujourd’hui paye le prix du sang et des larmes pour espérer intégrer et l’OTAN et l’UE. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, bien sûr.
La menace russe s’est produite à la suite de la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et l’entrée de l’Occident dans ce qu’on pourrait appeler la zone d’influence russe. Au final l’OTAN ne divise-t-elle pas plus qu’elle unit ?
L’OTAN défend les principes du multilatéralisme et du droit international, donc du respect des frontières telles qu’elles sont reconnues. Donc pour répondre à votre question, l’OTAN est un facteur de paix et de stabilité. Cela étant, l’OTAN ne veut pas dire l’uniformité.
Quand les États-Unis voulaient attaquer l’Iraq sous le prétexte des armes de destruction massive qui n’existaient pas, la France a dit non. Il y a des pays qui, historiquement, refusaient d’entrer dans l’OTAN, tels que la Suède et la Finlande et qui, à la suite de la deuxième agression russe contre l’Ukraine, ont eu envie d’entrer dans l’Alliance.
L’OTAN se trouve-t-elle renforcée par la guerre en Ukraine ? Par le passé, beaucoup de membres questionnaient l’utilité de l’Organisation et la trouvaient obsolète…
Mais absolument ! Celui qui a eu des mots encore plus durs était le Président Macron qui avait dit que l’OTAN était en état de « mort cérébrale ». Finalement, celui qui a recréé et recrédibilisé l’OTAN, c’est Poutine. C’était l’inverse du but recherché et l’attractivité de l’OTAN a en effet fortement augmenté. Nous l’avons d’ailleurs constaté avec l’adhésion de la Suède et de la Finlande…
Après la chute de l’URSS, la Russie avait aussi exprimé l’envie d’entrer dans l’OTAN. Cette adhésion n’aurait-elle pas pu éviter les problèmes actuels ?
Il y a eu assurément un manquement d’arrimer la Russie au bloc démocratique. On croyait notamment qu’on entrait dans une période durable de paix.
En ex-URSS, comme vous le savez, il y a eu une période très difficile. Puis, certains dirigeants russes de l’époque se sont dit qu’ils allaient prendre quelqu’un d’assez terne, qu’ils allaient pouvoir manipuler sans problème en désignant Poutine, sauf que c’est absolument le contraire qui s’est produit.
Trump ne s’était-il pas d’ailleurs vanté de pouvoir régler le conflit entre la Russie et l’Ukraine en 24 heures ?
Il est clair que Trump tient des propos qui sont parfois à l’emporte-pièce. Il a dit la même chose pour la Corée du Nord. Il a rencontré deux fois Kim Jong-un et n’a rien résolu !
Mais d’une manière ou d’une autre, les États-Unis ne pourront pas se désengager du jour au lendemain du conflit en Ukraine.
Quel est le rôle l’Europe ? Sera-t-elle toujours dépendante des États-Unis pour sa défense ?
Avec le conflit en Ukraine, il y a une véritable prise de conscience européenne : un Commissaire européen à la Défense a été nommé et des moyens ont été alloués, tandis qu’avant on ne voulait même pas en entendre parler !
Il est clair que l’Europe doit pouvoir se défendre par elle-même et ne pas dépendre de qui que ce soit et notamment des États-Unis. Mais cela va nécessiter plus de moyens et plus d’autonomie stratégique…
Propos recueillis par Marina Yaloyan