À la Une : Brice Lalonde

Brice Lalonde
Ancien Ministre et Coordonateur exécutif de la Conférence des Nations-Unies

sur le Développement Durable
Président d’Equilibre des Énergies

Brice Lalonde est né le 10 février 1946. Il est licencié en lettres classiques et droit à l’université Paris-Sorbonne et Assas. Il s’est impliqué dans les questions environnementales dès le début des années 70, en étant président de l’association des Amis de la Terre puis directeur de campagne du premier candidat écologiste à une élection présidentielle française, René Dumont. La suite de sa carrière sera aussi marquée par cet engagement pour la planète. Ainsi il se présente à l’élection présidentielle de 1981 et devient en 1987, directeur du bureau de Paris de l’Institut pour une Politique Européenne de l’Environnement. En 1988, l’exécutif fait appel à lui ; Brice Lalonde devient Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, Michel Rocard, chargé de l’Environnement et de la Prévention des risques technologiques et naturels majeurs, puis il est nommé Ministre de l’environnement dans les gouvernements Rocard et Cresson (1990 – 1991). Après ces expériences ministérielles, Brice Lalonde devient maire de Saint-
Briac-sur-Mer (1995 – 2008).
En 2007, il donne une orientation internationale à son combat pour la planète. Il exerce en effet la présidence de la table ronde de l’OCDE sur le développement durable (2007) et est nommé Ambassadeur des négociations internationales sur le climat pour la France (2007 – 2010). À la fin de son mandat, il rejoint l’ONU en tant que coordonnateur exécutif de la Conférence des Nations unies sur le Développement durable (Rio+20). Sa participation au sein de l’ONU se poursuit avec l’exercice du poste de Conseiller Spécial sur le Développement
Durable
auprès du Pacte mondial des Nations Unies. Par ailleurs, Brice Lalonde oeuvre pour l’inclusion des entreprises et de la finance sur les questions climatiques, notamment en assumant la présidence du Business & Climate Summit
de 2015 à 2018. Il assure également, de 2016 à 2020, la présidence de l’Académie de l’Eau. Depuis décembre 2017, il est le président du groupement d’entreprises pour le climat
Équilibre des Énergies, où il entend agir pour conjuguer décarbonation et prospérité.


https://www.equilibredesenergies.org

Lettre ouverte aux parlementaires
et au Gouvernement de Michel Barnier

Chers parlementaires d’une France déboussolée, dépositaires de notre avenir, rassurez-moi. Je suis un de vos administrés, électeurs, concitoyens. Dans la typologie politique, je suis catalogué comme écologiste préjurassique, une variété d’avant Barnier. Je l’ai connu naguère bon spécialiste de l’environnement…

Il m’avait confié qu’il ne voulait pas être enfermé dans cette catégorie, moi au contraire j’y suis resté parce qu’il y a beaucoup à faire pour harmoniser la société des hommes avec le système de la nature. Mais comment s’occuper d’harmonie quand la guerre menace, les budgets militaires s’envolent et la violence massacre les humains ?

D’abord les munitions, puis les canons, puis les chars, puis les avions et maintenant les missiles à longue portée, étonnant comme vous semblez insouciants devant l’escalade meurtrière en Ukraine et le risque d’une confrontation générale. Est-ce que l’un de nos gouvernants, élus, chefs de parti, nous a dit comment il prétendait « faire perdre Poutine » – c’est le mot d’ordre – sans déclencher la 3° guerre mondiale ? Nenni, la guerre et la paix, dirait-on, c’est comme la météo, on n’y peut rien.

D’ailleurs qui se sent concerné ? ce sont les affaires de l’OTAN à qui nous avons confié notre sort. Elles nous dépassent. Nous ne pouvons que pleurer les victimes et les destructions. Mais vous, chers parlementaires, allez tout faire pour éviter la guerre, lancer des initiatives de paix en Ukraine, au Proche-Orient, au Soudan… Je compte sur vous.

Sans doute avons-nous rapetissé puisque la dimension internationale est si peu présente dans nos débats politiques, sinon pour nous plaindre de l’immigration. Mais alors pourquoi ces guerres qui ont chassé de leurs pays tant de réfugiés ? Quel besoin avions-nous d’armer les islamistes en Syrie et de créer le chaos en Libye ? Est-ce qu’un jour nous solderons les comptes et cesserons de réserver le domaine de la politique étrangère au seul et imprévisible Président de la République ? Il fut un temps où la France faisait entendre une voix d’équilibre dans le monde. Je voudrais qu’elle résonne à nouveau pour retrouver la fierté d’être Français, une fierté que la réussite des Jeux olympiques a éveillée.

Dans deux mois se tient à Bakou la 29° conférence des Nations Unies sur le climat. La France y sera-t-elle présente ? La question se pose puisque nombre de nos élus veulent interdire à l’Azerbaïdjan d’accueillir cette conférence. Et pourquoi ? Parce que ce pays a repris le Haut-Karabagh à l’Arménie. Or c’est l’Arménie qui avait envahi cette région en 1993 alors que, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le droit international et les résolutions des Nations unies accordent le Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan.

Nos élus le savent-ils qui prennent fait et cause pour la diaspora arménienne, bien plus va-t-en-guerre que l’Arménie elle-même ? Mieux vaudrait contribuer à une paix durable. Et voilà comment une absence de diplomatie nous mène dans une impasse aux fâcheuses répercussions.

Levons le regard, le monde change, la population de l’Afrique va dépasser celles de la Chine et de l’Inde réunies. Plus de 600 000 ingénieurs sortent tous les ans des universités chinoises. Aller dans ce pays c’est voyager dans le futur. Comment rester dans la course ? Certainement pas en se battant la coulpe et en rêvant d’un rationnement général. L’ingéniosité humaine n’a cessé de repousser les limites à toutes les époques. Si la démesure est l’ennemie de la raison, la prospérité, elle, est désirable. On peut critiquer la croissance et ses indicateurs, mais proposer la décroissance, c’est chanter un air funèbre.

La lutte contre le changement climatique est l’un des enjeux majeurs de notre temps. L’accord de Paris enjoint à tous les États réunis d’éviter une hausse des températures de plus de 2°C avant la fin du siècle. L’Europe s’est voulue plus ambitieuse : moins de 1,5°C et la neutralité carbone dès 2050. Mais 1,5°C, nous y sommes déjà. Avons-nous été désinvoltes en fixant nos objectifs ? Rien n’est plus effrayant que ces images qu’on nous montre à loisir : des courbes qui ne cessent de monter, celles des émissions, des consommations de fossiles, et tout à coup elles plongent pour respecter nos engagements, si vite qu’il est impossible d’y croire. Oui nous avons manifestement sous-estimé l’ampleur de la tâche et nous sommes obligés d’organiser rapidement l’adaptation de nos territoires, de notre littoral et de nos villes aux températures élevées et aux variations des précipitations, insuffisantes ou excessives. Chaque commune devra cartographier ses nouveaux risques à l’aune d’un réchauffement de 4°C.

Il faut maintenant être sérieux, déterminé, persévérant, en évitant la surenchère des objectifs et les volte-face décourageantes. Décarboner, c’est très largement industrialiser car il faut construire les centrales électriques, renouvelables et nucléaires, et les réseaux pour les relier, produire les pompes à chaleur, les électrolyseurs, les batteries, les matériaux et les machines. Décarboner, c’est très largement électrifier et numériser, assurer la complémentarité entre l’électricité pilotable et l’électricité météo-dépendante, baisser le prix de l’électricité pour favoriser sa pénétration et assurer la compétitivité de l’économie. L’Europe doit s’atteler à cette électrification bas carbone de l’industrie, des transports, des bâtiments tout en restant neutre dans le choix des techniques.

Décarboner enfin, c’est très largement chasser le gaspi, accorder sobriété et satiété, obtenir le soutien de la population. Il faut évidemment permettre à tous d’acheter un véhicule électrique et de le recharger. Sans doute dialoguer avec la Chine qui offre des véhicules bon marché. Il faut aider nos concitoyens à améliorer leur logement, mais pas les obliger à tout rénover et calfeutrer en une fois. C’est beaucoup trop cher. Peut-être commencer modestement par les combles et les vitrages. Donnons compétences et moyens aux groupements de collectivités locales. Améliorons le DPE et cessons de pénaliser le chauffage électrique dont les pompes à chaleur sont devenues le meilleur dispositif.

Nous aurons besoin d’investissements massifs, si massifs qu’ils ne tiendront pas dans les budgets contraints et la règle des 3%. Il faudra sans doute inventer un « compte spécial transition » doté d’une taxonomie spécifique mise au point avec l’excellent secrétariat à la planification. Nos députés devront bien inventer un mécanisme de ce genre, à la façon de la Caisse de l’énergie d’après-guerre. Nous devons faire émerger cette nouvelle économie parce qu’elle est non seulement garante du respect de la nature et du bien-être des Européens, elle est aussi indispensable à leur souveraineté.

La France avait naguère le rêve de conduire l’Europe comme un cornac sur son éléphant, mais les nouveaux membres épris de vengeance contre la Russie ne jurent que par les Etats-Unis. Pas de chance, le Royaume-Uni est parti, laissant l’Allemagne dominer l’Union. Nous restons hésitants : l’avenir de la France est-il dans une future nation européenne ou dans une Europe des nations souveraines ? Jusqu’où les économies d’échelle justifient-elles une intégration accrue ? Les médias n’éclairent pas le dédale européen. Vous non plus chers parlementaires. Trop compliqué, trop technique, trop ennuyeux. Nos élections européennes sont très franco-françaises. Nos représentants au Parlement européen sont isolés, ils maîtrisent mal l’anglais et perdent des postes d’influence. Ils devront pourtant s’appliquer parce que beaucoup de nos lois sont décidées à Bruxelles et Strasbourg dans des procédures compliquées donnant le dernier mot aux experts. L’Europe règlemente dans le détail, établit ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas, empiète sur les compétences de ses membres et finit par entraver son propre développement alors que les Etats-Unis et la Chine se donnent plus de liberté et créent plus de richesses. L’Europe ne suit pas de plan préétabli, elle progresse cahin-caha, fait partie du paysage. Survivrait-elle à la guerre ?

Un écologiste de mon époque, un tantinet conservateur, apprécie l’art de vivre français et cherche à le préserver. Cet art a son histoire et sa langue, il est chargé des Fables de La Fontaine et des poèmes d’Eluard, de cent romans, peintures et films, des dons de la nature et des chefs étoilés, il est pétri d’humour, de courtoisie et de bon sens, il est porté à la justice et à l’entraide. Veut-on cultiver cet art ? Je suis préoccupé par le spectacle de nos rues où les incivilités sont nombreuses. Je m’inquiète des églises qui brûlent. Je ne comprends pas pourquoi des femmes voilent une partie de leur visage alors que notre pays est celui qui célèbre leur beauté et prend plaisir à créer pour elles une mode toujours renouvelée. Faut-il renoncer à la perle de notre culture, le mystère de l’attraction entre une femme et un homme, la séduction du regard, le marivaudage charmant, le bonheur qui passe ? Fini tout ça ou suis-je décidément dépassé ?

Chers parlementaires, vous avez repris la main sur le pouvoir, acceptez de l’exercer pour le bien commun. Je m’étonne que le front républicain qui va de la gauche à la droite et gagne les élections refuse ensuite de gouverner ensemble. Ce n’est pas logique, ou alors il ne fallait pas le constituer. Ce temps qui passe, j’espère qu’il ne sera pas perdu, que les Français garderont moral et courage, que les entrepreneurs seront encouragés à persévérer, que les investisseurs ne partiront pas. Je souhaite que vous votiez de bonnes lois, et permettiez au gouvernement d’agir. Nous avons besoin de boussoles. Je n’ose vous faire de recommandations, mais vous savez que la politique mérite mieux que des ultimatums partisans. Il faut trouver les bons compromis. Le monde est devenu dur. Nous manquons tous de cœur.

Je m’en voudrais enfin de ne pas féliciter le Parlement lorsqu’il montre sa volonté et sa capacité à contrôler l’exécutif. Je pense à la Commission d’enquête présidée par Raphaël Schellenberger « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France », dont Antoine Armand était le rapporteur. Quel excellent travail. Nous savons depuis que nous avons négligé, voire saboté, notre industrie nucléaire. Elle a du mal à s’en remettre. Son avenir en France est lié à la réussite des EPR et sans doute à l’arrivée des neutrons rapides. Chers parlementaires, nous avons besoin d’électricité nucléaire pendant la nuit et pendant l’hiver. Elle est encore un peu chère, mais sa commère l’électricité solaire sera notre meilleure alliée pour baisser le coût de l’électricité, du moins si nous cessons de mégoter les surfaces fournies aux centrales photovoltaïques.

Chers parlementaires, je vois que vous êtes d’humeur querelleuse. Mais combattre un adversaire politique n’a de sens que pour une bonne cause. Eclairer l’avenir, montrer la voie, donner confiance, c’est aussi votre rôle. N’y manquez pas. Les jeunes ont besoin de croire en vous, de se sentir épaulés, d’être rassurés sur les lendemains et de se mettre avec ardeur à la grande bifurcation de nos sociétés. Qu’y a-t-il de plus enthousiasmant que de bâtir le monde meilleur ?

Brice Lalonde