La France vue de l’étranger… Comment les pays de l’UE analysent-ils la crise législative que nous traversons ? Et quelle est l’ambiance qui règne aujourd’hui dans les couloirs de l’Assemblée ? Analyse de Marina Yaloyan, spécialiste des affaires internationales, Membre correspondante du Comité de l’Europe et Professeur à HEC...
Diviser pour mieux régner.
Emmanuel Macron pratique cette stratégie avec brio depuis le début de son arrivée à l’Elysée. Accusé de « machiavélisme », il affaiblit la gauche et la droite au profit du centre et du choix électoral « par défaut » face aux extrêmes. Sauf que cette fois-ci, le cynisme stratégique d’un « en même temps » se retourne contre lui. À l’issue du deuxième tour des législatives, le pays semble désormais fracturé entre deux extrêmes et renie le modèle « républicain » composé d’une droite divisée, du centre et des socialistes modérés.En essayant d’éviter la majorité absolue pour le RN au deuxième tour et en utilisant le Nouveau Front Populaire pour minimiser la casse pour son propre parti, Emmanuel Macron a-t-il ouvert la boîte de Pandore ?
En France, comme chez nos partenaires européens, c’est ce que l’on redoute…
« Pour les Français, ce n’est pas rien de voir que l’on s’est ligué pour empêcher la victoire du premier parti de France et de voir aussi que l’un des principaux artisans de ce ”barrage républicain”, soit LFI, un parti habitué à l’irrespect des règles, à la violente rhétorique, complaisant et complice avec l’islamisme et l’antisémitisme », souligne Dominique Reynié, Directeur général de Fondapol.
Une chose est certaine, les résultats des législatives anticipées plongent la France dans une paralysie sans précédent.
Vu de l’étranger, le New York Times déplore « La France presque ingouvernable à l’approche des Jeux olympiques de Paris ».
The Guardian (Royaume-Uni) annonce « un résultat conforme aux attentes » et regrette « un Parlement sans majorité, composé de trois blocs opposés, aux programmes extrêmement différents et n’ayant aucune tradition de coalition contrairement à de nombreux pays en Europe ».
Le Temps (Suisse) se pose la question : « comment le pouvoir se partagera-t-il dans ce pays qui ne connaît pas la culture du compromis ? ».
Et pourtant, ce compromis est urgent à trouver.
Au moins, c’est ce que l’exécutif exige, avant la nomination du futur Premier Ministre. Les tensions et l’incertitude règnent derrière les portes fermées des bureaux de l’Assemblée où les discussions s’enclenchent – pour former des Groupes parlementaires et des alliances qui négocient la constitution du potentiel Gouvernement, mais aussi les postes clés de la Présidence de l’Assemblée. Tout le monde en est persuadé : la majorité qui va émerger du chaos ne sera probablement pas en mesure de résister à la première motion de censure.
Au sentiment de l’incertitude s’ajoute également un goût d’amertume. Tant au sein du RN qu’au Nouveau Front populaire, on considère qu’Emmanuel Macron a volé ou souhaite leur voler la victoire. Car on ne peut pas nier la réalité des urnes, la majorité des Français ne vote plus pour le centre ou pour la « droite molle », comme on l’entend dans les couloirs de l’Assemblée de Strasbourg.
En Espagne, le Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez, se félicite que la France et le Royaume-Uni aient opté pour un « rejet de l’extrême droite et un engagement ferme en faveur de la gauche sociale ».
En effet, la France présente désormais deux visions polarisées, entre d’un côté la mosaïque des coalitions qui constitue le Nouveau Front Populaire, avec 170 sièges et 7 millions de voix et de l’autre, le RN, émergé à lui seul comme la première puissance politique du pays, avec 143 sièges et 10 millions d’électeurs.
Dans ces circonstances, le souhait d’Emmanuel Macron de continuer à gouverner avec une majorité « républicaine » à l’Assemblée « sans les extrêmes » semblerait paradoxalement bafouer les principes mêmes du suffrage universel.
« C’est le retour du droit de veto royal sur le suffrage universel. Emmanuel Macron prétend donner du temps pour former une autre coalition par magouilles après les élections ! » s’indigne Jean-Luc Mélenchon.
« Cette manière de gouverner, avec arrogance et toute puissance, personne à gauche ne souhaite la reproduire », surenchérit François Ruffin, Député de la Somme, en rupture avec LFI.
Mais pour le moment au moins, la gauche surjoue encore la victoire, même si la coalition du Nouveau Front Populaire, bricolée à la hâte, se fissure d’ores et déjà de l’intérieur.
The Guardian parle d’ailleurs des élections françaises en mentionnant « un système politique épuisé ». Tout est dit !
Raphaël Arnault, un fichier S est élu Député, Sandrine Rousseau se voit Présidente de l’Assemblée, l’ancien Député de LFI souhaite organiser une marche sur Matignon (!), sans mentionner les divergences idéologiques entre les différents partis incapables de se mettre d’accord pour appliquer un programme cohérent et surtout réaliste.
D’ailleurs, Bruno Le Maire ne mâche pas ses mots : « Le programme économique du Nouveau Front populaire est un délire total, c’est 1981 puissance 10, c’est l’assurance du déclassement, du chômage de masse et de la sortie de l’Union Européenne. »
Car in fine, les promesses électorales n’engagent que ceux qui les écoutent, comme le rappelait Jacques Chirac ! Or, croire que sans la majorité absolue, le nouveau Front Populaire arriverait à augmenter le Smic à 1600 euros net par mois semble, objectivement, pour le moins difficile…
Au menu également, la réinstauration de l’ISF. Un rapide coup d’œil indique le chemin strictement inverse pris par une série d’États depuis des décennies : l’Autriche (1993), le Danemark (1995), l’Allemagne (1997), les Pays-Bas (2001), la Finlande (2006) ou même la Suède,(2007), ce dernier étant pourtant considéré comme socialiste, mais qui a également supprimé l’impôt sur les successions.
Côté sécurité, la France resterait aussi isolée, avec la suppression des dernières lois sur l’immigration, la facilitation des voies légales de la naturalisation, ainsi que l’instauration du statut de « déplacé climatique ».
Il convient de rappeler ici le Pacte européen sur la migration et l’asile adopté par le Conseil de l’Union européenne le 14 mai 2024. Il s’agit d’une réforme des règles européennes en matière de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne (UE) et de gestion des demandes d’asile, ce qui concerne donc directement le nouveau Gouvernement, quel qu’il soit.
LFI revendique également la fin de l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires, la remise en cause de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école ou l’autorisation du Burkini dans les piscines. Rappelons, pourtant, que 8 Français sur 10 se sont opposés au port de l’abaya.
En somme, des propositions incongrues qui ne peuvent mener qu’à une confrontation avec les autres partis et rendre l’Assemblée ingouvernable.
Gérald Darmanin le confirme, sans équivoque : « Je ne peux pas accepter que Madame Rousseau puisse participer à un Gouvernement. Madame Tondellier, également, a des discours extrêmement ambigus sur la laïcité et était du côté de ceux qui avaient envoyé les pavés sur la tête des gendarmes. Je censurerai immédiatement le Gouvernement qui vient de cette gauche-là ! »
Cependant, ce barrage proclamé le lendemain des élections des Macronistes envers LFI, est vu comme une hypocrisie sans précédent dans tous les camps, à gauche, comme à droite.
« Emmanuel Macron propose de faire barrage à LFI qu’il a contribué à faire élire il y a trois jours et grâce à qui les Députés Renaissance ont été élus, il y a également trois jours… Ce cirque devient indigne », considérait Marine Le Pen au lendemain des élections.
Jordan Bardella, à son tour y voit « l’alliance du déshonneur et les arrangements électoraux passés entre Emmanuel Macron et l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon ».
Depuis leur arrivée à l’Assemblée, les Députés RN font plutôt profil bas. Ils ont, certes, presque doublé le nombre de sièges, passant de 89 sièges à 143, mais ils ont néanmoins essuyé une défaite et n’ont pas eu la majorité absolue souhaitée pour pouvoir appliquer leur programme.
Jordan Bardella, qui semble avoir réussi à métamorphoser l’image du parti malgré quelques candidatures invraisemblables, qui ont été depuis écartées, envisageait notamment la baisse des factures de l’électricité et des prix des produits de première nécessité, le renforcement de la sécurité avec des peines planchers appliquées, la suspension des allocations familiales aux parents des mineurs récidivistes, l’expulsion des délinquants et criminels étrangers, ainsi que la fin de la gratuité des soins pour les étrangers en situation irrégulière…
Un programme qui, si l’on sait lire entre les lignes, n’est pas si éloigné de celui de la Droite Républicaine (DR) qui souhaite, elle aussi, moins d’immigration, plus de sécurité et plus de pouvoir d’achat… À voir si, oui ou non, cette alliance des droites (tant attendue pas certains !) pourrait se mettre en place…
En fin de compte, comme certains de ses proches le disent entre haut et bas, Emmanuel Macron ne se serait-il pas trompé d’adversaire ?
Voire pire : le Maître des horloges, en essayant de gagner du temps n’a-t-il pas finalement cassé le ressort de la Vème République ? Car, comme aimait à le rappeler Beaumarchais, l’horlogerie n’est pas une science, mais un art bien délicat !
Marina Yaloyan