Philippe BOLO
Député du Maine-et-Loire
Membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Secrétaire de la Commission spéciale chargé d’examiner le projet de loi de simplification de la vie économique
Les plastiques : une menace invisible pour la santé et l’économie.

Député du Maine-et-Loire
Membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Secrétaire de la Commission spéciale chargé d’examiner le projet de loi de simplification de la vie économique



Pouvez-vous nous rappeler les conditions d’écriture du premier Rapport que vous avez rédigé avec la Sénatrice Angèle Préville ?
Le Rapport a été commencé en septembre 2019. Et la Covid est arrivée. En règle générale, pour les rapports longs comme celui-ci, entre 40 et 50 auditions sont réalisées. Mais en confinement, avec un emploi du temps très allégé, nous avons, de la mi-mars à la fin juin, du lundi au vendredi, de 9h à 18h, auditionné à nous deux 450 personnes. Le Rapport a été remis en décembre 2020 dans le cadre de l’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Il a ensuite bénéficié d’un écho que nous n’imaginions pas. Depuis, je consacre presque 25% de mon temps à ces sujets liés aux plastiques, à leur pollution, aux emballages et à l’économie circulaire.
Pourquoi avoir décidé d’actualiser ce premier Rapport de 2020 ?
En 2022, lors de la législature suivante, nous nous sommes posés la question de la réactualisation de certains sujets en raison des évolutions survenues depuis le premier rapport. Nous avons ainsi rédigé une note sur le recyclage.
Ensuite, fin mai 2023, alors que le Traité international pour mettre fin à la pollution plastique faisait étape à Paris, nous nous sommes penchés, dans un nouveau rapport, sur ses enjeux scientifiques et technologiques. Plus récemment, en décembre 2024, à l’occasion de la dernière séquence de négociation du Traité, à Busan en Corée du Sud, j’ai constaté que si les sujets de la réduction de la production, ne faisaient pas consensus, en raison notamment des intérêts économiques, le sujet sur la santé suscitait moins de divergences. Ce fut l’occasion de demander à dix scientifiques, dix jours avant Busan, de dresser l’état des connaissances actualisées sur l’impact des plastiques sur la santé. De plus en plus de scientifiques alertent sur la présence des microplastiques dans le corps humain et la dangerosité de certaines substances associées aux plastiques.
Vous parlez de pollution macroplastique et de pollution micro et nano plastique, quelles sont leurs différents impacts ?
En effet, il y a la pollution plastique visible, c’est celle qui va se retrouver sur les plages, dans les rues, etc. Mais existe une pollution invisible et insidieuse, celle des micro et des nanoplastiques, avec des impacts qui sont loin d’être négligeables. Autant sur la biodiversité, ils sont assez bien documentés, c’est-à-dire que les chercheurs sont capables de montrer l’altération des grandes fonctions que sont l’alimentation, la mobilité, la prédation, la reproduction, induisant des impacts sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. Autant sur la santé humaine, des incertitudes demeurent. Il y a deux dimensions impactantes : la dimension des particules, physique, faites de petites particules, de petits grains très fins, voire invisibles et l’autre dimension, chimique, qui est totalement différente.
Quelles sont les arguments des scientifiques sur la pollution par les particules ?
Des lacunes méthodologiques persistent parce que nous sommes en face de particules qui ont des tailles différentes, parfois difficiles à détecter et en plus avec des formes diverses. Cela peut être des fibres, aux multiples aspects géométriques et des différents polymères. Vous imaginez qu’avec ces trois paramètres-là, il n’y a pas une méthode unique et universelle pour aller les rechercher, les identifier et les quantifier.Ensuite, il est difficile d’évaluer la quantité qu’un individu ingère par jour.
Il y a eu le fameux chiffre de la carte de crédit qu’on ingérerait par semaine, est-ce représentatif ?
Il s’avère que oui, dans certains régimes alimentaires. Mais c’est très variable, selon la position géographique des personnes, la façon dont elles se nourrissent. Certains chiffres sont bien inférieurs et d’autres supérieurs, il n’existe pas de consensus sur ce sujet-là. Ce qui est certain, c’est que nous en ingérons !
Des expérimentations ont lieu en laboratoire où des cellules sont mises en contact avec des corps plastiques. Mais il y a un biais. C’est-à-dire que ce qu’on trouve aujourd’hui c’est du polystyrène de forme ronde et sans nécessairement tous les additifs que l’on peut trouver dans la nature. Reproduire les phénomènes naturels en laboratoire n’est pas si évident. Les chercheurs ne disposent pas de la diversité et la variabilité présentes dans le milieu naturel.
Vous parliez des signaux d’alarme concernant la santé humaine, vous pouvez nous donner trois exemples ?
Les recherches qui ont été faites démontrent que du plastique se retrouve dans le cerveau, dans le lait maternel, le placenta, les testicules, le sang, dans les poumons. Que toutes les grandes fonctions biologiques de l’homme et de la femme – système nerveux, système sanguin, système reproducteur… – sont concernées.
Le premier exemple concerne le microbiote intestinal. Les micro-organismes que nous avons dans le système digestif contribuent à notre santé par leur équilibre et leur métabolisme. Lorsque ces populations sont déséquilibrées, c’est l’inverse. Or, les micro-plastiques auraient tendance à favoriser des populations de micro-organismes qui ne seraient pas les plus à même de contribuer à notre bonne santé. À titre d’exemple, le butyrate, qui est un acide gras formé par la flore intestinale chez l’enfant, ne serait pas en quantité équivalente à un organisme qui serait exempt de ces micro-plastiques.
L’autre exemple concerne les poumons où il se produit un phénomène biologique qui est la clairance mycociliaire. Ce sont les cils, associés à nos cellules dans le système respiratoire, qui évacuent les corps étrangers. Ils les remontent vers la gorge, vers le nez.
Dans certains cas, les micro-plastiques arrivent à échapper à ce mécanisme d’élimination et se retrouvent dans le sang, voire dans les organes profonds via leur mobilité dans le système nerveux.
Le troisième exemple concerne les chirurgies carotidiennes après des accidents cardio-vasculaires. Les observations des plaques carotidiennes qui ont été prélevées chez les patients montrent que plus il y a de micro-plastiques, plus les conséquences des accidents sont importantes.
En outre, certains de ces plastiques interfèrent entre eux et donnent des réactions chimiques ?
Nous méconnaissons toutes les molécules qui sont ajoutées aux plastiques. L’élément important à regarder, c’est que nous en sommes imprégnés.
Au sujet de ces molécules, il existe 16 000 substances chimiques qui sont associées aux polymères permettant de fabriquer des plastiques, leur apportant des propriétés plastifiantes, de résistance au feu, aux ultraviolets, antioxydants, des couleurs, etc. Mais ils peuvent venir également de réactions chimiques, avec formation de composés, qu’on nomme des niaces.
Sur ces 16 000, 10 000 sont méconnues. Et Il n’y en a que 6 % qui sont réglementés à l’international. Il existe donc énormément d’angles morts et de zones d’ombre qui posent un certain nombre de problèmes. D’autres chiffres sont intéressants à signaler, car les plastiques peuvent aussi servir de cheval de Troie. C’est-à-dire que les plastiques présents dans l’environnement qui se dégradent, qui forment des microparticules, sont au contact d’autres polluants que l’on retrouve dans l’environnement. Et par leur propriété de surface, ils auraient tendance à les absorber.
On se retrouve avec, possiblement, via l’alimentation, notamment d’animaux, qui, eux-mêmes , ont filtré ou consommé ces microplastiques, confrontés à des molécules présentes dans l’environnement. Les poissons, les fruits de mer, les organismes filtreurs, les huîtres, tous les coquillages, qui se nourrissent par filtration de l’eau, sont les plus porteurs.
Deux chiffres sont importants à retenir : 25% des 14 000 substances présentes dans les matériaux plastiques en contact avec les aliments, sont identifiés dans le corps humain.
Sur l’ensemble de la population, vont se retrouver dans la formule sanguine des substances utilisées dans les emballages plastiques alimentaires.
D’autre part, 15% de la population européenne présente des réponses positives à des composés perfluorés, les fameux PFAS (dénommés polluants éternels) dont 4 d’entre eux au-delà du seuil tolérable. C’est l’épiphasme le plus fréquent où la toxicité est reconnue à tous les âges de la vie. Il y a une imprégnation fœtale lors de la grossesse, pouvant engendrer des malformations des organes génitaux des filles et des garçons.
Les hormones fonctionnent comme des clés qui ouvrent un certain nombre de réactions dans l’organisme. Certaines molécules ajoutées aux plastiques miment le comportement des hormones. On parle de perturbateurs endocriniens. Ce mimétisme peut venir bloquer la serrure, qui ne marche plus exactement de la même façon, surtout au stade du développement du jeune enfant et de l’adolescence.

Vous avancez aussi le coût financier de cette pollution qui avoisinerait les 675 milliards de dollars, une fois et demie le budget de l’État en France !
La Fondation Minderoo a évalué à 675 milliards de dollars aux États-Unis le montant des dommages liés aux maladies et aux décès provoqués par seulement trois perturbateurs endocriniens.
Il faut certes prendre ce chiffre avec précaution, parce qu’il n’y a qu’une étude. Mais cela donne un ordre de grandeur à mettre en balance la réputation du faible coût de production des plastiques, pour les usages d’emballage notamment.
Si nous regardons les conséquences de ces additifs sur la santé humaine, notamment ceux qui sont au contact des aliments, ce n’est plus exactement la même logique. Le plastique n’est plus un matériau bon marché en raison des conséquences économiques de ses effets négatifs sur la santé. Et encore, sans prendre en compte une autre dimension financière, celle de l’impact sur la biodiversité, qui, elle aussi, a un impact sur la santé humaine. Il faut donc élargir les critères de l’analyse du cycle de vie des plastiques.
Vous avez formulé neuf recommandations, pouvez-vous nous les détailler ?
Elles ont été écrites pour être applicables dans la perspective du Traité international.
– La conclusion d’un traité ambitieux et juridiquement contraignant. Il n’est jamais inutile de rappeler les fondamentaux du traité. Il doit s’intéresser au problème du plastique tout au long de son cycle de vie, de l’extraction du pétrole, jusqu’aux déchets, dans la mer, les eaux douces, l’air, les sols. Un autre grand principe du traité est qu’il ne doit pas regarder uniquement le sujet sous l’angle de la gestion des déchets.
– Une diminution significative la production et de la demande des plastiques vierges. Je ne suis pas un adepte de la décroissance mais il existe un lien direct entre l’augmentation de la production de plastiques vierges, l’augmentation des déchets et l’accumulation des micro et nanoplastiques dans les organismes vivants, en particulier le corps humain.
– Le renforcement des capacités des Gouvernements et des scientifiques. La promotion d’une expertise et d’une science indépendantes, notamment à travers des financements pérennes, est également indispensable.
– Imposer aux industriels une plus grande transparence sur les substances chimiques en s’appuyant sur le principe « pas de données, pas de marché ». Sachant que pour les 2/3 des substances chimiques, il n’existe aucune information sur leur dangerosité potentielle et pour 60% d’entre elles, il n’y a pas d’information sur leur utilisation ou leur présence dans les matériaux et produits plastiques. Les États doivent privilégier une approche commune à travers l’édiction de normes claires sur le type d’information à récupérer auprès des parties prenantes tout au long de la chaîne de valeur.
– Réduire le nombre de substances chimiques utilisées dans la formulation de polymères.
– Améliorer l’efficacité de la réglementation des substances chimiques à travers une approche par groupes de substances chimiques basés sur leur dangerosité. Les scientifiques proposent une approche fondée sur la dangerosité et non sur le risque afin d’identifier plus rapidement et efficacement les substances préoccupantes qui exigent la prise de mesure. Les 10 000 produits chimiques pour lesquels il n’existe pas de données doivent être évalués et réglementés en priorité.
– Développer les analyses de cycle de vie plus complètes pour mieux évaluer les externalités négatives liées à la production et à l’usage des plastiques.
– Définir des critères pour aider à l’élimination des plastiques non essentiels.
– Limiter les pertes dans l’environnement. Il est nécessaire de partager les bonnes pratiques et les technologies existantes afin d’aider techniquement et financièrement les pays en développement à améliorer leurs systèmes de gestion des déchets pour pouvoir faire face à leur augmentation.
Propos recueillis par
Patricia de Figueirédo