Aurore Bergé
Députée des Yvelines
Présidente du Groupe Renaissance
Marine Le Pen
Députée du Pas-de-Calais
Présidente du Groupe Rassemblement National

Quelle est la position du Groupe que vous présidez sur les difficultés énergétiques liées à la crise ukrainienne ?

Aurore Bergé :

Il faut commencer par rétablir une vérité : l’invasion russe est responsable des difficultés énergétiques et non les sanctions en réaction à cette guerre. Les tentatives d’intimidation de la part de la Russie, qui a arrêté les livraisons de gaz russe pour l’Europe de l’Ouest malgré les contrats passés entre États, doivent être combattues avec toute la dureté nécessaire. Notre Groupe est ferme et salue les séries de sanctions qui ont été prises contre la Russie.

Dès mars, face à cette crise, notre priorité a été de protéger les Français. Avec le bouclier tarifaire notamment. Si les tarifs réglementés avaient reflété les prix réels, ils auraient dû augmenter de 45% au lieu des 4% ! Ce bouclier tarifaire est prolongé en 2023. Nous avons bien plus protégé nos concitoyens que nos voisins, car c’est notre priorité. Mais l’Etat ne peut pas subventionner éternellement le coût de l’électricité et du gaz. La solution de long terme aux difficultés énergétiques que nous connaissons ne pourra qu’être européenne. Et la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen a présenté des pistes encourageantes, notamment avec la proposition de révision structurelle du marché européen de l’électricité. L’Union européenne doit également continuer à diversifier ses approvisionnements énergétiques au travers des énergies renouvelables et la création d’une Banque européenne de l’hydrogène est à cet égard un réel pas en avant. Ce n’est qu’unis que nous pourrons faire face à cette crise et trouver des solutions pérennes, car il ne faut pas être dupes : sans l’Europe, nous serions bien plus fragiles et non l’inverse comment certains le prétendent.

Marine Le Pen :

Comme vous le savez, j’ai toujours considéré que mon fil rouge était la défense des Français… Je suis donc au côté des Français qui subissent de plein fouet la crise énergétique actuelle et qui interpellent le Gouvernement sur les causes et les conséquences d’une politique qui semble les avoir oubliés. Aujourd’hui, nous pouvons clairement affirmer que les victimes des sanctions énergétiques visant la Russie, ce sont les Français. Le constat de l’échec de notre politique énergétique fait consensus, nous sommes englués dans une crise sans précédent et les scénarios de sortie sont aussi chaotiques qu’incertains.

Ce que je déplore, c’est le développement irrationnel des énergies intermittentes et cela dans le contexte d’une libéralisation du marché européen qui a pour conséquence l’aggravation de notre dépendance commune aux importations de gaz. Le bouclier tarifaire, c’est la double peine pour les Français ! Ils subissent, d’une part, une hausse de 15% des tarifs de l’électricité et du gaz et, d’autre part, ils vont devoir le payer par leurs impôts. Face à la flambée des prix de l’énergie, il est plus qu’urgent de décorréler le prix de l’électricité du prix du gaz et d’abaisser le seuil de la TVA sur le produit, parce que l’électricité est un bien de première nécessité, de même qu’il faut sortir du marché européen. Ce sont les priorités d’action qui pourraient nous permettre d’encaisser le coup de la crise moins brutalement. À cela, il faut ajouter une solution d’approvisionnement à plus long terme qui suppose de relancer un parc nucléaire de qualité.

Concernant la loi sur la bioéthique et la fin de vie, votre Parti laissera-t-il une liberté de vote à ses membres ou, s’il y a discipline, quels seront les grands axes que vous défendrez ?

Aurore Bergé :

Les sujets éthiques sont complexes et intimes… Nous avons tous des histoires personnelles qui nous guident et par conséquent autant de réponses que de Députés peuvent exister. C’est pour cela qu’aucune consigne de vote ne sera jamais donnée sur ces questions. Le sujet de société qui est celui de la fin de vie irrigue le débat public depuis de nombreuses années. Nous ne devons pas le taire. Notre responsabilité est d’abord de garantir un débat digne et respectueux afin que chacun puisse être éclairé. Le Président de la République a annoncé une Convention citoyenne qui met autour de la table toutes les parties prenantes. L’ensemble de la société doit pouvoir y prendre part.

Marine Le Pen :

La loi sur la bioéthique et la fin de vie sont des sujets qui touchent à l’intime et relèvent de la conscience propre à chacun. Par conséquent, les Députés membres du Rassemblement national jouiront d’une totale liberté de vote sur le sujet. À titre personnel, je suis opposée à l’euthanasie et au suicide assisté, termes qui ne figuraient pas dans le programme du Rassemblement national pour les élections présidentielles. A propos de la fin de vie, j’estime que la loi Léonetti dont nous disposons est bien faite et que rien ne suggère de la dépasser… Pour moi, c’est la barrière à ne pas franchir. Il n’y a, par ailleurs, aucune urgence à légiférer sur la fin de vie pour le moment. Néanmoins, si une telle législation doit voir le jour, elle ne peut passer que par référendum, car il me semble que c’est aux Français de prendre les décisions à ce sujet.

En revanche, l’urgence se situe bien dans l’évolution des moyens que nous accordons aux soins palliatifs, qui doivent faire l’objet d’une attention toute particulière. En matière de gestion de la douleur en fin de vie, nous avons encore énormément à faire. Rappelons en effet qu’il y a un quart des Départements où il n’existe toujours pas de centre de soins palliatifs. Il faut des formations de personnel spécifiques dans les EHPAD pour accompagner les personnes en fin de vie. Si l’on arrive à intégrer la gestion de la douleur dans notre rapport à la fin de vie, alors il y aura certainement moins de réclamations pour passer ce palier de la mort.

A ceux qui me parlent de dignité, de droit à mourir sans être un légume que l’on maintient en vie à coup de traitement, je réponds qu’il y a toujours de la dignité. Je pense en effet qu’il y a toujours de la dignité, y compris lorsque la maladie handicape au plus au point. Ce qui fait perdre la dignité, c’est de souffrir atrocement sans avoir de réponse.

Comment votre Groupe juge-t-il l’actuelle Loi de Programmation Militaire, qui devrait atteindre 44 milliards en 2023 ? Quels seraient les correctifs prioritaires qu’il y aurait lieu d’y apporter ?

Aurore Bergé :

En 2017, un constat clair a été posé : la Loi de Programmation Militaire doit permettre à notre Défense de réparer ses fragilités, mais aussi de se préparer sur le long terme en anticipant les nouveaux risques. Cela passe par une ambition budgétaire inédite. Sous les précédents quinquennats, le budget de la défense était non seulement insuffisant, mais surtout systématiquement revu à la baisse en cours d’année. Nous avons affirmé que ce budget ne pouvait plus être une variable d’ajustement. Nous tiendrons le budget que nous nous sommes fixés et nous l’augmentons. Après trois années d’augmentation de 1,7 milliard d’euros, c’est une prévision de 3 milliards d’euros qui est faite dans le projet de loi de finances 2023. Cette marche permettra de porter le budget de nos armées à 44 milliards d’euros en 2023.

Nous accompagnons nos militaires sur le terrain et nous allons plus loin en donnant à cette LPM une réelle dimension humaine. Nous ne dissocions plus leur vie professionnelle et leur vie personnelle. À titre d’exemple, en 2021, nous avons dépassé notre objectif de créer 20% de places de crèches supplémentaires réservées aux personnels. Depuis le début de l’année 2022, nous avons lancé la rénovation de l’ensemble du parc de logement domanial et mettrons 7 000 logements supplémentaires à disposition de nos militaires et de leurs familles.

Marine Le Pen :

Il apparaît clair que les deux dernières Lois de programmation militaire de désarmement (2009-2012, puis 2014-2019) ont considérablement amputé notre appareil de défense militaire et industriel : par conséquent, l’actuelle LPM n’est rien d’autre qu’une loi de pansement qui, en plus d’arriver trop tard, n’est toujours pas à la hauteur des enjeux que doit susciter l’effort national en faveur de la Défense. L’Armée française doit être une armée des ambitions, pas des contraintes budgétaires. L’investissement massif et durable qui doit être celui de notre industrie de défense ne peut plus souffrir des impasses héritées des LPM passées et doit impérativement figurer dans celle qui verra le jour en 2023. 

Or, les prévisions concernant la prochaine LPM ne garantissent pas non plus le renforcement de notre souveraineté, tout comme l’actuelle LPM qui applique une insuffisante évolution de +1,7 milliard d’euros par an. La hausse envisagée de 2023 à 2025, attendue à hauteur de + 3 milliards d’euros par an, ne suffira pas à financer le modèle d’armée 2030, déjà fortement réduit par rapport aux ambitions passées.

Dès lors, je plaide pour un modèle d’armée indépendant, polyvalent et résilient, tout entier dirigé vers une inter-opérabilité induite du rôle majeur de la France sur la scène internationale. C’est pourquoi je propose d’établir un budget de défense de 55 milliards d’euros en moyenne annuelle.

De 2023 à 2027, la LPM doit se fixer comme objectifs principaux un effort important sur la recherche et le développement, une hausse du budget de l’équipement et du maintien en condition opérationnelle des matériels, ainsi qu’une revalorisation complète de la condition des militaires (revalorisation des soldes, modernisation des infrastructures, plan famille, plan de rééquipement individuel des militaires). La priorité est donc de proposer une augmentation nette et durable des budgets de défense, qui se traduit tout d’abord par l’application de deux principes : l’exclusion des crédits des opérations extérieures du budget de la défense (déduits du budget général de l’État) d’une part, ainsi que le fait de ne plus réserver les plus fortes hausses des budgets d’équipement aux années non couvertes par le mandat politique de ceux qui les ont votées.

Puis, des améliorations structurelles doivent être appliquées de toute urgence : regarnir les stocks de munitions dramatiquement bas ; revoir à la hausse le format humain de chacune des armées qui manquent de cadres ; accroître l’entraînement avec un réaménagement du volume des OPEX et de Sentinelle notamment et, enfin, accroître le format des armées sur le plan matériel avec le renouvellement de leurs plateformes et de leur système d’équipement trop lent et insuffisant, oscillant entre vieux matériels à faible disponibilité et matériels neufs, en trop faible quantité. Cela implique une hausse majeure des investissements tout au long de la LPM au sein des structures dédiées et des contrats opérationnels avec l’industrie nationale.

Quelle est la proposition ou la mesure phare que vous souhaiteriez mettre en avant lors des discussions afin qu’elle apparaisse comme le marqueur spécifique de votre Parti, tant au niveau parlementaire qu’auprès du grand public ?

Aurore Bergé :

Notre Groupe s’inscrit dans l’ambition de transformation de notre pays initiée dès 2017. Pour permettre cette transformation, nous devons retrouver les marges de manœuvre. Et c’est par le travail que nous réussirons : lycées professionnels, France Travail, formation et RSA, apprentissage, refonte de l’assurance chômage, retraites… Ce doit être un fil rouge. Et c’est d’abord la liberté qui est le ciment de notre action.

La liberté des femmes. La première proposition de loi que nous avons déposée avec mon Groupe vise à garantir l’accès à l’Interruption Volontaire de Grossesse et à l’inscrire dans notre Constitution. La situation américaine a résonné dans notre pays et nous a alertés : les droits des femmes ne sont jamais acquis. Notre rôle en tant que législateur est de les protéger au plus haut niveau.

La liberté des peuples aussi. Notre Groupe a déposé une proposition de résolution affirmant notre soutien à l’Ukraine. Nous tenons un discours de vérité et nous refusons de mettre sur un pied d’égalité agresseur et agressé. Oui, l’Ukraine subit aujourd’hui une invasion militaire russe et oui, nous soutenons le peuple ukrainien qui se bat pour sa liberté.

Ces deux textes portent notre engagement en faveur de la liberté. Ce ne sont pas des textes d’affichage, mais des textes identitaires. Dès la fin du mois de novembre, nous inscrirons ces textes à l’ordre du jour de notre Assemblée. Sur des sujets aussi essentiels, les oppositions devront se positionner.

Marine Le Pen :

Avec cette nouvelle législature qui commence et l’arrivée de 89 Députés du Rassemblement national à l’Assemblée nationale, notre Parti politique dispose d’un Groupe actif au Parlement. Ainsi, le 12 janvier, à l’occasion de notre niche parlementaire, nous aurons la possibilité de fixer à l’ordre du jour les thèmes de notre choix ! C’est une avancée considérable pour notre formation politique qui aura à cœur de présenter ses propositions et mesures immédiatement utiles à nos compatriotes. Nous sommes impatients de voir comment réagiront les autres Groupes.

Propos recueillis par
Pauline Wirth du Verger