Ursula von der Leyen
Ancienne Ministre,
Présidente de la Commission européenne

Pour la première fois de son histoire, ce Parlement débat de l’état de notre Union alors que la guerre fait rage sur le sol européen. Nous nous souvenons tous de cette matinée fatidique de la fin du mois de février… Aux quatre coins de notre Union, les Européens se sont réveillés, accablés par le poids des nouvelles qui arrivaient d’Ukraine. Ébranlés par le retour d’un Mal implacable. Hantés par le bruit des sirènes et la brutalité de la guerre. Mais dès cet instant, le continent tout entier s’est dressé dans un élan de solidarité. Et dès cet instant, notre Union toute entière s’est montrée à la hauteur.

Le courage de se tenir aux côtés de nos héros…

Aujourd’hui, le courage a un nom, et il s’appelle Ukraine. Le courage a un visage, celui des Ukrainiens qui résistent à l’agression russe. Je me souviens d’un moment précis, dans les premières semaines de l’invasion. La Première dame d’Ukraine, Olena Zelenska, avait rassemblé les parents d’enfants ukrainiens tués par l’envahisseur. Des centaines de familles pour lesquelles la guerre ne finira jamais et pour lesquelles la vie ne sera plus jamais comme avant. Nous avons vu la Première dame à la tête d’une foule silencieuse de parents dévastés suspendre des clochettes aux branches d’un arbre, une pour chacun des enfants disparus. Désormais, ces clochettes tinteront dans la brise et les innocentes victimes de cette guerre resteront à jamais dans nos mémoires.

Et une nation de héros s’est levée. Aujourd’hui, l’Ukraine fait front, car un pays tout entier se bat, défendant pied à pied chaque rue, chaque maison. L’Ukraine fait front, car des personnes comme le Président Zelensky, sont restées à Kiev pour mener la résistance. Et nous avons vu, ces derniers jours, combien la bravoure des Ukrainiens payait. La solidarité de l’Europe avec l’Ukraine demeurera indéfectible. Depuis le premier jour, l’Europe se tient aux côtés de l’Ukraine. En fournissant des armes. En mobilisant des fonds. En ouvrant ses portes aux réfugiés. Et en imposant les sanctions les plus lourdes que le monde ait connues. L’heure est à la détermination, pas à l’apaisement.

Il en va de même pour notre soutien financier à l’Ukraine. À ce jour, l’Équipe Europe a fourni plus de 19 milliards d’euros d’aide financière. Et c’est sans compter notre appui militaire. Nous serons là sur le long terme.

Nous donnerons également à l’Ukraine les moyens de tirer le meilleur parti de son potentiel. L’Ukraine est déjà un pôle technologique en plein essor et abrite de nombreuses jeunes entreprises innovantes. Je souhaite dès lors que nous mobilisions toute la puissance de notre marché unique pour contribuer à accélérer la croissance et à ouvrir des perspectives. En mars, nous avons raccordé l’Ukraine à notre réseau électrique. Ce raccordement devait initialement avoir lieu en 2024. Mais nous l’avons fait en l’espace de deux semaines ! Et aujourd’hui, l’Ukraine exporte son électricité vers l’Union. Je souhaite renforcer considérablement ces échanges mutuellement bénéfiques. Notre marché unique est l’une des plus grandes réussites de l’Europe. Il est aujourd’hui temps d’en faire également une réussite pour nos amis ukrainiens.

Ursula von der Leyen, dans l’Hémicycle, le 14 septembre 2022, lors du discours sur l’état de l’Union…

Un autre sujet important est à l’ordre du jour. Aujourd’hui, notre marché du gaz a totalement changé : du gaz principalement acheminé par gazoduc, nous sommes passés à des quantités croissantes de gaz naturel liquéfié. Mais la référence utilisée sur le marché du gaz, le TTF, n’a pas été adaptée. C’est pourquoi la Commission travaillera à établir une référence plus représentative. Dans le même temps, nous savons également que les entreprises dans le secteur de l’énergie sont confrontées à de graves problèmes de liquidité sur les marchés à terme de l’électricité, mettant en péril le fonctionnement de notre système énergétique. Nous travaillerons avec les régulateurs du marché pour amoindrir ces problèmes en modifiant les règles relatives aux garanties – et en prenant des mesures afin de limiter la volatilité intra-journalière des cours.

Mais tout en nous occupant de la crise immédiate, nous devons aussi penser à l’avenir. La conception actuelle du marché de l’électricité, basée sur l’ordre de préséance, ne rend plus justice aux consommateurs. Ils devraient récolter les fruits des énergies renouvelables à bas-coût. Il faut donc découpler les prix de l’électricité de l’influence dominante du gaz. C’est pourquoi nous allons entreprendre une réforme complète et en profondeur du marché de l’électricité.

Je voudrais à présent aborder un point important. Il y a un demi-siècle, dans les années 70, le monde a vécu une autre crise des combustibles fossiles. Certains d’entre nous se souviennent des week-ends sans voiture pour économiser de l’énergie. Et pourtant, nous avons continué sur la même voie. Nous ne nous sommes pas libérés de notre dépendance au pétrole. Pire même, les combustibles fossiles ont été massivement subventionnés. C’était une erreur, pas uniquement pour le climat, mais également pour les finances publiques, et pour notre indépendance. Et nous en faisons encore les frais aujourd’hui. Seuls quelques visionnaires ont compris que le véritable problème tenait aux combustibles fossiles eux-mêmes, pas uniquement à leurs prix. Parmi eux, il y avait nos amis danois. Lorsque la crise du pétrole a éclaté, le Danemark a commencé à investir massivement dans l’éolien. Il a posé les fondements qui ont fait de lui le leader mondial dans le secteur et a créé des dizaines de milliers d’emplois. C’est cette voie qu’il nous faut suivre ! Nous devons viser non pas des solutions à court terme, mais un changement de paradigme, un saut dans l’avenir.

Maintenir le cap et se préparer pour l’avenir…

La bonne nouvelle est que cette transformation nécessaire a commencé. Elle a lieu en mer du Nord et en mer Baltique, où nos États membres ont massivement investi dans l’éolien en mer. Elle a lieu en Sicile, où la plus grande usine solaire d’Europe produira bientôt la toute dernière génération de panneaux solaires. Et elle a lieu dans le nord de l’Allemagne, où les trains régionaux roulent désormais à l’hydrogène vert. L’hydrogène peut changer la donne pour l’Europe. Nous devons passer du marché de niche au marché de masse pour l’hydrogène. Avec REPowerEU, nous avons doublé notre objectif : nous voulons produire dix millions de tonnes d’hydrogène renouvelable dans l’Union européenne chaque année d’ici à 2030. Pour y parvenir, nous devons créer un animateur de marché pour l’hydrogène, afin de combler le déficit d’investissement et de mettre en relation l’offre et la demande futures. C’est pourquoi nous allons créer une nouvelle Banque européenne de l’hydrogène. Elle aidera à garantir l’achat d’hydrogène, notamment en utilisant les ressources du Fonds pour l’innovation. Elle pourra investir 3 milliards d’euros pour aider à construire le futur marché de l’hydrogène. C’est ainsi que se bâtira l’économie du futur. C’est cela, notre Pacte vert pour l’Europe ! Et nous avons tous vu au cours des derniers mois à quel point le Pacte vert pour l’Europe est important. L’été 2022 restera dans les mémoires. Nous avons tous vu les rivières asséchées, les forêts en feu, la chaleur extrême. Et la situation est bien plus grave encore. Jusqu’à présent, les glaciers des Alpes ont servi de réservoir d’urgence pour des rivières comme le Rhin ou le Rhône. Mais comme les glaciers d’Europe fondent plus vite que jamais, les sécheresses futures seront beaucoup plus graves. Nous devons travailler sans relâche à l’adaptation climatique et faire de la nature notre premier allié. C’est pourquoi notre Union devra passer par un accord mondial ambitieux pour la nature lors de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité qui se tiendra à Montréal cette année. Et nous ferons de même lors de la COP27 à Charm el-Cheikh. Mais à court terme, nous devons aussi être mieux équipés pour faire face au changement climatique. Aucun pays ne peut lutter seul contre les phénomènes météorologiques extrêmes et leurs forces destructrices. Cet été, nous avons envoyé des avions de Grèce, de Suède ou d’Italie pour combattre les incendies en France et en Allemagne. Mais comme ces événements deviennent plus fréquents et plus intenses, l’Europe aura besoin de plus de capacités. C’est pourquoi nous allons doubler notre capacité de lutte contre les incendies au cours de l’année prochaine. L’Union européenne achètera dix avions amphibies légers et trois hélicoptères supplémentaires pour compléter notre flotte. Voilà la solidarité européenne en action.

Ursula von der Leyen, entourée de Magdalena Morawik (à gauche) et Agnieszka Anikin, fondatrices de « Grupa Centrum », ce groupe de volontaires qui a organisé l’accueil des réfugiés ukrainiens à la Gare centrale de Varsovie.

Pour l’avenir de nos enfants, il faut à la fois que nous investissions dans la durabilité et que nous investissions de façon durable. Nous devons financer la transition vers une économie numérique et la neutralité carbone. Cependant, nous devons aussi prendre en compte la nouvelle réalité que constitue le niveau accru de dette publique. Il nous faut des règles budgétaires qui permettent des investissements stratégiques tout en préservant la viabilité des finances publiques. Des règles qui soient adaptées aux défis de cette décennie. Nous présentons de nouvelles idées pour notre Gouvernance économique. Mais permettez-moi d’en partager avec vous quelques principes de base… Les États membres devraient jouir d’une plus grande souplesse en ce qui concerne leur trajectoire de désendettement. Mais il devrait y avoir davantage de comptes à rendre quant à la mise en œuvre de ce qui a été convenu. Il faudrait des règles plus simples que tous puissent suivre. Pour ouvrir l’espace aux investissements stratégiques et donner aux marchés financiers la confiance dont ils ont besoin. Traçons à nouveau ensemble la voie à suivre. Avec davantage de liberté d’investir. Et un plus grand contrôle des progrès accomplis. Une appropriation plus forte par les États membres. Et de meilleurs résultats pour les citoyens. Redécouvrons l’esprit de Maastricht – la stabilité et la croissance vont forcément de pair. Alors que nous engageons cette transition au sein de notre économie, nous devons nous appuyer sur les valeurs immuables de notre économie sociale de marché. Il s’agit de l’idée simple que la plus grande force de l’Europe est celle qui réside en chacun d’entre nous. Notre économie sociale de marché encourage chacun à exceller, mais elle prend également en compte notre fragilité d’êtres humains. Elle récompense la performance et garantit une protection. Elle ouvre des possibilités, mais impose également des limites. La force de notre économie sociale de marché sera un moteur pour la double transition verte et numérique.

J’en viens à mon troisième point pour nos PME et notre industrie. Qu’il soit question de puces électroniques personnalisées pour la réalité virtuelle ou de cellules de stockage pour les installations solaires, l’accès aux matières premières jouera un rôle décisif dans le succès de notre transition vers une économie durable et numérique. Le lithium et les terres rares seront bientôt plus importants encore que le pétrole et le gaz. Rien que nos besoins en terres rares vont être multipliés par cinq d’ici 2030. Et c’est bon signe ! Cela montre avec quelle rapidité notre Pacte vert pour l’Europe progresse. Le seul problème est qu’actuellement, un unique pays contrôle la quasi-totalité du marché. Nous devons éviter de nous retrouver à nouveau dans une situation de dépendance, comme pour le pétrole et le gaz. C’est là qu’intervient notre politique commerciale. De nouveaux partenariats nous aident non seulement à renforcer notre économie, mais également à promouvoir nos intérêts et nos valeurs dans le monde. Avec des partenaires qui partagent les mêmes valeurs, nous pouvons garantir également en dehors de nos frontières le respect de normes environnementales et du travail. Nous devons avant tout revitaliser nos relations avec ces partenaires et avec les principales régions en croissance. C’est pourquoi je proposerai la ratification des accords avec le Chili, le Mexique et la Nouvelle-Zélande. Et nous poursuivons les négociations avec des partenaires importants, comme l’Australie et l’Inde. Mais la sécurisation des approvisionnements ne constitue qu’une première étape. Le traitement de ces métaux est tout aussi critique. Or aujourd’hui, la Chine contrôle l’industrie mondiale de la transformation. Près de 90 % des terres rares et 60 % du lithium sont transformés en Chine. Nous allons définir des projets stratégiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de l’extraction au raffinage, de la transformation au recyclage. Et nous constituerons des réserves stratégiques là où l’approvisionnement est menacé. C’est pourquoi j’annonce un règlement européen sur les matières premières critiques. Nous savons que cette approche peut être efficace. C’est également la raison pour laquelle nous allons augmenter notre participation financière aux projets importants d’intérêt européen commun. Et pour l’avenir, j’encouragerai la création d’un nouveau fonds de souveraineté européen. Faisons en sorte que l’avenir de l’industrie se crée en Europe.

On dit que la lumière brille plus fort dans l’obscurité. Assurément, cela a été vrai pour les femmes et les enfants qui ont fui les bombes russes. Ils fuyaient un pays en guerre, le cœur empli de tristesse à la pensée de tout ce qu’ils laissaient derrière eux, et de crainte face à un avenir incertain. Mais ils ont été accueillis à bras ouverts. Par de nombreux citoyens comme Magdalena et Agnieszka. Deux jeunes Polonaises qui se sont dépensées sans compter. Dès qu’elles ont entendu parler de l’arrivée de trains chargés de réfugiés, elles se sont précipitées à la Gare centrale de Varsovie. Et elles ont commencé à organiser l’aide. Elles ont dressé une tente pour porter assistance au plus grand nombre. Elles ont contacté des chaînes de supermarchés pour obtenir de la nourriture et les autorités locales pour organiser des transports par bus vers des centres d’hébergement. En quelques jours, elles ont constitué une équipe de 3000 volontaires, accueillant les réfugiés 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Leur histoire est emblématique de tout ce qu’incarne notre Union, de tout ce à quoi elle aspire. C’est une histoire de cœur, de volonté et de solidarité. Magdalena et Agnieszka ont montré au monde entier de quoi les Européens sont capables lorsqu’ils se rallient à un objectif commun. C’est cela, l’esprit européen. Une Union forte de son unité. Une Union qui gagne ensemble. Vive l’Europe !

Ursula von der Leyen