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10 mai 1981 : Vingt ans après un anniversaire heureux

Par Pierre Mauroy, Ancien Premier ministre, Sénateur du Nord.

Pierre Mauroy, Ancien Premier ministre, Sénateur du Nord.
I

l y a vingt ans, le 10 mai 1981, la gauche unie accédait au pouvoir dans notre pays. Redoutée par certains mais souhaitée depuis longtemps par une large partie du peuple français, cette victoire devait permettre d’inscrire enfin son action dans la durée et d’acquérir cette légitimité à gouverner la France qui lui était refusée depuis plus d’un siècle. Jusqu’à présent, en effet, elle n’avait exercé le pouvoir que pendant de courtes périodes à intervalles espacés, le plus souvent dans des moments de crise, comme en 1936 par exemple, laissant cependant derrière elle la trace des mesures sociales irréversibles qu’elle avait accomplies. C’est d’ailleurs parce que la gauche libéra la société française de la chape de plomb que faisait peser sur elle une droite passéiste et à court de projet que les Français lui ont renouvelé plusieurs fois leur confiance au cours des vingt années écoulées, notamment lors des deux septennats de François Mitterrand et lors des élections législatives de 1997, qui ont conduit à la nomination de Lionel Jospin au poste de Premier ministre.

Cette période fut un moment historique exceptionnel, qui me procura une grande joie. La victoire de la gauche en mai 1981 a en effet représenté la consécration d’un combat que j’ai mené depuis l’âge de seize ans, d’abord au sein de la SFIO, puis au sein du Parti Socialiste, aux côtés de François Mitterrand, qui a marqué son temps par son inspiration, sa vision de l’histoire et son courage. Je suis particulièrement fier d’avoir conduit pendant un peu plus de trois ans l’action gouvernementale à ses côtés et d’avoir accompli les grandes réformes sociales et politiques (cinquième semaine de congés payés, retraite à soixante ans, revalorisation de tous les minima sociaux, décentralisation, abolition de la peine de mort, libération des ondes, égalité professionnelle entre les hommes et les femmes) que le peuple français attendait. Je suis heureux aussi d’avoir pris les grands choix, notamment en matière de réforme à long terme et d’Europe, qui façonnent la société française d’aujourd’hui et que le gouvernement de Lionel Jospin amplifie dans un contexte économique international plus favorable, permettant de faire face aux défis de la mobilisation dans de meilleures conditions. On s’en souvient en effet, l’économie mondiale traversait alors une phase de violentes turbulences, qui ont conduit en vingt-cinq ans à un renouvellement total de l’appareil industriel et à des mutations technologiques inédites. Je toucherai à l’un de mes plus grands regrets en tant que Premier ministre, celui d’avoir traversé une longue période de graves difficultés économiques mondiales, voire de récession, sans avoir pu endiguer l’irrésistible montée générale du chômage.

Certes, le monde a changé, notamment depuis la chute du Mur de Berlin en 1989. Il reste que l’exercice du pouvoir par les socialistes français depuis 1981 apparaît comme une période de transition qui leur aura permis, à l’aube du 21e siècle, de s’installer désormais dans la durée. Ils ont pu y parvenir grâce à la constance manifestée dans le maintien de leurs valeurs et dans leur capacité à s’adapter à la nouvelle donne mondiale. L’utopie n’a pas progressé autant qu’on pouvait l’espérer, mais elle a permis de lancer de grandes politiques qui ont trouvé un large écho, non seulement en France mais en Europe et dans le monde. Ainsi, sans méconnaître les difficultés que rencontrent encore nombre de nos concitoyens, c’est, je crois, un anniversaire heureux que nous venons de célébrer. La victoire de mai 1981, en imposant l’alternance, a fait entrer notre pays dans la cour des grandes démocraties modernes. Elle a surtout permis d’accompagner les évolutions de la société française, de l’Europe et du monde, en maintenant avec fermeté le cap de la justice sociale, de la solidarité et de la liberté.

Pierre Mauroy,
Ancien Premier ministre
Sénateur du Nord