Vous avez été nommé Directeur général de la Caisse Nationale des Allocations Familiales il y a un peu plus d’un an… Quel premier bilan souhaitez-vous tirer de ces mois ?

J’ai eu la chance et le défi de commencer mes six premiers mois par une discussion de Convention d’objectifs et de gestion avec nos tutelles, ce qui, tous les 5 ans, est un exercice passionnant et très salubre, car il permet de remettre à plat la stratégie et de l’enrichir, tout en tenant compte des contraintes. Par une coincïdence heureuse, le Conseil d’administration de la Cnaf a été renouvelé au mois de janvier 2018, un mois après mon arrivée, avec une nouvelle Présidente du CA, Isabelle Sancerni. Elle et moi débutions et nous avons eu à cœur, de manière coopérative et constructive, d’impliquer le Conseil dans la préparation de cette feuille de route stratégique essentielle et de faire avancer les buts et perspectives de la branche Famille.

C’était pour moi une prise de connaissance avec une branche de la Sécurité sociale, même si j’étais pour le moins familier des grands réseaux de services publics. Les Institutions de Sécurité sociale ont leur singularité. Je les ai découverts et j’ai particulièrement apprécié l’engagement, ainsi que le sens politique de terrain de chacun. Les Caisses d’Allocations familiales, ancrées dans chaque département, sont au contact d’élus, d’associations ou d’entreprises, avec lesquels nous co-construisons les politiques d’action sociale. Cela constitue un ensemble humain de plus de 30 000 collaborateurs, mais aussi de directrices et de directeurs absolument remarquables. Pour illustrer mon propos, je tiens à indiquer que nous avons autant d’hommes et de femmes aux postes de direction et c’est, précisément, un motif de grande fierté !

Si nous devions faire un tour d’horizon historique, quelles sont, selon vous, les actions les plus emblématiques de la Cnaf et les plus importantes à mettre en route ?

Pour répondre à votre question, je vais remonter bien avant mon mandat, avec des éléments fondateurs…
Tout d’abord, en janvier 2016, avec le début de la prime d’activité. Aujourd’hui, après la décision de l’augmenter et d’élargir le nombre de ses bénéficiaires, nous connaissons une augmentation considérable du recours à la prime d’activité. Au cours du mois de janvier, nous avons reçu 720 000 demandes, soit 5 à 15 fois plus, selon les départements, qu’un mois de janvier habituel, ce qui nous motive beaucoup.

Autre action, depuis 2017, la mise en place de l’Agence de Recouvrement des Impayés de Pensions Alimentaires (l’ARIPA). Nous avons demandé à 21 Caisses – sur les 101 réparties en métropole et dans les territoires d’outre-mer – de concentrer des dossiers complexes pour le compte des autres Caisses et d’agir plus efficacement sur des sujets dont on devine la sensibilité, car en réalité, il faut savoir qu’environ 35% des pensions alimentaires ne sont pas payées convenablement, le plus souvent à des femmes, ce qui entraîne, de fait, des effets de précarisation. Les résultats sont déjà là : le taux de recouvrement a gagné près de 20 points depuis la mise en place de l’ARIPA.

Enfin, depuis 5 ou 6 ans, nous cherchons à définir dans les territoires notre action sociale et à le faire formellement, de manière planifiée. Nous construisons des schémas départementaux de service aux familles avec les collectivités territoriales, les grands services publics, comme Pôle Emploi ou l‘Éducation nationale, qui s’inscrivent au cœur de ces sujets avec les grandes associations. Nous avons élaboré un schéma spécifique dans chaque département. Notre Convention d’objectifs et de gestion 2018-2022, va permettre de préciser cette territorialisation et de déployer ce mode contractuel en conjuguant des Conventions territoriales globales, de préférence avec les inter-communalités ou les métropoles. Il s’agit toujours dans le même esprit, qui est d’examiner en commun la situation, de partager le diagnostic et de prévoir ensemble ce qui est prioritaire.

Que retenir de l’architecture de la nouvelle COG (Convention d’Objectifs et de Gestion) 2018-2022 ? Quelles sont, précisément, les véritables nouveautés en matière d’accueil du jeune enfant ?

Nous restons sur une trajectoire de progrès, puisque le Fonds national d’action sociale, qui représente 6 milliards d’euros (pour les crèches, les centres de loisirs, les centres sociaux, mais aussi les lieux d’accueil des parents, les services de médiations familiales…) croit de 2% par an. La Ministre, Agnès Buzyn, nous a fixé deux catégories de priorités : la première est la petite enfance et nous y consacrerons les 2/3 de notre Fonds national d’action sociale en se fixant un objectif réaliste de 30 000 nouvelles places de crèches, mais aussi en prenant un plus grand soin de celles existantes. Rappelons que l’on compte environ 5000 fermetures de places de crèches chaque année ! Ces fermetures de places s’expliquent notamment par des difficultés de gestion. Cela signifie surtout que nous devons donc être plus efficaces, par de l’aide à la gestion et à la prévention !

Enfin, nous souhaitons donner des coups de pouce visibles dans trois domaines en particulier :
• l’accueil en crèche des enfants porteurs de handicap ;
• la mixité sociale : pour éviter qu’une crèche soit dissuadée de prendre des enfants de familles modestes, les bonus viennent compenser la dépense supplémentaire ou le manque à gagner ;
• le taux d’équipement en crèche n’est actuellement pas égal sur tout le territoire. En moyenne nationale, il est de 56%, mais il frise 80% dans la Haute-Loire, tandis qu’en Seine-Saint-Denis, il plafonne à 35% ! La majorité des crèches sont gérées par des municipalités ou des associations. L’intention portée en clair dans le Plan de lutte contre la pauvreté annoncé par le Président de la République le 13 septembre 2018, est de soutenir l’investissement et le fonctionnement des places de crèches dans les quartiers prioritaires.

Quelle est votre vision de la « branche Famille » du futur ?…

Plus d’efficacité, moins de complexité, plus de disponibilités vers nos allocataires… La branche Famille s’adresse à 12,5 millions d’allocataires, ce qui représente 30 millions de personnes et près de 14 millions d’enfants. Certaines prestations sont plus connues et sont demandées spontanément, comme l’Allocation familiale ou l’Allocation de rentrée scolaire, d’autres moins. Le RSA ou la Prime d’activité nécessitent de déclarer tous les trimestres ses ressources. Les aides au logement, aujourd’hui, sont calculées sur les revenus d’il y a deux ans.
On a une combinaison de complexité qui multiplie les difficultés pour nos usagers, avec le risque qu’ils se trompent de bonne foi, ce qui crée un manque d’efficacité et de justice si vos revenus ne correspondent plus à la base de calcul des prestations. Et c’est pour cela, qu’en partant du mode de calcul de l’Aide au logement, nous avons l’ambition de changer notre manière de délivrer les prestations, en demandant moins d’informations à nos usagers, puisque nous pouvons les trouver ailleurs, le prélèvement à la source venant d’entrer en vigueur dans notre pays. Enfin, dernier élément fondamental à mon sens : avoir davantage de disponibilité. Avec une Caisse dans chaque département, notre réseau de Sécurité sociale bénéficie d’un véritable ancrage de proximité et c’est un atout, c’est une force ! Respectueuse de la fracture numérique, en ayant une bonne confiance dans l’efficacité des outils modernes, la Prime d’activité se demande sur Internet, mais il y a toujours de la place pour ceux qui, ne maîtrisant pas le Web peuvent faire autrement…

Cependant, j’insiste sur ce point, nous nous devons de veiller à ceux qui n’accèdent pas au numérique. C’est pour cela que nous maintenons des accueils dans tous les départements, ainsi que dans presque toutes les Maisons de Services au public, avec des conseillers pour les guider sur le site www.caf.fr. Ainsi, vous l’aurez compris, notre disponibilité en direction de notre public doit demeurer pleine et entière, car nous savons qu’une partie – celle qui a le plus besoin de nous – peut être fragile. Nous concilions disponibilité, humanité et modernité.

Dernier élément : la branche Famille a son rôle à jouer et nous pouvons accompagner chaque individu dans un parcours d’insertion. Les expériences sont là pour le prouver : si on laisse un bénéficiaire du RSA attendre 6 mois, sa situation va beaucoup se détériorer, alors que dans les 8 jours, tout change !

Certes, nous ne sommes pas Pôle emploi, mais nous sommes très enthousiastes de contribuer à l’insertion : l’apprentissage social nous montre que le véritable enjeu est l’égalité réelle !

Vincent Mazauric

Directeur général de la Caisse nationale
des Allocations familiales