C’est la fin du long et sinueux chemin… Les résultats de l’élection la plus controversée des Etats-Unis sont définitifs. Joseph Robinette Biden, l’ex-Vice-président de Barack Obama, issu d’une modeste famille catholique irlandaise, qui possède également des origines françaises, investi le 20 janvier 2021, est le 46ème Président des États-Unis. Derrière lui ou presque, l’accusation. Devant lui, les Etats-Unis divisés, le monde en récession et des décisions cruciales à prendre, notamment sur la scène internationale, qui a été quelque peu délaissée par Donald Trump, au profit d’une politique protectionniste. La presse pro-démocratique salue déjà cette investiture qu’elle considère comme un tournant vers un monde prévisible et le rétablissement d’un certain nombre d’accords multilatéraux, tels l’Accord de Paris sur le climat ou le financement de l’OTAN.

Mais est-ce l’aveuglement lié à la forme qui empêche le discernement du fond ?… De l’Union Européenne à l’Iran, en passant par la Russie, la Syrie et la Chine, que cache le discours du nouveau Président élu pour ces pays où les Etats-Unis ont des intérêts géopolitiques ? Et quelles sont les conséquences pour l’UE ?

Sur le papier, ses projets exprimés lors de sa campagne électorale, notamment vis-à-vis de l’Europe, semblent positifs. Biden souhaiterait réparer les relations économiques avec l’Europe mises à mal par les taxes à l’importation excessives de Donald Trump. Il voudrait également rétablir le Plan d’actions global commun et lever les sanctions économiques à l’encontre de l’Iran, ce qui permettrait de remettre en selle les relations commerciales entre l’Iran et l’Union Européenne. Mais sur le fond, Joe Biden – cet homme élancé, au regard droit et au sourire éclatant, est un fidèle successeur de Barack Obama – dont le discours élégant suscitait des applaudissements, mais n’empêchait pas une stratégie téméraire, voire meurtrière, à l’étranger, en particulier en Iraq, en Ukraine et en Syrie, sans oublier les contrecoups économiques pour l’Europe (la sanction de plusieurs milliards contre les banques françaises vient à l’esprit). « Joe Biden est entouré de pléthores de conseillers qui appartenaient à l’Administration d’Obama », souligne d’ailleurs Jeff Hawkins, ancien Diplomate américain. Et pourtant, c’est Biden lui-même qui choisit d’utiliser la carte de ses huit années d’expérience et d’implication dans la politique étrangère à côté d’Obama dans sa campagne électorale. Il affirme bien connaître la réalité du terrain : son bilan n’est en rien irréprochable. Après tout, c’est bien lui qui pousse Obama à prendre des mesures décisives et à augmenter le budget d’armement à destination de l’Ukraine contre Moscou lors de l’escalade du conflit ukrainien en 2014 attisant la guerre civile. Malgré plusieurs déplacements en tant qu’émissaire, des heures passées au téléphone avec les dirigeants du pays et plus de 5 milliards de dollars dépensés, sa gestion aboutit à un échec militaire et politique.

À l’est de l’Ukraine c’est un bain de sang. L’Oligarque de Maidan Poroshenko rappelle des mauvais souvenirs à l’Iraq, où Al Maliki n’arrivait pas à tenir son pays. L’Ukraine plonge dans la pauvreté. La corruption progresse. Les relations avec la Russie se détériorent, au point où elles étaient à l’époque comme aux temps les plus durs de la Guerre Froide. Mais c’est surtout l’Union Européenne qui sert de bouc émissaire, car elle paie en milliards d’euros la note salée de l’échec diplomatique américain et des sanctions contre la Russie, au détriment de ses propres intérêts économiques. En somme, tout comme aujourd’hui, les sanctions américaines risquent de pénaliser les sociétés européennes participant à la construction controversée du gazoduc Nord Stream 2, censé approvisionner en gaz russe l’Europe via la mer. Mais avec Biden, l’époque des sanctions n’est qu’à ses débuts. Il l’indique d’ailleurs lors de sa campagne présidentielle : « Je pense que la Russie est un adversaire. Je le pense vraiment ! » et en blâmant Trump d’avoir été « trop doux » avec Poutine.

En ce qui concerne la Syrie, lors d’un discours de campagne dans l’État de l’Iowa en octobre, il a qualifié la décision de Trump de retirer les troupes américaines de Syrie comme un « échec complet ». Et plus tôt cette année, c’est Blinken, le Conseiller adjoint à la Sécurité nationale d’Obama, qui admet que, malgré les milliards de dollars dépensés, les mercenaires et la CIA, déployés sur le terrain, l’Administration, Obama et Biden avaient « échoué » en Syrie. Cet échec et la déstabilisation violente de la région provoquent, non seulement, 400.000 morts, une catastrophe humanitaire, l’arrivée des djihadistes et plus de la moitié des habitants déplacés, représentant le plus grand exode de réfugiés depuis la Seconde Guerre Mondiale, mais aussi la fin de l’expérience américaine quant au changement du régime syrien et l’établissement de la Russie en tant que force dirigeante dans les affaires du Moyen Orient.

Si Biden décide de poursuivre une politique plus agressive et de prendre sa revanche, cela risquerait, à nouveau, de fragiliser le pays, déjà dévasté par la guerre civile et l’infiltration djihadiste. Les dégâts collatéraux seraient donc, une fois encore, supportés par l’Union Européenne, qui a déjà vu des attentats sans précédent sur son sol et a dépensé des sommes exorbitantes dans sa lutte contre Daesch et dans l’accueil des réfugiés politiques. En Chine, tout comme ailleurs, avec Biden, c’est surtout la forme qui semble privilégiée. Alors qu’il passe une grande partie de sa campagne à critiquer la politique de Trump envers la Chine, sa propre plateforme ressemble plus à un changement de tactique qu’à une refonte de stratégie. Il parait avoir évolué avec le reste de l’Administration de Washington vers un ton plus conflictuel pendant le mandat de Trump, dénonçant Xi Jinping comme un « voyou ». La question majeure est de savoir si Biden cherchera à rejoindre le Pacte commercial du Pacifique que moult faucons américains considèrent comme le meilleur moyen de contrer la puissance économique de Pékin avant que Trump ne s’en retire. Il avait soutenu l’accord – maintenant connu sous le nom d’Accord global et progressif pour le partenariat trans-pacifique dans le cadre de l’Administration d’Obama, mais a déclaré lors d’un débat des primaires l’année dernière qu’il insisterait sur la renégociation d’« articles » au sein du Pacte.

Si les Etats-Unis ne changent pas de direction, l’Europe aura du mal à continuer à exporter nombre de ses produits manufacturés et industriels vers les Etats-Unis, dû à l’enchevêtrement des économies américaines et européennes. Tous ces exemples démontrent, s’il en était besoin, que si l’Europe comptait sur le 46ème Président des États-Unis et espérait l’amélioration du climat économique et politique, il faudrait… chercher ailleurs. Il semblerait, in fine, que même si les relations entre les États-Unis et l’Europe s’améliorent, la distanciation avait déjà commencé, avant Trump et ne changera pas avec Biden, dont les priorités sont éloignées.

« Biden entrera en fonction avec un CV inégalé en matière d’expérience en politique étrangère, à l’exception, peut-être, de George H.W. Bush », avait déclaré l’ancien Conseiller du Congrès de Biden, James Rubin. Une question cependant reste à poser : est-ce forcément une bonne chose ?

Marina Yaloyan