Frédéric Sicard
Frédéric SicardBâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris

En exclusivité, le Bâtonnier s’adresse à la classe politique française au travers du Journal du Parlement pour interpeller les candidats à la Présidentielle…

par Frédéric Sicard,
Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris.

À mi-mandat, il est temps de se tourner vers le passé tout en continuant de regarder vers l’avenir. Ce moment est arrivé… Cet instant où, plus que jamais, les femmes et les hommes qui ont présenté leurs suffrages, se sont engagés, prennent conscience qu’une promesse est une dette, comme l’a martelé Confucius. La fonction de Bâtonnier de Paris suppose d’établir un lien de proximité avec les avocats inscrits à l’Ordre, tout en assurant le rayonnement de « Paris, Place de droit », à l’international. La fonction de Bâtonnier suppose la vigilance la plus accrue au regard des réformes susceptibles de porter atteinte à l’intégrité, à l’essence de notre profession, sauf à empiéter sur l’efficacité de la Justice, les intérêts des justiciables dont nous avons la charge.

L’ actualité n’a guère été avare de coups de théâtre, de rebondissements. État d’urgence, aide juridictionnelle, Loi Sapin II… Cependant, nous avons tenu le cap. De nombreux projets ont été réalisés. D’autres sont en cours.

Je rappellerai tout simplement que nous avons restructuré les services de l’Ordre afin de tendre vers une meilleure accessibilité, vers un service plus adapté aux besoins et aux attentes des confrères. Ont été lancés récemment un service d’accueil et d’orientation de l’avocat, une série de guides pratiques, un code de déontologie refondu, ainsi qu’un bureau des sports. Soucieux de transparence, nous avons davantage associé nos confrères à la vie de l’Ordre et aux décisions prises par le Conseil de l’Ordre. À ce titre, les Conseils sont désormais filmés, nous avons déployé Avosidees.org, une plateforme de consultation pour que nos confrères puissent faire émerger de nouveaux projets, mis en place un budget participatif et avons entamé un dialogue régulier sur les réseaux sociaux en organisant, par exemple, un « Bat tweet live » une fois par mois. Attentifs à la transition digitale, nous n’avons de cesse d’accompagner la profession, de la sensibiliser aux enjeux qui se profilent.

C’est pourquoi j’ai tenu à soutenir davantage encore l’Incubateur du Barreau de Paris, l’Ordre étant, de surcroît, l’un des pilotes de la création d’une charte des bonnes pratiques en matière de « legal tech », initiée par l’association Open Law. Il était essentiel de continuer à assurer la mission qui est la nôtre au travers d’actions initiées de longue date : l’avocat dans la Cité, le Bus de Paris Solidarité, le pro bono… Aller au-devant de nos concitoyens est incontournable. Il était tout aussi essentiel d’exporter notre droit, le droit continental, hors de nos frontières. Nous sommes allés à la rencontre de nos homologues étrangers, sillonnant des continents aussi diversifiés que l’Amérique latine, l’Afrique, par le biais de Campus International. Il ressortait de notre dignité de dénoncer les atteintes aux Droits de l’Homme, de nous mobiliser au soutien des avocats emprisonnés, torturés pour avoir exercé leur métier. La Défense de la défense. Nous avons accueilli de nombreuses délégations étrangères. Nous avons accueilli le Dalaï-lama. Car, la transition énergétique, le développement durable comptent au nombre de nos priorités. À l’heure où j’écris ces lignes, la Grande-Bretagne a choisi de faire cavalier seul, les États-Unis referment leurs frontières. L’euro-scepticisme n’est plus de mise. C’est donc à nous, avocats, qu’il incombe de reprendre ce rêve légué par nos pères. C’est dans ce contexte douloureux que, rempli d’espoir, j’ai initié Les Grandes Conférences Européennes du Barreau de Paris. D’ores et déjà, nous avons accueilli Didier Reynders, Annegret Kramp Karrenbauer, Jean-Claude Juncker et Xavier Bellet. Car, je n’oublie pas que « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite. Ce que Paris commence, l’Europe le continue ». Je n’oublie pas davantage que l’Histoire nous a prouvé que chaque crise traversée par l’Europe s’est traduite par une grande avancée. La crise que nous traversons aujourd’hui se résoudra par le droit. La possibilité de construire une communauté économique, politique, sociale, passe par le droit. Jacques Delors a mis en exergue « la nécessité d’engager un débat existentiel sur la façon dont nous pouvons revenir aux valeurs qui ont fondé l’Europe et même les renforcer face à la montée du nationalisme, du populisme et du sentiment anti-européen ». Il nous faut juste retrouver confiance et le droit en sera la clé. L’Europe a été fondée pour gagner la paix.  Elle s’est trouvée une vitrine économique et financière, mais les murs porteurs ne peuvent être que ceux des valeurs éthiques. Lorsque les valeurs éthiques et non plus les simples contingences régissent la vie quotidienne, le droit triomphe. Cette lumière qui rayonne au bout du chemin, c’est bien celle du droit qui garantit la sécurité et les libertés de chacun et de tous. Depuis plusieurs mois, le Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris avait déjà fait son choix et voté pour soutenir la création d’un Code des Affaires commun aux États membres volontaires pour faire face à la crise de la zone Euro.

Nous savions que pour y parvenir, il nous faudrait réfléchir aux heurts et contradictions de nos traditions de droit continental, dite romano-germanique, avec celle de la Common Law. Les Britanniques ont quitté le combat par abandon. La tâche pourrait n’en être que plus facile. C’est précisément notre devoir de ne pas en profiter pour ignorer les avantages de nos systèmes réciproques. C’est l’occasion unique de construire le droit, non plus pour se battre, se défendre ou conquérir, mais de construire le droit pour qu’il devienne la maison commune.

Voilà un projet qui parlera non pas seulement au grand Groupe coté en bourse, mais à toutes les entreprises, petites ou grandes et, ainsi, à tous les travailleurs. Vingt-cinq années après son lancement par les Chefs d’État, sur l’impulsion du Juge Kéba Mbaye, la réforme OHADA est un succès incontesté : le droit OHADA, reconnu mondialement, représente un vecteur puissant de sécurité juridique et judiciaire sur lequel le continent peut aujourd’hui compter pour avancer sur la voie de sa nécessaire unité. L’Europe, de son côté, continue de vivre dans un environnement de droit des affaires largement cloisonné, en dépit des travaux d’harmonisation conduits ces trente dernières années par la Commission européenne. C’est seulement en instituant un cadre juridique des affaires unifié que les États européens arriveront à impulser cette dynamique de convergence économique, sociale et fiscale, salvatrice de la monnaie unique européenne et de l’idéal européen.

À cet égard, le précédent OHADA et son succès sont, à l’évidence, sources d’inspiration et d’exemple pour l’Europe. C’est dans cet esprit que l’Association Henri Capitant a élaboré une étude : « La construction européenne en droit des affaires, acquis et perspectives », qui pose les bases de ce qui pourrait être une dynamique d’unification du droit des affaires en Europe. Cette étude, conduite par quatorze grands juristes européens, a été traduite en anglais et en allemand, sous la supervision de l’Université de Münster, en Allemagne. Elle a été publiée au cours de l’été, sous le timbre conjoint de l’Association Henri Capitant, de la Fondation pour le droit continental, du Conseil national des barreaux (CNB) et du Barreau de Paris. Ce travail de synthèse et prospectif de première importance a fait l’objet d’une Conférence de presse le 4 octobre dernier. Il a été présenté le 13 octobre au Parlement Européen par une délégation de juristes franco-allemands de haute volée. Il s’agit non pas de consolider, mais d’harmoniser… Serons-nous 27 ou seulement 6 au début de l’ascension ? Peu importe, pourvu que nous marchions vite et que tous puissent accéder au sommet s’ils le veulent. Il s’agit également de hisser au firmament des valeurs éthiques susceptibles, j’en suis persuadé, de gouverner et de transcender notre économie.

L’Europe sera celle des valeurs ou elle ne sera pas. N’hésitons pas à regarder en arrière pour mieux progresser : tirons les leçons de nos anciens… Rendons hommage à Saint Louis qui n’a eu de cesse d’affirmer que les idéaux moraux sont au-dessus des personnes humaines… Rendons hommage plus simplement à René Cassin, Maurice Schumann… Prenant conscience que  « l’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire » (Henri Bergson).