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Faut-il craindre encore l’inflation

par Jean-Louis Laurens, Président de Robeco France

Jean-Louis Laurens, Président de Robeco France
La crise économique et financière que nous traversons a brutalement relégué au second plan les craintes d’un retour de l’inflation. D’ailleurs les statistiques récentes (chute du baril de pétrole, ralentissement de l’indice des prix à la consommation, baisse des prix à la production) laissent incontestablement penser que le retour de l’inflation sera dans les limites de modération que l’on a connues lors de la dernière décennie. Faut-il pour autant considérer ce risque comme définitivement éliminé ? Hélas non.
La dernière vague du sondage IFOP – Banque Robeco (octobre 2008), mesurant les perceptions et les anticipations des Français en matière d’inflation, montre que le phénomène continue d’inquiéter les Français et surtout que ceux-ci ont bien compris que le retour de l’inflation était un phénomène structurel et qui allait se poursuivre dans les années qui viennent (74% des personnes interrogées en sont conscientes). On peut au passage admirer une fois de plus la clairvoyance collective de l’opinion publique française. Quelles sont ces causes structurelles et durables qui peuvent faire craindre, qu’au delà des effets temporaires du ralentissement économique actuel, l’inflation ait toutes les chances de faire son grand retour ?
Les analystes de l’Institut IRIS (filiale commune de Rabobank et de Robeco aux Pays-Bas) les résument en une expression choc : « l’abondance de rareté ». De quoi s’agit-il ? Il s’agit en fait d’une équation toute simple : la croissance de la population mondiale et la croissance de la richesse mondiale (notamment en Chine et en Inde bien sûr) génèrent une croissance de la demande mondiale d’énergie, de matières premières, de produits alimentaires, d’eau, d’infrastructures et de biens et services de santé qui dépasse très largement les ressources naturelles et les capacités de production disponibles sur la terre. Les graphiques ci-contre en fournissent une claire illustration. De plus, à « ces goulots d’étrangleemnt structurels » s’ajoutent plusieurs phénomènes qui viennent compliquer encore les choses : le réchauffement climatique, qui oblige à revoir nos processus de production et nos moyens de locomotion, le vieillissement de la population dans les pays développés et notamment en Europe, qui génère un surcoût pour le collectivité (dépense de retraite, dépenses de santé), ainsi qu’une pénurie de main d’œuvre et enfin les gigantesques injections de liquidités actuellement mises en œuvre pour renflouer le système financier mondial, alliées à une politique monétaire avec des taux d’intérêts réels très fiables, voire négatifs.
On voit bien que la multiplicité des pénuries décrites ci-dessus et l’abondance de liquidités créent les conditions idéales pour un retour significatif et durable de l’inflation. Au demeurant, nous avons en Europe un vite oublié ces dernières semaines que dans les pays émergents, la hausse des prix et même la spirale des prix – salaires continue actuellement de faire rage. Il serait donc sans doute dangereux de croire que l’inflation va rentrer dans l’ordre du fait de la crise actuelle. On peut penser au contraire que dans 12 à 18 mois, elle sera à nouveau le sujet économique majeur, non seulement pour les consommateurs, mais pour les investisseurs, aussi bien les particuliers (leurrés par des placements dits  » sans risques », mais au rendement réel nul), qu’institutionnels (organismes de retraites, compagnies d’assurances). Les seuls gagnants d’un retour durable et structurel de ladite inflation seront les emprunteurs, à commencer par les États développés, qui chargent actuellement considérablement la barque de leur dette publique. On peut d’ailleurs penser qu’ils seront tentés de la laisser un peu filer pour rembourser plus facilement leurs dettes.
Une raison supplémentaire de penser que le retour de l’inflation est inéluctable.