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Jean-Yves le Gall, Président du CNES

« Le CNES contribue au rayonnement international de la France sur les plans scientifiques, industriel et économique… »

Jean-Yves le Gall, Président du CNES

Quelles sont les grandes évolutions que connaît actuellement le secteur spatial ?

Ie secteur spatial connaît aujourd’hui une profonde mutation, stimulée par la révolution numérique, la miniaturisation des technologies et la baisse du coût de l’accès à l’espace. Cette évolution s’accompagne d’une accélération du rythme de l’innovation, d’un élargissement des écosystèmes de l’amont à l’aval et de l’émergence de nouveaux acteurs issus du numérique, qui contribuent à l’évolution des structures industrielles. De nombreux pays investissent aussi fortement dans le spatial, avec des ambitions assumées dans toutes les thématiques. C’est notamment le cas des Émirats Arabes Unis ou d’Israël. En quelques années, des dizaines de nouvelles agences spatiales sont apparues, alors que seul quelques pays disposaient d’une agence ! Ces mutations contribuent, sans aucun doute, à exacerber la concurrence sur les marchés commerciaux globaux, mais créent aussi des opportunités importantes de coopération internationale, en particulier dans le domaine de l’exploration humaine et robotique. La France et l’Europe ne manquent pas d’atouts pour relever ces nouveaux défis :
– Le CNES, qui est le principal contributeur de l’ESA (European Space Agency, Agence spatiale européenne), dispose de compétences uniques, grâce au Centre Spatial de Toulouse (CST), à sa Direction des Lanceurs (DLA) et au Centre Spatial Guyanais (CSG) qu’il met au service de l’Europe, de ses citoyens, de ses politiques publiques et de la compétitivité de ses entreprises. Il contribue ainsi au développement et au rayonnement international de la France, sur les plans scientifique, industriel et économique, en étant au service de ses priorités stratégiques : la sécurité des populations, la lutte contre le changement climatique, la croissance de son économie, la construction européenne, l’influence internationale.
– Le récent Conseil ministériel de l’ESA, tenu fin 2019 à Séville sous la co-présidence de Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, s’est conclu par un immense succès pour le programme spatial européen. Ses 22 États membres ont engagé pour les trois à cinq années à venir, pour plus de 14 milliards d’euros de nouveaux programmes, un record absolu pour un tel Conseil ! L’Europe a ainsi réaffirmé avec force sa place de deuxième puissance spatiale mondiale, en concrétisant ses politiques ambitieuses d’accès à l’espace, d’exploration du système solaire et de maintien de la compétitivité de son industrie.
– La Commission européenne propose, pour le budget 2021-2027 de l’Union Européenne, une enveloppe de 16 milliards d’euros, qui sera notamment consacrée aux programmes Galileo (plus d’un milliard d’utilisateurs à ce jour !) et Copernicus, que le monde entier nous envie, ainsi qu’à de nouvelles thématiques, notamment les télécommunications à usage gouvernemental.

De quel budget le CNES dispose-t-il ?

En 202, le budget du CNES s’établit à 2.780 M€, dont 1.401 M€ représentent la contribution de la France à l’ESA et 1.379 M€ financent les activités nationales. Au sein de ce second montant, 356 M€ sont directement affectés aux programmes duaux et militaires, 130 M€ provenant du « P191 Recherche duale » et 226 M€ du « P146 Équipements des forces ». Cela dit, il est indispensable d’adopter une vision la plus large possible de la dualité. Disposer d’une base spatiale comme le CSG, de centres de contrôle de satellites comme ceux de Toulouse, performants et opérationnels 24 heures sur 24, 365 jours par an et totalement disponible pour des satellites et lancements militaires ou encore d’un réseau de station sol indépendant pour communiquer avec tous nos satellites, sont des actifs irremplaçables dont bénéficient pleinement nos Armées. De plus, les compétences et les capacités spatiales développées et entretenues dans nos centres techniques comme dans les laboratoires de recherche et l’industrie grâce à l’ensemble des ressources du CNES, sont fortement duales et c’est une chance pour la France que d’avoir su gérer cette dualité aussi efficacement depuis la création du CNES, il y a près de 60 ans.

Le Président de la République, puis la Ministre des Armées, ont récemment donné un nouvel élan au programme spatial militaire…

Le Président de la République a validé début 2019, une stratégie spatiale de défense, qui a été présentée en détail par Florence Parly, Ministre des Armées, le 25 juillet 2019. Cette stratégie comprend trois volets de mesures dans les domaines organisationnel, juridique et capacitaire. S’agissant du premier volet, un grand Commandement de l’Espace (CDE) a été créé le 3 septembre 2019 au sein de l’Armée de l’Air, qui devrait devenir l’Armée de l’Air et de l’Espace. Le CDE est actuellement constitué des 220 personnes déjà impliquées dans la filière spatiale au sein des Armées, mais il a vocation à monter progressivement en puissance. Il est en train d’être implanté sur le site du CINES, au Centre Spatial de Toulouse, afin de tirer parti de toutes les synergies possibles avec les activités qui y sont réalisées. Le CNES et le CDE travaillent en étroite coopération pour accueillir à Toulouse les premiers éléments du CDE et préciser une organisation du travail commune dans le domaine des opérations spatiales. Sur le plan juridique, la Ministre des Armées a fait état de sa volonté de faire reconnaître dans la loi le caractère spécifique des opérations spatiales militaires. À cette fin, elle a annoncé l’élaboration d’un avant-projet de loi destiné à modifier le cadre juridique posé par la loi sur les opérations spatiales de 2008. Dans les nouvelles dispositions, le Ministère des Armées assumera pleinement la fonction d’opérateur spatial et devra pouvoir conduire en totale liberté d’action et responsabilité certaines missions spatiales, afin de protéger nos intérêts. Enfin, une série de mesures visant à renforcer dans les meilleurs délais nos capacités de défense spatiale pour une pleine capacité anticipée à l’horizon 2030, a été annoncée. Ces mesures consistent, d’une part, à garantir une meilleure connaissance de la situation spatiale et, d’autre part, à pouvoir répondre à un acte hostile visant l’un de nos satellites. Le renforcement déjà décidé des capacités actuelles dans les domaines de l’observation, de l’écoute et des télécommunications est naturellement maintenu en parallèle.

Quel est le rôle du CNES auprès des Armées ?

Le CNES est, depuis longtemps, un acteur central du spatial militaire. Il intervient aujourd’hui au profit de la défense dans quatre domaines, la conduite des programmes spatiaux militaires et duaux, la préparation du futur, la surveillance de l’espace et les opérations spatiales. En matière de conduite des programmes spatiaux militaires et duaux, le CNES intervient en tant que maître d’ouvrage délégué des segments spatiaux des programmes militaires d’observation optique, financés par le Ministère des Armées. Ce fut le cas dans le passé, avec le programme Hélios et c’est actuellement le cas avec le programme CSO. Cette approche permet de capitaliser sur l’expertise reconnue du CNES et génère une indéniable économie de moyens. Concernant les autres programmes de satellites, qu’il s’agisse des programmes de télécommunications spatiales ou d’écoute électronique, le CNES apporte son expertise technique à la DGA au sein d’équipes de programme qu’ils constituent ensemble. Afin de préparer l’avenir du spatial militaire, le CNES travaille, en outre, en étroite collaboration avec la DGA, en menant des travaux de recherche prospective, faisant appel à des technologies de rupture intéressant directement la Défense et en développant des projets de démonstrateurs destinés à valider certaines de ces technologies. Ainsi, le CNES mène plusieurs projets, dont certains en partenariat avec l’industrie. C’est notamment le cas du projet CO3D, qui permettra aux Armées de disposer dès 2022, d’un modèle numérique de surface mondial très précis et d’une capacité d’observation optique de la Terre de résolution sub-métrique, avec un fort taux de revisite. C’est aussi me cas du nano satellite Angels, précurseur d’une industrielle française de nano satellites à haute performance. Angels a été lancé en décembre 2019 et il offre à la Défense une solution générique de plateforme pour de futures applications militaires, seul ou en constellation. En parfaite complémentarité avec les Armées, qui disposent de leurs propres capteurs couvrant les orbites basses (radars Graves et Satam) et de données issues d’achats de service, le CNES prévoit par simulation et surveille par observation et par échange de données avec ses partenaires internationaux les trajectoires des véhicules et débris spatiaux qui constituent un risque en orbite ou au sol. À cette fin, le CNES exploite des données orbitographiques américaines et utilise les téléscopes Tarot du CNRS, qui permettent de surveiller les orbites hautes. Dans l’attente de l’installation à Toulouse du centre opérationnel du CDE, chargée de la surveillance de l’espace à Lyon.
Enfin, toujours en lien avec le CDE, le CNES assure le contrôle des satellites militaires Hélios, Élisa, CSO et bientôt Cerès et duaux Pléiades, évoluant en orbite basse. Il s’appuie pour cela sur un réseau propriétaire de six stations de télécommande-télémesure, dont trois se trouvent sur le territoire national. Les opérateurs du CNES transmettent à ces satellites les données nécessaires à leur maintien à poste, à la préservation de leur performances, à d’éventuelles manœuvres d’anti-collision, ainsi que les plans de missions élaborés par les Armées. En cours d’exploitation, les experts du CNES sont aussi amenés régulièrement à introduire dans les systèmes orbitaux civils et militaires, des évolutions techniques et parfois aussi à corriger certaines anomalies.

Comment le CNES imagine-t-il l’espace du futur ?

Pour les raisons expliquées précédemment, le domaine spatial se développe très rapidement au niveau technique comme au niveau de ses applications. Demain, les satellites seront plus encore qu’aujourd’hui nécessaires dans la plupart des activités humaines. Ils seront plus nombreux, divers en tailles, capacités et fonctions. Dans ce monde nouveau, l’expertise duale du CNES, associée au plus près des capacités opérationnelles des Armées et la maîtrise de l’accès à l’espace depuis le lancement jusqu’à l’opération des satellites en vol, sont des atouts particulièrement importants pour la France. En lien avec ces évolutions, il est aussi permis de penser que la nature des relations que le CNES entretient avec le Ministère des Armées sera amenée à évoluer.
En premier lieu, le CNES apportera son concours aux Armées pour atteindre avec le calendrier envisagé, le niveau d’ambition opérationnelle et capacitaire qui vient de leur être fixé dans le domaine spatial. En effet, les Armées ne disposent pas encore des ressources et des compétences pour conduire les opérations spatiales envisagées dans la stratégie spatiale de défense qui, pour certaines, seront d’un type nouveau, puisqu’il s’agira de pouvoir défendre nos intérêts dans l’espace, y compris de façon active. Dans le domaine capacitaire, l’expertise et les moyens du CNES vont aussi être mis à contribution pour développer en coopération avec la DGA les futurs systèmes spatiaux militaires, dont certains seront très innovants.
En second lieu, l’apparition, dans l’organisation interne du Ministère des Armées, de nouveaux acteurs du domaine spatial, investis de missions plus étendues, crée la nécessité d’adapter les structures d’interface qui incarnent la relation du CNES avec le Ministère des Armées afin de prendre en compte ces évolutions.