Vous êtes ici Le Journal du Parlement > L’Afrique toute entière et l’Afrique de l’Ouest en particulier sont au seuil d’une nouvelle ère ! (2011)

L’Afrique toute entière et l’Afrique de l’Ouest en particulier sont au seuil d’une nouvelle ère !

par Michel Camdessus, Ancien directeur général du Fond Monétaire International (FMI),
Membre fondateur de la fondation Chirac

Michel Camdessus, Ancien directeur général du Fond Monétaire International, Membre fondateur de la fondation Chirac
L‘ eau cet « or bleu » du vingt-et)unième siècle, est au cœur de tous les enjeux des pays du Bassin du Niger : de la santé de ses populations, encore rudement frappées par des maladies hydriques ; de sa sécurité alimentaire, alors que progresse le désert sous l’effet du réchauffement climatique et que s’accroît dans des proportions préoccupantes la volatilité des prix des matières premières agricoles ; mais aussi de leur perspectives de développement économique qui requièrent plus que jamais une coopération renforcée pour la gestion durable de cette ressource précieuse, afin de faire de cette vallée du fleuve, l’axe de l’essor économique de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. « Rivière des rivières », le fleuve Niger représente en effet une chance exceptionnelle pour les 9 pays qu’il irrigue. C’est autour de lui que se nouera leur destin commun. L’urgence est de donner une traduction concrète au « Droit à l’eau », consacré voici un an par les Nations Unies au rrang des « Droits Humains inaliénables », alors que 69% des populations du Sahel n’ont toujours pas accès à un assainissement de base et que plusieurs centaines de milliers d’enfants en bas âge, y meurent encore chaque année d’avoir bu une eau insalubre. L’Afrique subsaharienne doit poursuivre les efforts engagés afin d’atteindre le 7ème Objectif du Millénaire pour le Développement : « Assurer un environnement durable », c’est-à-dire la possibilité pour 900 millions de femmes, d’hommes et d’enfants dans le monde, dont plus de 300 millions en Afrique subsaharienne, de sortir de l’extrême pauvreté inhérente au manque d’eau. C’est là l’horizon que nous devons impérativement nous fixer. Pour cela, nous devons travailler à des solutions qui sont au plus près de la réalité du terrain et des besoins des populations. Ce Forum de Bamako est l’occasion de préparer efficacement le 6ème Forum Mondial de l’Eau qui se tiendra à Marseille, en mars 2012 et quis era celui des « solutions », comme l’a souhaité le Président Jacques Chirac lors du colloque « L’eau pour tous : pour en finir avec l’inacceptable », le 8 novembre 2010, à l’Institut de France. Et comme l’ont affirmé avec force les organisateurs, Loïc Fauchon, Président du Conseil Mondial de l’Eau ; Benedito Braga, Président du Comité International du 6ème Forum Mondial de l’Eau et Bai-Mass Taal, Secrétaire exécutif du Conseil des Ministres Africains de l’Eau (l’AMCOW), qui assure la Présidence du processus régional africain de préparation du Forum de Marseille…

Les défis de l’eau en Afrique subsaharienne et plus particulièrement au Sahel, appellent à l’évidence une « Vision Partagée ». C’est tout le sens et la mission de l’Autorité du Bassin du Niger. Depuis la Conférence de Paris que Jacques Chirac avait accueillie en 2004 et l’adoption de la Charte de l’eau du Bassin du Niger, un chemin considérable a été accompli dans le sens d’une amélioration de la gouvernance des ressources du fleuve, ainsi que du développement durable. Cette coopération peut déjà s’appuyern et c’est une bonne nouvelle, sur un grand nombre d’expérimentations réussies de « solutions » susceptibles d’être reproduites et développées. L’Organisation des Nations-Unies cite ainsi le Burkina Faso en exemple, pour l’installation en 2006 d’un château d’eau et d’un système de canalisations pour 1300 villageois. Depuis, chaque ménage dispose de 20 litres d’eau potable par jour à un prix modéré. Mais beaucoup reste à faire… Réduire les disparités persistantes entre ruraux et urbains dans l’accès à l’eau et à l’assainissement, à la défaveur des premiers ; Faire face à la croissance démographique et à l’explosion urbaine sans précédent que vit l’Afrique toute entière dont la population pourrait atteindre 1,8 milliard d’êtres humains en 2050. Assurer la sécurité alimentaire des populations qui passe par le développement de l’agriculture vivrière. Des voies nouvelles doivent être explorées pour produire davantage en adoptant des méthodes d’irrigations raisonnée et l’usage, sans doute, d’intrants d’origine naturelle. Remédier aux problèmes de pollution, d’ensablement et de désertification, qui menacent ses usagers, qu’ils soient cultivateurs, pêcheurs, commerçants, navigateurs, éleveurs, ou encore industriels. Pour atteindre ces objectifs, il est fondamental de mieux connaître la ressource et son environnement : l’Observatoire du Bassin du Niger représente à cet égard un instrument précieux, apte à fournir des informations, des données scientifiques. Cependant, les statistiques, les chiffres, les éléments scientifiques demeurent muets et sans portée si la volonté politique ne s’en empare pas. Et s’il est un domaine où l’action politique se doit d’être forte c’est bien celui de l’eau. La Charte de l’eau du Bassin du Niger, adoptée le 30 avril 2008, a marqué un pas en avant dans la bonne direction. Il me semble cependant nécessaire de franchir une étape supplémentaire avec la ratification par l’ensemble des pays riverains du Niger de la Convention de 1997 de l’ONU sur les cours d’eaux internationaux.

C’est un instrument qui vise à prévenir tout risque de conflits, ces guerres de l’eau qu’en d’autres pays du monde nous redoutons, et qui, davantage en Afrique subsaharienne, aux équilibres si fragiles, seraient une catastrophe. Je forme le vœu que cette Convention, qui ne compte aujourd’hui que 24 Etats (11 de moins que le nombre requis pour son entrée en vigueur), soit ratifiée et que ces pays rejoignent ainsi le Nigeria et le Burkina Faso, et bientôt le Bénin, en passe de la ratifier à son tour. Quel puissant message pour le reste du monde !
Quelle manifestation d’une volonté politique pour un développement durable et pour la paix ! Il sera aussi nécessaire de mobiliser des ressources financières nouvelles et importantes, qui font aujourd’hui défaut, et plus encore dans le contexte de la crise économique globale que nous traversons. Voici bientôt 10 ans, à Monterrey puis au Sommet de la Terre de Rio, Jacques Chirac fût l’un des premiers dirigeants à appeler la communauté internationale à mettre en place des financements innovants pour le développement. Au G8 d’Evian, en 2003, j’initiais un plan d’action pour l’eau. Ces combats demeurent plus que jamais d’actualité. Avec la taxe sur les billets d’avion et la création de la centrale d’achat de médicaments Unitaid, qui s’avèrent un grand succès, nous avons démontré, avec le Président Lula, la pertinence d’une telle approche, et créé ainsi le précédent nécessaire qui rend aujourd’hui crédible l’instauration de nouveaux financements innovants, au premier rang desquels la taxe sur les transactions financières débattue au sein du G20 et de l’Union européenne. À nous tous de rester mobilisés pour l’aboutissement de cette démarche, et vigilants pour que le produit de ces nouveaux instruments financiers servent en priorité les urgences du développement. Ce combat pour des financements innovants pour l’eau, j’entends le porter, avec la fondation dans la perspective du 6eme Forum Mondial de l’Eau, en 2012, à Marseille.

L’Afrique toute entière et l’Afrique de l’Ouest en particulier, comme le démontre une multitude d’indicateurs, sont au seuil d’une nouvelle ère, et en passe de devenir le prochain moteur de la mondialisation. Pour l’Europe, pour la France, c’est aussi une immense opportunité. À nous d’agir maintenant pour construire ensemble cet avenir partagé de solidarité, de dignité et de progrès qui passe par ce droit à l’eau, le dernier en date des droits humains et pourtant peut être le plus fondamental à toute vie.

Neuf États riverains d’un fleuve majeur du continent africain prennent en main leur destin commun, dès 1980, en créant l’Autorité du Bassin du Niger (ABN). Cet organisme, dont le siège est à Niamey, a pour mission de promouvoir la coopération entre les pays membres autour des ressources en eaux partagées du fleuve Niger et une gestion durable de cette artère vitale pour la vie de plus de 300 millions de personnes. Les neufs États concernés sont le Burkina Faso, le Bénin, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, le Nigéria et le Tchad. En 2004, à l’invitation du Président Jacques Chirac, lors de la Conférence de Paris, les États membres de l’ABN signent la Déclaration dite de Paris. Elle aboutit à l’adoption d’un Processus de Vision Partagée pour le développement du bassin du Niger, avec la mise en place d’un plan d’Action et de Développement Durable ainsi qu’un Programme d’investissement et la ratification d’une Charte de l’eau du Bassin.
Depuis, de grands progrès ont été accomplis. Mais devant l’ampleur des défis nouveaux dus aux effets du changement climatique, à la pression de la démographie, aux problématiques multiples du fleuve Niger, à la nécessité de parvenir à la sécurité alimentaire des populations du Sahel, le temps politique doit impérativement « s’accélérer ».
C’est donc là tout l’objectif du Forum international « Solidarité pour l’eau dans les pays du bassin du Niger« , organisé conjointement par la République du Mali, pays hôte, et la Fondation Chirac.
Le Forum vise à s’inscrire au mieux dans le processus préparatoire, piloté par l’AMCOW, du Forum Mondial de l’Eau qui se tiendra à Marseille en mars 2012 et aider à ce que l’accès à l’eau et à l’assainissement reconnus en droit devienne une réalité.
Car aujourd’hui, si le droit à l’eau potable est reconnu comme un droit fondamental par les Nations unies, près de 900 millions de personnes dans le monde n’ont toujours pas accès à un point d’eau amélioré, dont plus de 337 millions en Afrique subsaharienne. Une situation particulièrement alarmante..