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L’entreprise tend la main aux politiques

par Denis Terrien, Président d’Entreprise et Progrès

Denis Terrien, Président d’Entreprise et Progrès
Ie redressement de notre économie, le retour à la croissance et l’amélioration du marché de l’emploi, conditions indispensables au progrès social, sont l’affaire de tous. La mondialisation, l’accélération des rythmes économiques, la digitalisation, les aspirations nouvelles des employés imposent de retrouver au plus vite une agilité perdue par notre pays régi par un « État providence », freiné par des lois qui se veulent protectrices et n’ont plus lieu d’être car le monde, les employés et les consommateurs ont changé beaucoup plus rapidement que les lois en vigueur. Comme l’exhortent la majorité des associations et de think tank, il est temps de dire « Halte aux complexités », d’arrêter d’additionner les dispositions contraignantes sur la vie au travail, que ce soit dans les préventions de toutes sortes, sur le temps partiel, sur les stages, sur ce que l’on peut faire et que l’on ne peut pas faire… L’entreprise est non seulement un lieu de création de valeur, de progrès social, de création d’emploi, mais elle est aussi bien souvent un acteur majeur du changement, une sorte de laboratoire de la société de demain, son management devant tester en permanence des solutions pour ses collaborateurs que ce soit en matière de diversité culturelle, religieuse, face au handicap ou du rythme et de la façon de vivre, et même face à la précarité de certains. De plus, l’entreprise reste, peut être, la dernière entité qui permet à l’Homme de se structurer, d’exister ou de se révéler, à l’heure où la famille, la religion, l’État, ne tiennent plus ce rôle qu’ils exerçaient naguère.

Mais face à la gravité de la crise, il faut aussi de toute urgence décloisonner la société française. Cet effort collectif, si nécessaire pour libérer les énergies, ne peut se concevoir qu’en mettant fin aux postures et jeux de rôles qui la paralysent. Sans de nouvelles. synergies entre tous les acteurs de l’économie, qu’ils appartiennent au monde de l’entreprise ou de la politique, j’estime qu’aucune amélioration n’est à espérer.
Encore faudrait-il que ces différents acteurs apprennent à se connaître en se côtoyant, en échangeant sur leurs responsabilités, missions et difficultés respectives. Depuis trop longtemps le monde de l’entreprise et de la politique se regardent en chiens de faïence ou sont dans un rapport de donnant-donnant comme si ils n’avaient aucun intérêt ni objectif commun, comme s’ils estimaient ceux de « l’autre camp » tels des obstacles sur leur route qu’il s’agit de contourner. Il est temps de travailler ensemble dans le respect mutuel et pour cela, il faut commencer par faire vraiment connaissance. Un constat : seulement 10% des députés français ont eu une expérience en entreprise privée, alors qu’ils votent à longueur d’année des lois relatives à l’économie, ou qui impactent fortement la gestion et les résultats des entreprises. D’après une étude du Centre Émile Durkheim à l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux, 3% des députés de gauche et 8,7% de ceux de droite étaient chefs d’entreprise au lendemain des élections législatives de 2012. Or, aux États-Unis, 50% des élus connaissent ou ont connu la vie de l’entreprise et en Grande Bretagne 25%. Ainsi, en acquérant une certaine culture d’entreprise, je suis convaincu que les hommes politiques pourraient mieux appréhender les difficultés quotidiennes du dirigeant, notamment en période de crise, lorsqu’il lui faut concilier compétitivité et respect des normes et mesures fiscales et sociales ou arbitrer entre solidarité et efficacité économique.

Or, le plus souvent, les notes dont dispose un député avant de débattre d’une loi économique ont été redirigées pr quelqu’un qui tient son savoir de ses études livresques ou en se basant sur l’impact sur les grands groupes, alors que la croissance et l’emploi en France viendra de ses PME et ETI. C’est aussi oublier qu’une entreprise est un projet humain autour d’une vision partagée.
Cela consiste à essentiellement gérer des hommes et la seule façon de connaître sa réalité c’est de la vivre. Arrêtons d’obliger le chef d’entreprise à passer par des ornières définies à partir de statistiques et de « moyennes » ! Ce ne sont pas les « moyennes » qui peuvent traduire l’aventure humaine qu’est l’entreprise.
Si nombre des élus n’ont pas jusqu’ici, faute de temps ou de curiosité fait l’effort d’aller vers l’entreprise afin de mieux la connaître, force est aussi de constater qu’il reste encore, hélas, quelques patrons retranchés dans leur tour d’ivoire et qui ont leur part de responsabilité dans ce clivage et parfois cette défiance réciproque.
Comment pourraient-ils appréhender le monde extérieur aujourd’hui si complexe et changeant, sans s’ouvrir sur toutes les parties prenantes de leur écosystème dont les politiques font évidemment partie ? Certes les chefs d’entreprise dans leur ensemble estiment les élus du peuple, mais ils gagneraient à mieux connaître toutes les contraintes, pesanteurs administratives et résistances au changement auxquelles se heurtent les politiques.

« Parfois, on vote des textes sans vraiment savoir à quoi ils servent », me confiait récemment un député. Cet élu fait partie des 25 députés qui ont déjà accepté la proposition des 120 dirigeants d’Entreprise et Progrès d’ effectuer cet été un stage d’une semaine en immersion au sein de la direction générale d’une entreprise afin de « toucher du doigt » la réalité d’une prise de décision stratégique, d’un investissement opérationnel, d’un choix technologique ou des relations humaines et sociales. Ainsi Laurent Grandguillaume, élu PS de la Côte d’Or va « vivre la vie» du patron de Nature et Découvertes ; Hervé Pellois, élu du Morbihan, apparenté PS, celle du groupe Bongrain ou encore Jean-Marie Tetard, député UMP des Yvelines celle d’EADS Astrium services… L’objectif de cette initiative intitulée- « Moi député, une semaine dans les pas d’un Pdg », est de favoriser un échange et de susciter un enrichissement mutuel entre le dirigeant et l’élu. Et c’est bien la mission d’intermédiaire, que s’est fixée notre association, fondée en 1970 par François Dalle, avec la conviction que progrès économique et progrès social sont indissociables.

Cette initiative de « main tendue » du monde de l’entreprise au monde de la politique est une première étape et nous la poursuivrons aux prochaines vacances parlementaires dans les années à venir. Demain, une majorité de nos élus auront ainsi vécu la vie d’un patron, ne serait-ce qu’une semaine. Notre espoir est qu’un député n’hésitera plus désormais à appeler quelques chefs d’entreprise au téléphone avant de voter une loi qui vont les concerner au quotidien. Et notre rêve est d’élargir cette expérience de stage de direction dans l’entreprise à d’autres acteurs clés tels les magistrats, les élèves de l’ENA…
Décloisonnons la société française, car le redressement de notre économie ne se fera que dans une démarche volontariste et collective.