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Essor remarquable du commerce électronique :
comment créer un environnement juridique adapté ?

La Chambre de Commerce de Paris, avec celles de province, est le baromètre de notre économie. L’enquête menée auprès de 5500 dirigeants d’entreprises atteste du point bas historique atteint en 2009. Mais le moral s’améliore et les raisons d’espérer sont là. Dans les prochains mois, 17% des industriels prévoient d’embaucher ; 32% considèrent que la situation économique va s’améliorer contre 10% un an plus tôt ; 40% des PME et 51% des grandes entreprises estiment que le plan de relance mis en place par le Gouvernement est de nature à atténuer les effets de la crise ; 49% considèrent que la réforme de la Taxe Professionnelle va leur permettre d’engager des dépenses d’investissement non prévues dès 2010. La Chambre de Commerce de Paris s’attache à développer la création d’entreprises intermédiaires, de faire émerger une offre métropolitaine à la française et de diversifier l’offre congrès et salons dont la Capitale est le leader européen et mondial…

Pierre Simon, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris

Comment la CCIP, qui représente toutes les formes de commerce, réagit-elle à l’explosion de cette forme particulière de distribution ?

La vente aux particuliers à travers la Toile a connu, ces trois dernières années, une progression exponentielle à deux chiffres et des résultats spectaculaires fin 2009. Il est possible que la crise financière, avec les craintes sur le pouvoir d’achat, ait sa part dans ce succès : chercher le prix le plus bas, découvrir des gammes basiques peut être plus aisé sur Internet. Mais, heureusement, l’essentiel n’est pas là. Le commerce à distance s’intègre de plus en plus au quotidien et est devenu une variante majeure de la distribution. Pas d’états d’âme, donc, devant une croissance qui stimule la croissance globale de marché, une réponse à des besoins exprimés par les consommateurs dans le sillage de l’explosion d’Internet.
Les progrès dans les « infrastructures » (le haut débit généralisé) et dans la « culture » Internet (qui gagne tous les âges) rendent inéluctable le processus. Pour autant, un phénomène aussi puissant et rapide pose le problème d’adaptation, de transposition d’usages, de protection des faibles et des novices. C’est pourquoi nous avons fait, fin 2009, un point approfondi sur le sujet.

Parmi les problèmes que vous évoquez, n’y a-t-il pas un conflit entre la distribution traditionnelle de produits de marque et de qualité et les commerçants « purs Internet » ?

Vous évoquez la question de la distribution sélective, pilier essentiel de la commercialisation de ce type de produits qui, souvent, sont une spécificité française (luxe, mode…).
L’émergence du commerce électronique a conduit à un certain bouleversement des circuits de commercialisation. Cet essor a suscité des interrogations concernant la possibilité de vendre en ligne des produits distribués dans le cadre d’un réseau organisé de distribution sélective qui repose sur une sélection des vendeurs sur la base de critères qualitatifs.
L’enjeu est très actuel puisque la juris-prudence sur ce sujet s’est beaucoup développée ces dernières années ; la Commission européenne également a lancé un nouveau projet de Règlement sur les accords verticaux avec des lignes directrices (destiné à remplacer l’actuel au 1er Juin 2010). Ce texte pose un cadre légal à l’utilisation d’Internet dans les réseaux de distribution.
Nous défendrons un principe de libre création des sites au sein des réseaux de distribution sélective, dans le respect des conditions contractuelles.
Il faut insister sur ce qui constitue l’essence même de la distribution organisée en réseaux sélectifs : l’existence de points de vente physiques sur la commercialisation des produits, principe également consacré par la Commission européenne et cela même si des sites de e-commerce sont activement exploités.
Dans un second temps, il est indispensable de maintenir une sine concurrence entre les réseaux de distribution sélective et les nouveaux acteurs du e-commerce.
Ces nouveaux acteurs qualifiés de « pure players » sont des entreprises exerçant leurs activités uniquement en ligne. Il est nécessaire de veiller à une saine concurrence dans les relations entre les réseaux de distribution et ces acteurs, en particulier pour les mêmes acteurs, en particulier pour les mêmes secteurs du luxe ou du high-tech où les investissements du réseau sont souvent considérables, et dont les produits sont, plus que d’autres, en proie à la contrefaçon.

Commerce à distance dit besoin d’une forme nouvelle de « confiance » entre le consommateur et le vendeur…

Remarquons d’abord que les résultats prouvent que cette confiance est déjà largement acquise. Elle existe notamment du fait des efforts du système bancaire qui a mis à la disposition des contractants des moyens de règlement adaptés, avec un taux de fraude et d’échecs finalement très bas. Du côté des commerçants en ligne, d’importants efforts ont été engagés, mais il convient de les poursuivre pour que le consommateur contracte à distance de manière techniquement aisée, avec suffisamment de transparence et de garanties, et ne regrette pas ensuite son « audace ». Cela est encore plus évident quand la transaction a un caractère transfrontalier.
Cette prise de conscience s’est imposée dès les premières années d’expansion soutenue de ce nouveau type de transaction. Le contrat-type proposé par la CCIP a été pionnier en ce sens. Il s’inscrit en effet parfaitement dans ce souci de confiance réciproque entre les parties.
De telles initiatives ont porté car, malgré la crise, la montée en puissance du e-commerce ne se dément pas. Selon lee bilan dressé par la FEVAD, les ventes en ligne ont représenté en 2009 près de 25 milliards d’euros, soit une hausse de 30%. On compte près de 60 000 sites marchands, soit 30% supplémentaires. Si les transactions par carte bancaire ont augmenté de 33%, le panier moyen s’est réduit de 93 à 87 euros. Le nombre de site réalisant de 10 à 100 transactions par mois a progressé de plus de 47%.
C’est là un point essentiel. Au-delà de sites marchands géants, souvent internationaux, une grande partie du commerce et des services « traditionnels » a vocation à avoir une partie de son activité réalisée « en ligne ». La CCIP développe d’ailleurs une intense activité de formation et d’ambition en ce sens auprès des entreprises de taille modeste qui ne doivent pas manquer le « train Internet ».

Malgré ses avantages, Internet n’est-il pas un vendeur favorable à la contrefaçon et au pillage des droits d’auteur ?

Il est vrai qu’Internet fournit aux contrefacteurs de marques un terrain propice à leur activité et augmente la volatilité de leur trafic. Enfin, l’atomisation des livraisons des produits commandés sur Internet rend la contrefaçon difficilement détectable, notamment par les services douaniers.
La démocratisation de l’Internet à haut débit en France, à un coût relativement faible par rapport aux autres pays développés, a également permis à la pratique du téléchargement de contenus protégés de se répandre très largement, propageant une culture de la gratuité. Le droit d’auteur repose pourtant sur un équilibre social et économique entre ce qui relève du domaine payant et ce qui appartient au domaine public. Cet équilibre semble aujourd’hui en voie d’être rompu. En France, le Gouvernement a choisi de recourir à la « réponse graduée de la loi HADOPI et les juges se sont intéressés à la responsabilité des plates-formes mettant du contenu à la disposition des internautes. À l’étranger, si les solutions ou les projets en cours tendent à une meilleure protection des droits d’auteurs sur Internet, il n’y a pas d’unanimité quant aux moyens pour y parvenir. Nous proposons des pistes :
Sensibiliser les internautes : il faut renforcer les messages déjà existants pour attirer l’attention des consommateurs sur les conséquences de ce type d’achat, en particulier sur l’illégalité, le risque de dangerosité ou la mauvaise qualité des produits et sur l’impact économique du phénomène.
Soutenir le développement d’une offre légale, interopérable, de contenus protégés sur tous les canaux (Internet, téléphones mobiles, VOD pour les films) : la diminution de la TVA à 5,5% pour la distribution sur les réseaux électroniques des contenus protégés par la propriété littéraire et artistique, à l’instar de ce qui a été fait depuis longtemps pour le livre, serait opportune. Parallèlement, l’offre numérique légale devrait être valorisée notamment en créant un portail de référencement des offres légales et en ouvrant des discussions sur la répartition des revenus entre les producteurs et les représentants des ayants droit.
Responsabiliser les acteurs en encourageant les modes d’autorégulation mis en place par certaines plateformes (outils d’alertes, cellules de veille et systèmes de détection et de suppression d’annonces).

La rédaction d’une charte anti-piratage sur le modèle de l’accord de bonne conduite signé aux USA en 2007 par les majors et les plateformes vidéo (Myspace, Microsoft et Dailymotion) est souhaitable.
Mais, surtout, au-delà de toutes distinctions d’hébergeur ou d’éditeur où personne ne se retrouve, la CCIP propose de soumettre les plates-formes de vente en ligne à une responsabilité civile pour faute de droit commun en tant qu’intermédiaire. Parallèlement, il conviendrait de développer la constitution d’un pôle de juges spécialisés en matière de lutte contre la contrefaçon sur Internet et la création d’une véritable « douane européenne » qui aurait vocation à intervenir sur tout le territoire de l’Union doit être encouragée.

En conclusion, si vous croyez à l’essor du commerce électronique et privilégiez l’autorégulation, vous ne repoussez pas l’intervention législative ?

L’appropriation par tous de l’outil Internet est un facteur majeur de compétitivité est un facteur majeur de compétitivité d’une économie. Nous sommes donc favorables à la promotion du e-commerce. Mais il doit se développer dans un cadre qui respecte les droits et devoirs de l’acheteur et du vendeur dans tout acte de commerce. Il appartient aux e-commerçants de respecter leurs obligations dans une approche d’auto-régulation. Il n’empêche que le législateur, national et européen, a une responsabilité certaine sur les points particuliers que j’ai évoqués.

Propos recueillis par
Madi Testard