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Jean Ping, Ministre des Affaires étrangères du Gabon, Président de la Commission de l’Union africaine

Le Sommet Afrique-France, qui vient de se dérouler à Nice, augure-t-il une nouvelle ère dans les rapports qu’entretiennent les deux parties ? 

Aujourd’hui, on a le sentiment de ce que j’appellerais « une rupture positive ». Laquelle rompt avec un passé où, parfois, sous les Présidences de François Mitterand et de Jacques Chirac, les Africains n’étaient pas toujours contents de la manière dont ils étaient traités. Ils avaient l’impression d’être un peu méprisés, considérés comme des gens pas toujours responsables. Il faut espérer que les choses vont évoluer. Le monde change très vite, l’Afrique aussi. Le Royaume-Uni et la France se transforment également. Il faut tout adapter à l’évolution des choses. Cela a déjà commencé à bouger : c’est positif !

Aujourd’hui, le Président Sarkozy a décidé d’être le défenseur de l’Afrique, qui représente 17% de la population mondiale… N’est-il pas temps que l’Afrique ait sa place dans les grandes instances internationales, comme le Conseil de Sécurité des Nations Unies et/ou le Fonds Monétaire International ? 

Une gouvernance mondiale s’esquisse. Si elle veut assurer sa légitimité et son efficacité, elle ne peut ignorer un continent peuplé d’un milliard d’habitants, avec ses richesses et ses diverses populations. Sinon, cela ne sera pas un monde qui reflète la réalité. Dans ce contexte, la gouvernance évolue : le Conseil de Sécurité des Nations Unies est passé de 15 à 24 ou 25 membres; le G20 – qui représente la gouvernance économique – est en pleine évolution. D’ailleurs, nous y sommes déjà admis. 

L’Afrique du Sud n’est pas le seul représentant de cet immense continent…

L’Afrique du Sud représente le continent africain en tant que pays émergent. Dans ces conditions, nous avons réclamé d’être invités et c’est déjà le cas. Nous sommes allés au Sommet de Londres, à celui de Pittsburgh. Nous sommes aussi invités en Corée. Néanmoins, ce que nous réclamons désormais, c’est une institutionnalisation de la présence africaine. Et le Président Sarkozy ne nous a pas seulement dit qu’il sera l’avocat de l’Afrique dans ce domaine, mais que, lorsque la France assurera prochainement la Présidence du G20, il va nous donner satisfaction. Nous sommes donc très heureux. 

Concernant les deux sièges permanents au Conseil de Sécurité des Nations Unies, avez-vous l’assurance que l’Afrique pourra les occuper plus rapidement que prévu ?

Il n’est pas possible d’intégrer d’autre continents sans l’Afrique. Les tendances qui se dessinent, c’est ce que l’on appelle le « G4 » : l’Allemagne pour l’Europe, le Japon pour l’Amérique latine. En parallèle à ce G4, nous voulons assurer deux sièges à l’Afrique.

Avez-vous une idée des pays susceptibles d’occuper ces deux sièges ? 

Si le G4 s’est autoproclamé en tant que tel, cela résulte d’une décision que chacun de ces Etats a prise afin de faire aboutir rapidement la réforme. Le Japon, l’Inde, l’Allemagne et le Brésil forment un groupe compact visant à faire prendre corps à cette réforme. Naturellement, l’Afrique a sa place avec deux sièges. Qui occupera ces sièges ? Plusieurs candidats se sont déjà présentés en 2005. Aujourd’hui, ces pays sont-ils toujours candidats ? En existe-t-il d’autres ? Nous ne le savons pas, mais lorsque le principe de la réforme sera adopté, des candidatures seront présentées. 

Qui va se présenter du côté de l’Afrique ? 

Il y en a beaucoup qui se sont présentés, comme l’Afrique du Sud, le Nigéria et vraisemblablement l’Egypte, ainsi que le Sénégal. Les ambitions, elles aussi, sont multiples. À présent, le choix se fera avec le vote des 192 pays. 

Après le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, qui avait été peu apprécié de ses pairs africains, diriez-vous que le Président français est devenu un vrai défenseur de l’Afrique et que nous pourrions l’appeler « Sarkozy l’Africain », comme ce fut le cas du Président Chirac ?

Le discours de Nice est clair à cet égard. Le Président français s’est présenté dans de nombreux domaines comme un défenseur des ambitions africaines, notamment à l’égard de la réforme du Conseil de Sécurité, où il préconise la présence d’Etat africains. Qu’il s’agisse de la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale, politique – dans le cadre du Conseil de Sécurité ou du G8 – et économique, comme dans le cas du G20, il a défendu des positions très favorables au continent africain.

En termes de sécurité, le Président Sarkozy a déclaré que 300 millions d’euros seraient débloqués pour former 12 000 soldats africains qui seront déployés dans la région subsaharienne – Mali, Mauritanie… -, où il existe une véritable menace avec la présence d’Al-Qaïda au Maghreb islamique…

On m’a beaucoup parlé de changements qui sont en train d’être opérés par la France. Laquelle tient compte de l’évolution des choses et a décidé de déployer différemment ses forces. Néanmoins, il est très important de faire en sorte que les Africains puissent organiser leur propre défense. Autrement, nous n’y arriverons pas.

Vous pensez donc qu’il faut une « africanisation » plus prononcée des opérations de maintien de la paix et que ces opérations ne doivent plus être l’apanage des Casques bleus ? 

Les Nations Unies appartiennent à tout le monde. Au sein des 192 pays qui  constituent l’ONU. Les Africains sont au nombre de 53, ce qui représente une majorité relative. Nous remplissons toutes nos obligations. Dans ce contexte, les Nations Unies sont également faites pour nous. La responsabilité première du maintien de la paix dans le monde revient aux Nations Unies.

Je tiens à faire deux petites remarques : lorsque les Nations Unies – c’est à dire le Conseil de Sécurité – tergiversent, nous ne pouvons pas nécessairement attendre. À ce moment-là, c’est à l’Union africaine d’intervenir, ce qui a été le cas en Somalie.

Nous sommes seuls en Somalie, car nous constatons que le Conseil de Sécurité ne veut pas ou ne peut pas nous aider. Nous sommes donc obligés de prendre nos responsabilités et d’aller sur le terrain pour rétablir la paix, la démocratie, les droits de l’Homme et le développement.

Dans le cas du Soudan, nous étions déjà présents lorsque les Nations Unies ont décidé de nous rejoindre. Nous sommes dons allés là-bas pour mettre en place la première opération hybride des Nations Unies en partenariat avec l’Union africaine. C’était la première fois que l’ONU mettait en place une force de ce genre. Désormais, les forces de l’ONU sont un peu partout : au Congo ou ailleurs… Et surtout, ces forces sont africaines, du moins en grande partie ! Au Darfour, elles le sont à 95%.

Au Congo, des militaires viennent de l’Inde, du Bangladesh, de Thaïlande… Il y a bien quelques troupes qui ne sont pas africaines, mais le principal est tout de même constitué de troupes du continent. Il n’y a pratiquement pas de troupes occidentales. 

Est-ce que les 12 000 Africains qui seront déployés dans la zone subsaharienne pour lutter contre Al-Qaïda seront suffisants ? 

Al-Qaïda n’est pas l’unique problème rencontré dans cette zone du Sahara, qui n’est sous le contrôle de personne. On y voit non seulement se développer les réseaux terroristes depuis la Mauritanie jusqu’à la Somalie, mais aussi des trafiquants de drogue : d’Amérique latine pour la cocaïne, d’Afghanistan pour l’héroïne, d’Asie ou d’ailleurs…

Cette zone est devenue un boulevard pour les trafiquants et les terroristes. Il y a aussi ceux qui kidnappent des gens pour obtenir des rançons, ce qui  ne peut plus durer. Il faut essayer d’y mettre un terme. C’est d’autant plus important que lorsque la cocaïne arrive d’Amérique latine et qu’elle transite par l’Afrique, sa destination finale est l’Europe. 

La même chose concerne l’héroïne, qui vient d’Asie et qui transite aussi par cette zone pour arriver ensuite en Europe. Il faut donc contribuer à la formation et au financement des troupes africaines : c’est la voie à suivre. 

Propos recueillis par Christian Malard