Nous devons vaincre !
Le vendredi 13 novembre, une certaine idée de la vie française a été massacrée. Pour ceux qui hésiteraient encore à mettre les mots sur les faits, nous sommes en guerre face à une organisation puissante et structurée, un État fanatique. Contre cette menace, nul n’a le droit de marchander son soutien au gouvernement. Mais l’unité nationale n’est pas le silence. Force est de constater qu’après des mois et des mois de bombardement, l’adversaire reste redoutable.
Je n’ai jamais cru à une victoire éclair, mais il y a eu des erreurs, des retards et notre stratégie s’est révélée dans l’impasse. C’est le résultat d’une vision diplomatique erronée. Le leitmotiv du « ni Assad ni Daech » fut une erreur. Je n’ai aucune complaisance concernant Bachar el Assad, mais lorsqu’on fait la guerre et lorsqu’on doit protéger les Français des représailles, on ne multiplie pas ses adversaires et au surplus, on ne méprise pas ses éventuels alliés. Et parmi eux, la Russie ! Je n’ai pas attendu le 13 novembre pour dire au gouvernement que Moscou devait être intégré à une coalition internationale.
Au lieu de cela, nous avons préféré engager un bras de fer avec la Russie, lui imposer des sanctions, l’écarter du G8, lui refuser la vente de nos Mistral… Bien sûr, la crise ukrainienne était là, mais à force de ne voir qu’elle, on n’a pas vu où se situait la vraie menace pour nous. Bref, par manque de clairvoyance, la France s’est privée de marges de manœuvre et fut doublée par les événements. C’est sans nous que les Américains et les Russes ont engagé des discussions directes cet été. Et c’est sans nous qu’ils ont pris l’initiative de relancer le mois dernier à Vienne le processus diplomatique, auquel notre pays s’est raccroché. François Hollande semble décidé à changer de stratégie. J’approuve ce changement, mais je ressens une certaine colère devant le temps perdu. Maintenant, il faut se donner tous les moyens de gagner cette guerre. La priorité, c’est de constituer la coalition la plus large possible contre l’état islamique. Cela signifie concrètement plusieurs choses.
« Partout ces jours-ci, la Marseillaise est chantée et je vois des drapeaux tricolores.
Ces drapeaux rassemblent tous ceux, qui, au-delà de leurs origines
et de leurs religions aiment la France. »
D’abord, fédérer dans un même cadre opérationnel tous ceux qui sont présents sur le terrain pour lutter contre l’état islamique : la coalition internationale qui s’est constituée il y a un an et dont nous faisons partie, mais aussi la Russie et l’Iran. Avec la Russie, on ne peut pas se borner à des mesures visant simplement à éviter tout incident entre nos forces sur le terrain. Ce qu’il faut, ce sont des échanges de renseignements sur les cibles à viser et une véritable coordination opérationnelle entre nos armées. Peut-on combattre côte à côte avec les Russes, alors que nous leur imposons dans le même temps des sanctions européennes ? Ma réponse est non ! Le Président de la République doit prendre ses responsabilités et obtenir de ses partenaires européens qu’un terme soit mis à ces sanctions, car l’efficacité exige la confiance mutuelle. L’enjeu n’est pas de savoir si Vladimir Poutine joue une partie d’échec diplomatique, parmi bien d’autres acteurs régionaux et internationaux, dont les États-Unis. L’enjeu vital et urgent, c’est de mettre tout le monde en ordre de bataille.
L’accord sur le dossier nucléaire permet aussi d’envisager la réintégration de l’Iran dans les discussions. Son influence sur le Hezbollah libanais et la présence de ses forces spéciales sur le terrain en font, qu’on le veuille ou non, un élément-clé de la victoire au sol. Pour vaincre les terroristes, nous ne pourrons pas non plus nous passer d’une liaison avec les autorités syriennes. Comment abattre l’état islamique, dont les sanctuaires et les centres de décision sont en Syrie, sans a minima des échanges de renseignements avec le régime en place ? Il faut rouvrir notre ambassade à Damas et décider, dans un premier temps, de l’envoi d’un chargé d’affaires pour ouvrir ce canal d’échange d’informations. Sur le terrain, il faut intensifier les bombardements des centres névralgiques de l’ennemi. L’arrivée du porte-avions Charles-de-Gaulle permet de tripler notre capacité de frappe. Nous ne devons pas nous cantonner de cibler Raqqa, mais étendre nos frappes aux zones qui permettent à l’état islamique de répandre sa gangrène jusqu’à l’Europe et notamment à la frontière entre la Syrie et la Turquie. C’est indispensable pour mettre un terme à la porosité de la frontière, par laquelle transitent les combattants étrangers. C’est indispensable aussi pour aider les Kurdes, dont le courage ne se dément pas.
Toujours sur le plan militaire, nous devons aussi avoir le courage d’anticiper l’étape d’après et les actions au sol. L’état islamique sera affaibli depuis les airs, mais il sera vaincu au sol. Ne répétons pas les erreurs de l’Irak ou d’Afghanistan en laissant planer l’hypothèse d’une opération occidentale, qui provoquerait une réaction de rejet sur laquelle misent tant nos ennemis. Évoquons en revanche les actions au sol avec les États de la région, qui sont les plus directement menacés. C’est à eux qu’il revient en premier lieu d’éradiquer le mal qui ronge la région. Nous avons des relations privilégiées avec l’Arabie Saoudite, les États du Golfe ou encore la Jordanie : cela nous permet d’en discuter avec franchise. Et répondons à l’appel de ceux qui, sur le terrain, ont prouvé leur efficacité, à commencer par les peshmergas kurdes.
« Nous savons de quoi sont capable nos policiers,
nos pompiers, nos médecins, nos soldats.
Nous sommes la France ! »
Il faut faire davantage pour les équiper, les entraîner, leur fournir du renseignement. Cette nouvelle coalition doit être à la fois militaire et diplomatique. Les deux réunions qui se sont tenues à Vienne fin octobre et début novembre ont conduit à l’adoption d’une feuille de route et d’un calendrier, qui ont été endossés par la Russie et l’Iran. Ne multiplions pas pour notre part les points de blocage quant au départ préalable d’Assad et sachons rester ouverts aux schémas qui permettraient de concrétiser l’horizon d’une transition politique. Notre action devra s’inscrire dans le cadre du droit international. Pour l’instant, la résolution 2249, votée à notre demande, n’est qu’un texte déclaratoire et symbolique. Il faut obtenir du Conseil de sécurité des Nations Unies l’adoption d’une résolution placée sous le chapitre VII de la charte des Nations Unies, le seul qui prévoie l’autorisation de l’usage de la force, le seul qui permettrait de mettre nos adversaires au banc de toute la communauté internationale. Et puis, face aux terroristes, il y a l’Europe qui doit se réveiller et il y a notre action sur notre propre sol. L’état d’urgence permet aux autorités d’agir avec fermeté. Tout doit être entrepris pour dissuader, traquer, arrêter les djihadistes et leurs complices. Mais la riposte n’est pas que sécuritaire. Partout ces jours-ci, la Marseillaise est chantée et je vois des drapeaux tricolores. Ce drapeau rassemble tous ceux, qui, au-delà de leurs origines et de leurs religions, aiment la France. Parmi nous, j’invite nos concitoyens musulmans à se dresser contre ceux qui instrumentalisent leur foi. Dans aucune parcelle de notre territoire, les fanatiques ne doivent trouver le moindre repos.
Les terroristes pensaient que nous étions incapables de réagir. J’ai lu le récit de ces Français, qui, sur les lieux des attentats, ont été braves. Nous avons vu de quoi sont capables nos policiers, nos pompiers, nos médecins, nos soldats. Nous ne sommes pas des anonymes : nous sommes la France ! Pour elle, nous allons résister, nous allons nous battre, et nous devons vaincre.
François Fillon
Ancien Premier Ministre,
Député de Paris
< Éditorial Précédent Nicolas Sarkozy |
Éditorial suivant > Gérard Larcher |