Vous êtes ici Le Journal du Parlement > Armand De Decker, Président du Sénat de Belgique

Une Chambre de réflexion

Armand De Decker, Président du Sénat de Belgique
Le 5 mai 1993, le Parlement fédéral belge a connu la réforme la plus importante de son histoire. Tant sa composition que son fonctionnement ont été fondamentalement revus. Durant les trente dernières années, l’Etat belge unitaire s’est lentement transformé en un Etat fédéral. Des collectivités fédérées ont vu le jour; elles ont progressivement obtenu une autonomie de plus en plus large. L’évolution est originale et mérite d’être soulignée. Alors que la plupart des Etats fédéraux se construisent par association, ce que résume la formule latine « e diversitate unitas », la Belgique fédérale est née de la dissociation. Le fédéralisme y est centrifuge. Ce processus a eu, de facto, une conséquence sur la composition du Parlement fédéral. Il fallait en effet mettre sur pied un bicamérisme convenant à un Etat de type fédéral. Il était important, dans cette perspective, que les Collectivités fédérées (les communautés) soient représentées en tant que telles au Parlement fédéral et que par ce biais, elles participent à l’élaboration des normes fédérales. Le Sénat fut transformé, en partie du moins, en une « Chambre de rencontre des communautés ». Vingt et Sénateurs, sur un total de soixante et onze, sont aujourd’hui désignés. Ces Sénateurs exercent un double mandat, siégeant à la fois au niveau fédéral et au niveau des Collectivités fédérées. Quant aux autres Sénateurs, quarante sont directement élus par le corps électoral et dix sont cooptés par leurs pairs. Parallèlement au processus de transformation de l’Etat belge, un autre facteur a contribué à la réforme du Parlement fédéral. La révolution du parlementarisme belge avait abouti, comme dans d’autres pays d’ailleurs, à l’établissement d’un système bicaméral indifférencié et égalitaire : les deux Chambres se présentaient, tant du point de vue de leur composition que de leurs attributions, de manière pratiquement identique, faisant l’une après l’autre exactement le même travail. Comment nier que l’organisation du travail parlementaire était la source de lenteurs et de doubles emplois stériles ? Il fallait donc faire du Parlement fédéral une Institution moderne et efficace. La réforme du 5 mai 1993 a tenté de réaliser cet objectif, en opérant une certaine spécialisation des Assemblées et en rationalisant la procédure législative.

Il revient en premier lieu aux Parlements d’exercer le contrôle politique de l’action gouvernementale. En Belgique, cette tâche est désormais dévolue à la Chambre des Représentants. Seule elle, est en mesure de mettre en jeu la responsabilité politique du Gouvernement fédéral. Cela n’empêche pas les Sénateurs de poser des questions à ce dernier, voire d’adopter des résolutions. Mais, au Sénat, aucune sanction politique ne s’attache à la mise en oeuvre de ces mécanismes. La fonction budgétaire a également été confiée à la Chambre des Représentants, seule. Dans le domaine législatif, une rationalisation de la procédure a été opérée. Elle peut être décrite sommairement comme suit : pour toutes les lois qui ont trait aux bases de l’Etat belge, la Chambre et le Sénat sont toujours compétents et sont véritablement, sur un pied d’égalité. Cela signifie que pour ces matières, les projets de loi ne sont adoptés que si les deux Chambres s’accordent sur un texte identique. En échange, pour toutes les autres matières, la Constitution a opté pour un bicaméralisme restreint : l’intervention du Sénat est facultative et la Chambre a le pouvoir du dernier mot. Le Sénat constitue en quelque sorte une « Chambre de réflexion ». Ce rôle est essentiel. Le Sénat est devenu le garant de la qualité de la législation. C’est en son sein que sont conçues les réformes législatives importantes, qu’ont lieu les grands débats de société. C’est au Sénat aussi qu’il revient de procéder à l’évaluation des lois.