par S.E. Stjepan Mesić, Président de la République de Croatie
« Ce que l’Europe gagne avec la Croatie »

En février de cette année, notre pays a déposé sa candidature d’adhésion à l’Union européenne, répondant ainsi aux aspirations de ses citoyens et à leur désir de lier leur destin à la communauté des nations européennes dont ils partagent les valeurs. Nous avons pris cette initiative après avoir reçu des signes encourageants de nombreux pays membres, notamment de la France, et espérons recevoir au printemps 2004 une réponse positive de la Commission européenne, ce qui nous permettrait de commencer les négociations d’adhésion.
Rejoindre l’Union représente pour nous une profonde « remise à niveau », une vaste modernisation de notre société. Mais nous souhaitons également contribuer à l’émergence d’une Europe élargie, forte de son héritage culturel commun, unie en matière de politique étrangère et de sécurité. Nous savons que, de par notre expérience et notre position géographique, nous pouvons apporter une valeur ajoutée à cet édifice commun, en constituant une étape supplémentaire vers l’achèvement du projet d’élargissement européen.
Tout d’abord, la Croatie représente un pôle de stabilité sur le flanc sud-est de l’Europe. Sa contribution décisive à la résolution de la crise yougoslave et à la consolidation de la paix et de la démocratie est largement reconnue. Sa lutte efficace contre le crime organisé dans les Balkans en fait également un partenaire crucial dans la lutte antiterroriste en Europe. Son entrée dans l’O.T.A.N. dans quelques années renforcera encore sa contribution à la sécurité régionale.
Ensuite, la Croatie possède un potentiel économique significatif. Avec un PIB par habitant avoisinant les 5500 euros par an, une croissance de 5 %, une inflation et des déficits maîtrisés, ainsi qu’un tourisme en pleine expansion attirant plus de 7 millions de visiteurs en 2002 pour une population de 4 millions d’habitants, elle est bien positionnée économiquement. Ce redressement, souligné par un rapport récent du Sénat français, place la Croatie parmi les pays les plus prometteurs qui ne participeront pas à l’élargissement de mai 2004. La France, en particulier, a reconnu en la Croatie un partenaire économique privilégié, avec des investissements triplés en deux ans.
De plus, sa situation géographique est stratégique. Façade méditerranéenne de l’Europe centrale, la Croatie contribuera à réduire sensiblement l’isolement géographique de la Grèce. Avec sa longue côte dalmate et istrienne et ses milliers d’îles, elle enrichira la dimension méditerranéenne de l’Union. Son oléoduc adriatique fournira une nouvelle voie d’approvisionnement en hydrocarbures.
Enfin, son patrimoine culturel et naturel est remarquable. Située entre les foyers de la civilisation européenne que furent Rome et Athènes, la Croatie a su préserver un héritage exceptionnel mêlant influences romaines, byzantines, franques, vénitiennes, austro-hongroises et balkaniques, qui enrichira la diversité culturelle de l’Union. Six sites inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, dont la vieille cité de Dubrovnik, ainsi qu’une nature préservée grâce à huit parcs nationaux, témoignent de cette richesse.
Je suis conscient que de nombreuses voix appellent à une pause pour permettre à l’Union de « digérer » ce premier élargissement à l’Est. Cependant, je reste convaincu qu’il est crucial de persévérer maintenant, après le « round » de Copenhague. Il est nécessaire de créer les conditions préalables aux élargissements futurs – tant pour l’intérêt de l’Union que pour celui de ses membres potentiels, souvent des pays en transition. Il faut donc faire preuve d’ardeur et de volonté politique pour réaliser ce noble objectif d’une Europe unie.
L’estime et la chance doivent être données à l’Europe du Sud-Est, théâtre des récents conflits du Vieux Continent, pour qu’elle se transforme en une zone de stabilité, de paix et de sécurité. Par la politique qu’elle mène dans la région, la Croatie contribue à surmonter une situation encore fragile, notamment en travaillant au rétablissement de relations normalisées et à une coopération motivée par l’intérêt commun.
En encourageant la coopération régionale – un concept entériné au Sommet de Zagreb que j’ai eu l’honneur de présider avec le président Chirac en novembre 2000 – la Croatie souhaite entraîner les autres pays de la région dans son sillage. À terme, cela devrait aboutir à la mise en place d’un réseau de relations bilatérales et multilatérales, reléguant l’expression « poudrière » aux livres d’histoire et notamment aux Balkans. Il ne s’agit pas pour la Croatie de couper les ponts avec eux, mais de les rapprocher de l’Europe, en participant à leur transformation et en leur apportant « plus d’Europe ».
Ainsi, la Croatie ne conçoit pas sa relation avec l’Union européenne comme une relation unidirectionnelle, en position de demandeur. Nous sommes également conscients de ce que nous pouvons apporter à l’Union européenne. Celle-ci doit en prendre acte et manifester sa volonté d’en tirer parti, afin que chacun donne et reçoive en retour. Je suis convaincu que cette réciprocité constitue la base la plus solide pour l’intégration de la Croatie à l’Union européenne, et qu’il est réaliste de concrétiser cette intégration dès le prochain élargissement prévu pour 2007.
par S.E. Stjepan Mesić