« Ce que l’on cherche est une paix réelle »
Monsieur le Président, si la livraison par la Syrie de missiles Scud, qui peuvent atteindre n’importe quelle partie du territoire israélien, si cette livraison au Hezbollah se confirme, considéreriez-vous alors qu’Israël serait en état de guerre avec le Président syrien Bachar al-Assad ? …
Non, nous ne déclarons pas la guerre, mais vous pouvez voir qu’ils la préparent. Vous ne pouvez pas d’un côté suggérer de commencer des négociations et de l’autre côté, vendre des missiles à longue portée au Hezbollah, car avec le Hezbollah, il n’y a pas d’autres messages, d’autres rôles que celui d’attaquer Israël. Vous devez comprendre qu’en politique, vous ne pouvez pas décemment parler avec deux langages. C’est soit la paix, soit la guerre. Nous préférons la paix, nous ne changerons pas notre position.Avez-vous le sentiment que cette livraison fait partie de la réalité, que les Syriens auraient livré ces missiles Scud ? Cela se confirme-t-il ?
Oui… Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Le Hezbollah aurait déjà en stock 80 000 missiles. Dites-moi pourquoi ce parti religieux aurait besoin de ces missiles si ce n’est pour la guerre ? Est-ce que quelqu’un a menacé le Liban ? Personne ne l’a fait. Est-ce que quelqu’un a menacé la Syrie ? Personne !
80 000 missiles, c’est un fait… Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la première fois qu’ils envoient des missiles à longue portée qui peuvent atteindre le cœur d’Israël. Et précisément pour tuer des gens ! Dans quel but ? Détruire le Liban, compromettre la paix… Ce sont des extrémistes qui n’ont aucun sentiment pacifique.
Considérez-vous aujourd’hui, Monsieur le Président, que les Présidents Nicolas Sarkozy et Barack Obama doivent cesser leur politique de la main tendue à Bachar al-Assad ?
Je ne sais pas, mais les Américains doivent prendre leurs responsabilités ; s’ils envoient un ambassadeur en Syrie, c’est une sorte de déclaration…
Je pense que le Président Sarkozy voit clairement ce qui se passe et va faire un point avec les Américains. J’espère, si c’est le cas, une réponse appropriée.
Les États-Unis, la France et les pays occidentaux souhaitent qu’à court terme, le Conseil de Sécurité des Nations Unies puisse prendre des sanctions très fermes contre l’Iran, en espérant que les Chinois joueront le jeu. Si tel n’était pas le cas, s’il n’y a pas de solutions diplomatiques avec l’Iran – pensez-vous qu’Israël, avec les Américains, et peut-être d’autres partenaires, sera contraint de se préparer à une intervention militaire contre l’Iran ?
Il faut épuiser toutes les options. Personne n’utilise l’option militaire en priorité. Israël considère que le problème iranien n’est pas uniquement le sien, mais celui du monde entier qui est en danger. Regardez, si l’Iran dispose de la bombe nucléaire, alors de nombreux pays vont suivre. Personne ne sera à l’abri. Pensez que chaque problème est une bombe nucléaire… Et je ne sais pas comment le monde sera gouverné et qui contrôlera la bombe nucléaire. Nous avons déjà des problèmes au Pakistan, où la sécurité n’est pas assurée, en Corée du Nord, où l’on peut acheter des bombes en « duty free ». Et cela est en train de se produire. Ce n’est pas une blague, car une bombe peut surgir n’importe où !
Le problème n’est pas la bombe en elle-même, mais dans quelles mains elle se trouve. Et si on a affaire à des dirigeants irresponsables, religieux et fanatiques, mon Dieu, plus personne ne dormira !… Aussi, vous ne pouvez pas dire que c’est seulement un problème pour Israël.
Je veux croire que Nicolas Sarkozy est très sérieux en abordant la catastrophe que ce serait si l’Iran avait la bombe. Ce n’est pas clair dans le reste du monde. Regardez la dernière réunion à Washington ! Et quelle est la position chinoise ? Il reste beaucoup de questions en suspens, tout comme il y a des contradictions dans la position russe. Mais la première chose que je ferais, si j’étais à leur place, je prendrais toutes les sanctions, en accord avec les Nations Unies. Il y a encore une marge de manœuvre pour faire pression sur les dirigeants iraniens afin de stopper cette course folle à la bombe. Est-ce que l’Iran a besoin de la bombe ? Personne ne les menace. Ils pourraient demander de l’aide économique, en raison de leur taux de chômage élevé, de la pauvreté et du manque de nourriture. Le temps est venu de dire les choses sans faux-semblants et de penser dans des termes réels. Je crois qu’avant d’envisager des sanctions économiques, il faut instaurer des sanctions morales. Une attaque morale, parce que le problème est davantage un problème de leadership. La première protestation vient de l’opposition iranienne et nous devons les aider. Mais en fin de compte, nous ne le faisons pas. Cette politique de la honte n’est pas parfaite et il est temps de changer.
Dans la définition de sa nouvelle doctrine nucléaire, le Président américain, Barack Obama, a déclaré qu’en ultime recours, les États-Unis pourraient utiliser l’arme nucléaire, si leur sécurité était menacée. Est-ce qu’Israël pourrait aussi utiliser l’arme nucléaire si demain, vous avez le sentiment profond que ce régime iranien menace la sécurité d’Israël ?…
Nous n’aimons pas parler de tout ce qui pourrait donner l’impression que nous sommes menacés. Bien évidemment, si nous étions attaqués, nous nous défendrions. Mais nous préférerions voir une conduite responsable du monde. Nous sommes contre cette utilisation, nous n’avons rien planifié contre personne, nous n’avons pas d’intention agressive, nous avons rendu la terre aux pays que nous avons vaincus, aux Palestiniens. Vous savez… Quelle est l’alternative contre les pays fanatiques, contre les terroristes ? Imaginez le Moyen-Orient sans Israël ? Ce serait un endroit sauvage, où vous collectionneriez des armes, où vous construiriez des bombes nucléaires. C’est très facile de critiquer Israël, mais Israël est un petit pays, seul, qui a traversé sept guerres ; seul, subissant, où des combats contrecarrent encore sa « logique d’Histoire ». La Russie connaît cela, comme les Américains, comme les Européens. L’Europe a attaqué le Kosovo et il y a eu six millions de morts. Voulait-elle les tuer intentionnellement, je ne crois pas.
Combattre le terrorisme est un problème complexe. Premièrement, on parle de guerre, mais ce n’est pas une guerre, vous tuez des terroristes, il en vient d’autres. L’important est la prévention et pour prévenir, vous avez besoin de la population, des gouvernements, de coopérer et de le faire sérieusement…
Monsieur le Président, quand on regarde le contexte général au Proche-Orient – on vient d’en parler avec la Syrie, l’Iran – le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu ne veut pas parler de négociations avec les Palestiniens sur la base du retour aux frontières de 1967 et le partage de Jérusalem. N’avez-vous pas le sentiment aujourd’hui que nous sommes davantage dans une logique de guerre que dans une logique de paix ?
Non, je ne pense pas… Regardez, il y a deux choses.
- Etes-vous prêts à discuter avec les palestiniens? Benyamin Netanyahu a répondu oui.
- Commencez-vous des négociations avant d’avoir une vraie visibilité ?
Je ne sais pas, parce que dans ces conditions, il n’y a pas de négociations si on n’a pas pré-défini la nature même de ces négociations. Celles-ci doivent être pensées dans un esprit d’ouverture, or vous ne pouvez pas entamer de négociations avec des positions fermées. Même à Hollywood, leur « happy end » ne surgit pas immédiatement. On ne commence pas par un « happy end ». Mais une fois prêts pour négocier dans un cadre bien déterminé, nous pourrons alors mettre les problèmes sur la table et trouver des solutions durables.
Les Palestiniens et le monde arabe prônent la reprise des discussions autour du plan de paix qui stipule un retour aux frontières de 1967 et le partage de Jérusalem. Pour Israël, quelles seraient précisément les conditions « idéales » pour ouvrir des négociations qui permettraient à votre pays de se sentir en sécurité à travers des frontières sûres et reconnues ?
Ces conditions peuvent faire partie de la négociation et être mises sur la table. Nous ne sommes pas contre. Ils avanceront leurs positions, mais ils ne peuvent pas nous dire « acceptez nos conditions et puis nous négocierons ». Tout le monde peut discuter, mais le problème de Jérusalem est plus compliqué. Les gens confondent le concept religieux de Jérusalem, incluant la Vieille Ville avec le Mont du Temple, la Mosquée, le Mur des Lamentations, formant un ensemble d’un kilomètre. Ce kilomètre a vu naître les trois grandes religions, a inspiré la moitié de l’Humanité et créé des conflits pendant des siècles !…
C’est un problème simple, un problème politique. Il y a une réponse immédiate, j’en suis certain. Les positions israéliennes sont encore au début. Tout l’aspect religieux doit être sous le contrôle de différentes parties : la partie sacrée que nous devons respecter. Pour la Mosquée, laissons les Musulmans s’en occuper ; pour l’Église, confions cela aux Chrétiens ; et pour le Lieu saint, aux Juifs. Nous devons trouver une solution, mais c’est très compliqué. Personne ne peut revendiquer un monopole sur le côté sacré de Jérusalem, quelle que soit la religion. Ce n’est pas si simple. Je pense que nous devons procéder avec prudence, en présentant des arguments simples pour un problème complexe. Asseyons-nous et trouvons une solution formidable.
Un dernier point, Monsieur le Président : pensez-vous qu’aujourd’hui, plus que jamais, Barack Obama doit être le parrain d’un processus de paix ? Il est vrai que les Américains se sont un peu irrités jusqu’à présent des relations conflictuelles avec le Premier Ministre Benjamin Netanyahu. Pensez-vous que demain, cela pourra s’arranger ?…
Le Président Obama est engagé sur la voie de la paix. Je ne pense pas qu’il soit contre Israël, je ne pense pas qu’il soit contre les Arabes, je crois qu’il a sa propre approche. Les Américains eux-mêmes reconnaissent des erreurs dans leur politique passée. C’est compréhensible, corrigeons-les. Tout le monde commet des erreurs, mais les fondements de la paix sont posés en Amérique, à la Maison Blanche, alors avançons ! Ce que nous recherchons, c’est une paix véritable. Nous devons respecter le Président Obama. Il joue un rôle crucial, dans une situation difficile. La crise économique n’est pas terminée, il doit gérer un important déficit, tout cela est problématique et je crois qu’il respecte les gens. Le soutien des États-Unis est important, mais le Président Obama m’a dit : « Aussi longtemps que je serai Président, la sécurité d’Israël sera l’une de mes priorités. Nous devons comprendre que ce processus requiert de l’expérience. Non seulement vis-à-vis de nos adversaires, mais aussi de notre propre peuple. Nous devons l’aborder avec sérieux, engagement et éviter les humeurs passagères… »
Propos recueillis
Christian Malard