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« Désormais la sécurité de notre pays ne se joue plus à nos frontières »

Amiral Edouard Guillaud, Chef d’État Major des Armées

Amiral, vous avez pris vos fonctions le 25 février denier, quel est votre premier bilan, quels sont vos objectifs ?

Depuis ma prise de fonction, je me suis d’abord et immédiatement rendu sur le terrain, au Liban, en Afghanistan, aux EAU, dans nos camps d’entraînement, sur nos bases navales et aériennes, j’y ai rencontré des militaires pleins d’allant, fiers de servir, dont les forces morales sont manifeste. Sur les théâtres d’opérations, ce dynamisme saute aux yeux, nos militaires y sont bien équipés, bien entraînés, bien commandé. Sur le terrain, l’efficacité opérationnelle de nos armées est remarquée par nos alliés qui m’en font part lorsque je suis réuni avec mes homologue de l’UE ou de l’OTAN. Les armées françaises comptent sur tous les théâtres où elles sont engagées, nous en avons probablement moins conscience que nos partenaires.

Leurs qualités militaires d’aujourd’hui ne sont pas des acquis éternels. Elles se cultivent, s’entretiennent. Elles rédament une dynamique permanente d’adaptation des matériels, des doctrines, des formations et des entraînements, de l’imagination dans l’emploi de nos forces. Ce sont les États Majors qui doivent être les aiguillons de cette vitalité nourrie de la réalité de nos engagements. Elle conditionne le succès de nos opérations d’aujourd’hui. Mais nos engagements aussi divers et exigeants soient-ils en Afghanistan comme en Océan Indien ne doivent pas masquer la préparation de l’avenir, le succès opérationnel de demain dans des conditions qui seront très certainement bien différentes de celles de nos engagements actuels. Cela relève d’autres ps de mes responsabilités comme l’organisation générale des armées, la définition de la politique des ressources humaines, la cohérence capacitaire, le développement de nos capacités de connaissance et d’anticipation, nos relations militaires internationales, notamment dans le cadre européen et dans celui de l’OTAN.

Le ministère de la défense et les armées sont engagés dans une transformation très profonde voulue par le Livre Blanc et la RGPP. Elle s’accompagne d’une réduction de nos effectifs, et nous amène à modifier le mode de fonctionnement du ministère. Nous avons choisi une démarche pragmatique pour cette transformation, basée sur une expérimentation dont les enseignements sont très riches grâce à l’imagination et à la pugnacité des militaires et des civils du Ministère impliqué. Nous allons maintenant passer du temps à la réflexion à celui de l’action. Je sais que cette phase sera difficile, délicate, qu’elle nécessitera une pédagogie de longue haleine ; elle devra surtout préserver les capacités opérationnelles de nos armées.

Peut-on faire un point sur les différentes OPEX – Côte d’Ivoire, Actes de piraterie…

Ces opérations se caractérisent d’abord par leur diversité. Actuellement près de 9 000 militaires sont engagés dans 27 opérations dont 2 majeures, c’est-à-dire qui dépassent chacune le millier d’hommes engagés : l’Afghanistan, le Liban. Deux opérations menées dans deux cadres différents : coalition de l’OTAN pour l’a-Afghanistan, sous casque bleu pour le Liban. Les forces françaises en OPEX comptent aujourd’hui 4 000 militaires de moins qu’à la même période l’année dernière. Car en cette année 2010, nous recueillons le fruit, le succès, d’opération débutées il y’a presque 10 ans. L’apaisement de la situation en Côte d’Ivoire, même si les solutions politiques sont difficiles à trouver, nous a ainsi permis de réduire significativement le volume de la force Licorne qui en quatre ans a été divisé par quatre, soit 900 hommes aujourd’hui. Comme le Président de la République l’a indiqué à Vannes le 8. Janvier 2010, nous espérons que les conditions du retrait y soient bientôt réunies. Nous avons de la même manière réduit de manière très significative le volume de notre engagement au Kosovo, où nous avons moins de 800 hommes quand nous en comptions près de 6000 en l’an 2000. S’agissant de la piraterie, l’opération européenne Atalante débutée en décembre 2008 est un vrai succès pour l’Europe. La capture de pirates n’est évidemment pas suffisante pour faire cesser la menace et les travaux en cours sur les aspects juridiques du traitement des pirates capturés ou ceux relatifs à l’amélioration de la sécurité en Somalie doivent compléter le volet militaire de la protection du trafic commercial. Je note par ailleurs que l’Europe s’engage aussi sur ce dernier volet avec, en mai, le début de la mission militaire européenne de formation de bataillons somaliens, à l’instar de ce que nous avons fait l’an passé à Djibouti avec nos amis Djiboutiens. Cette mission se déroulera en Ouganda comptera des instructeurs français.

Plus précisément sur l’Afghanistan, combien d’hommes sont sur le terrain, pour quelles missions et pour combien de temps ?

Permettre aux Afghans de prendre en main leur destin, c’est le sens de notre mission. Pour nous militaires, il s’agit de transférer à terme la responsabilité de la sécurité aux forces afghanes. d’où nos deux missions indissociables : d’une part la sécurisation, pour améliorer la situation des zones, qui nous sont confiées et donner ainsi aux Afghans, les conditions de base de leur développement, et d’autre part la montée en puissance de l’armée et de la police afghanes, pour leur transmettre progressivement le relais. La brigade française La Fayette, déployée dans la province de Kapisa et dans le district de Surobi, constitue véritablement le centre de gravité de nos actions sur le terrain. Elle planifie et conduit ses opérations en liaison permanente avec la grande unité afghane dont elle partage la zone, la 3ème brigade du 201ème corps, dont les bataillons sont entraînés et accompagnés par les ”mentors” français des OMLT. La plupart des opérations sont mixtes, les interactions sont quotidiennes qui voient chaque jour l’armée afghane devenir plus opérationnelle. 3000 militaires français, dont 300 dans les OMLT et 150 gendarmes dans les POMLT, œuvrent ainsi sur le terrain en Kapisa et en Surobi. Sur la question des échéances, j’ai bon espoir que la ré-articulation de notre dispositif militaire en novembre 2009, avec la création de la brigade La Fayette, donne ses premiers résultats concrets dans les mois qui viennent. Cette ré-articulation récente avait été rendue possible par un progrès sensible insuffisamment remarqué : le transfert aux Afghans de la responsabilité de la sécurité à Kaboul. Malgré les attentats qu’y conduisent régulièrement les talibans, ce transfert est effectif, il fonctionne. Ce que nous avons fait à Kaboul, nous pourrons le refaire ailleurs. C’est nu processus qui prend du temps. Il ne suffit pas de former des recrues et de les envoyer au combat pour constituer une véritable armée. Il faut aussi que les forces afghanes se réimplantent sur le terrain et démontrent la qualité de leur engagement auprès de la population. C’est l’enjeu quotidien de nos actions.

Ne craignez-vous pas un enlisement de la situation sur place ?

La situation est plus contrastée que l’on ne croit. La mission est difficile, il y a effectivement un grand nombre d’accrochage et d’actions de harcèlement de la part des insurgés, mais c’est la conséquence inévitable de nos efforts et de l’initiative tactique que nous avons prise. Plus nous progressons dans l’implantation de l’armée afghane, plus nous bousculons les insurgés dans leurs zones, plus ils tâchent de contrecarrer nos avancées. En Kapisa et Surobi ce sont ainsi depuis un an sept postes de combats avancés qui ont été édifiés. Chaque poste permet l’installation à demeure d’au moins une compagnie. Chaque poste est un jalon supplémentaire qui marque l’avancée de l’armée afghane. Chaque poste apporte un supplément de sécurité. Et nous enregistrons des progrès, comme dans le district du Surobi où la situation s’est grandement améliorée en un an. Parallèlement nous avons progressé de manière très significative en matière de développement et de gouvernance. Les structures mises en place sur le terrain de manière coordonnée en interministériel, notamment avec la Quai d’Orsay, sont très prometteuses.

Pouvez-vous nous dire où en est actuellement la coopération européenne en matière de Défense ? Est-on encore loin d’une véritable défense européenne commune ?

Il y a une réalité opérationnelle qui inscrit l’UE comme un acteur majeur de la sécurité internationale. Les opérations européennes ont débuté en 2003 avec Concordia en Macédoine, et Artémis au Congo, puis en Bosnie, au Congo à nouveau en 2006, au Tchad RCA.

C’est déjà un beau bilan, très significatif. Aujourd’hui cette réalité, c’est l’opération Atalante de lutte contre la piraterie, et désormais la formation des bataillons somaliens en Ouganda (EUTM) qui va permettre d’entraîner 2000 soldats en un an. Par ailleurs cette réalité recouvre également nos prises d’alerte dans les bataillons européens, la création de l’European Air Transport Command qui va permettre de mutualiser nos moyens. Il y a une réalité politique avec le trait » de Lisbonne qui dote l’Europe d’outils plus complets politiques, diplomatiques, militaires, permettant d’une meilleure synergie. Mais il y a aussi une réalité budgétaire avec un niveau de dépenses européennes structurellement faible en matière de défense. L’Europe croit-elle à la nécessité de la puissance militaire ? Nous avons considérablement progressé, nous sommes patients et opiniâtres, mais cette question de fond reste posée…

Le COMIAS a été officialisé le 16 février 2010. Quelles sont ces prérogatives ?

Le COMIAS commande la chaîne interarmées du soutien que nous sommes en train de mettre en place. L’un des volets de la transformation du ministère consiste à mutualiser l’administration générale et le soutien commun des unités et des services du ministère dans une chaîne unique. Alors que chaque armée, chaque service organisait jusque là de manière autonome son administration générale, entraînant des doublons, nous avons décidé de mutualiser ces capacités. Le COMIAS est le maître d’œuvre de cette opération. Localement le point d’application de cette organisation sera la base de défense, en fait une circonscription géographique, à l’intérieur de laquelle l’administration générale et le soutien commun seront assurés par un groupe de soutien unique et où les actions de soutiens spécialisés seront coordonnées. La base de défense n’est pas une fin en soi. Elle est le lieu qui rend possible les réformes considérables que nous conduisons sous l’autorité du ministre de la Défense.

Avez-vous un message particulier à adresser aux élus ?

La réforme de la Constitution a conduit, par trois fois déjà, les parlementaires à débattre publiquement des opérations militaires. Ces débats sont essentiels pour rappeler que désormais la sécurité de notre pays ne se joue plus à nos frontières et que les militaires agissent pour la Nation et en son nom. Par ailleurs, je suis avec une attention particulière les visites effectuées par ration. Je m’attache à ce qu’ils soient pleinement informés à l’EMA avant leurs déplacements. Sur le terrain, vous êtes les témoins du courage des militaires, de leur dénouement, de leur engagement dans des missions de plus en plus dures et complexes. Vous êtes les témoins de ces vertus qui fondent l’identité militaire sans laquelle il n’y a pas d’armée. Préserver et entretenir cette identité est l’une de mes tâches les plus importantes. Votre témoignage y contribue.

Propos recueillis par Cécile d’Orville