“En réalité, nous faisons, déjà partie intégrante de l’Union européenne !”

Leur préparation à l’intégration européenne coïncide avec leur transition d’un régime totalitaire à un régime démocratique, régi par l’état de droit, et d’une économie centralisée à une économie de marché libérale. Ce processus complexe s’est heurté à de nombreuses difficultés : l’inertie des anciennes structures, des habitudes et des mentalités. De ce point de vue, les pays candidats ont été aidés dans leurs efforts de réformes et de modernisation par les contraintes liées à leurs conditions pour la pleine adhésion et par la coopération avec les Institutions européennes.
Pour la Roumanie, ce processus a débuté juste après la Révolution de décembre 1989. En 1991, nous avons conclu un accord économique et commercial avec l’Europe, qui est rapidement devenue notre premier partenaire, représentant 75 % de nos échanges commerciaux. En 1993, des négociations ont été lancées, et en décembre 1994, nous avons commencé à participer aux sommets européens. Ainsi, avant même la réalisation de notre objectif final d’adhésion à part entière à l’UE, nous avons déjà une expérience de 14 ans de collaboration étroite avec l’Europe et ses Institutions. Nous faisons, de fait, partie intégrante de l’Union.
Naturellement, nous avons encore beaucoup à faire dans de nombreux domaines pour devenir entièrement compatibles et économiquement concurrentiels.
Un de nos principaux problèmes, comme pour toute la région, est la distance historique qui nous sépare des pays développés de l’Europe. Lorsque les pays de l’Ouest (notamment l’Angleterre et les Pays-Bas) sont entrés dans l’ère du développement industriel – ouvrant la voie à une nouvelle étape de civilisation – nos pays étaient sous la domination des grands empires. L’aspiration historique à l’indépendance a commencé seulement vers la fin du XIXe siècle et après la Première Guerre mondiale. La séparation de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale a stoppé ce processus, ainsi que le développement moderne de nos pays, tout en renforçant nos disparités avec les pays occidentaux.
L’effondrement du système communiste et la transition vers l’économie de marché ont également eu de nombreuses conséquences négatives. Beaucoup d’activités industrielles et d’emplois ont disparu. La démolition des anciennes coopératives agricoles a fragmenté les propriétés et les exploitations, entraînant une baisse de la productivité. Pour faire face à ces problèmes, le pays a besoin d’un afflux important de capital et d’une nouvelle dynamique pour développer et moderniser ses infrastructures. En Roumanie, nous avons élaboré en 2003 et 2004 une stratégie nationale pour un développement économique durable (« Roumanie 2025 ») dont le principal objectif est de réduire notre écart avec la moyenne européenne.
Pendant cette période, nous devons réaliser un taux de croissance économique au moins deux fois plus élevé que la moyenne européenne pour atteindre, en 2025, environ 80 % du PIB moyen de l’Union. Je pense que cet objectif devrait être commun à tous les pays impliqués dans l’intégration. Au début de ce siècle, la disparité entre les pays riches et pauvres est l’un des problèmes majeurs, source d’instabilité et de conflits dans le monde. L’UE pourrait donner l’exemple en résolvant de tels problèmes sur notre continent. C’est crucial pour la stabilité régionale en Europe et pour sa capacité concurrentielle face à la mondialisation.
Le développement économique de nos pays (de la Pologne, des pays Baltes à la région des Balkans) représente un grand potentiel pour l’élargissement du marché intérieur et la concurrence européenne à une échelle mondiale. Dans ce contexte, le monde des affaires apparaît plus efficace que le monde politique. Néanmoins, l’Europe a une occasion unique de jouer un rôle déterminant dans ce processus, en offrant ses valeurs démocratiques, son modèle social et culturel, ainsi que son organisation économique. Les craintes de certains citoyens des pays occidentaux – concernant les conséquences possibles de l’élargissement, telles que l’encouragement des vagues migratoires en provenance des pays de l’Est ou l’amplification du problème du chômage – sont exagérées. L’expérience des dernières années a prouvé que l’Europe est capable de faire face à ces problèmes avec succès. L’élargissement ne devrait pas être perçu par les pays riches comme une concession aux nouveaux membres de l’Est, mais comme un effort commun nécessaire pour construire ensemble une nouvelle Europe, au bénéfice de tous.
Naturellement, l’élargissement de l’UE n’est pas seulement un processus technique. Il est beaucoup plus complexe.
En fait, l’UE devrait être une fédération d’États nationaux, avec une redistribution des attributs de la souveraineté entre les niveaux fédéraux et nationaux, fondée sur les principes de subsidiarité, une grande autonomie locale et une démocratie citoyenne. Elle devrait éviter la bureaucratie et la corruption, tout en favorisant la transparence à tous les niveaux et l’accès des citoyens aux décisions institutionnelles. Ce devrait être une Europe des citoyens ! Une telle construction, pratiquement unique dans l’histoire, doit être envisagée sur le long terme, non seulement comme un projet technique. Ce projet doit reposer sur un ensemble de valeurs positives, fondées sur une identité européenne commune.
En même temps, l’Europe est une communauté de nations, chacune avec sa propre identité, fondée sur une histoire spécifique, des traditions et une culture…
Pour construire une Europe forte, nos idées communes autant que nos différences doivent être conciliées pour créer un espace européen évident, uni dans la diversité. En conclusion, je pense que nous pouvons être optimistes : l’Europe est sur la bonne voie, même si de nouvelles épreuves et défis l’attendent encore. Cela dépendra de notre volonté de créer une Europe de paix, de solidarité, de respect pour la dignité humaine, de justice sociale et de développement durable – du point de vue économique, social et environnemental – dans l’intérêt de tous les peuples.
par Ion Iliescu