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« Extirpons les causes pouvant alimenter le terrorisme ! »

Mourad Medelci, Ministre des Affaires étrangères d’Algérie

Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, un président français, François Hollande, a reconnu la responsabilité des autorités françaises dans la tragique répression d’une manifestation organisée le 17 octobre 1961 par la fédération de France du FLN.

Il est indéniable que le geste du Président François Hollande constitue un message politique important, marquant un pas vers la reconnaissance par la France de son histoire réelle et des événements douloureux qui l’ont gravement marquée. L’Algérie apprécie certainement cette initiative, qui confirme que nos relations peuvent se consolider en abordant de manière lucide des sujets autrefois tabous. Il est nécessaire, à mon avis, d’identifier les moyens de renforcer notre coopération afin de surmonter les obstacles qui pourraient freiner notre progression.

N’est-il pas temps, même si le passé commun franco-algérien reste douloureux, de tourner la page et d’avancer ensemble ? Ne devraient la France et l’Algérie pas viser à devenir pour l’Union pour la Méditerranée ce que la France et l’Allemagne sont depuis des années pour l’Europe des 27 ?

L’Algérie et la France ont vocation à être les pionniers d’un véritable partenariat qui doit unir les rives nord et sud de la Méditerranée. Cependant, comme vous l’avez souligné pour la relation franco-allemande, il est nécessaire de mener un travail commun sur la mémoire. Ce travail sur une mémoire partagée nous permettra sans aucun doute de construire nos relations de partenariat sur des bases solides. Il est également important de noter que l’approche des autorités françaises est très pragmatique à notre avis, car elle vise à renforcer les conditions nécessaires pour promouvoir avant tout des liens économiques étroits au sein de l’Union pour la Méditerranée (UpM), sans remettre en question ses institutions actuelles. Nous avons également fait part à nos amis français de notre pleine adhésion à cette approche de la « Méditerranée des projets ».

Qu’attendez-vous concrètement de la visite de François Hollande en Algérie ?

L’Algérie attend de la visite du Président français qu’elle soit une contribution effective au partenariat d’exception que les deux pays se sont engagés à construire ensemble. Cette contribution implique des partenariats industriels, le transfert du savoir-faire français, un soutien à la modernisation des cadres de gestion, et une assistance pour l’intégration complète de l’Algérie dans la mondialisation. L’Algérie accorde une grande importance à ce partenariat visant à diversifier et renforcer davantage son économie. Cette visite représentera certainement l’occasion d’aborder des sujets cruciaux pour nous, notamment ceux liés à la situation actuelle dans notre région et aux défis du développement, une priorité pour les peuples de notre continent.

La France peut-elle redevenir un partenaire économique privilégié de l’Algérie ?

La France est déjà un partenaire économique majeur de l’Algérie. Elle est le premier fournisseur de notre pays et ses investissements peuvent favoriser la création d’emplois ainsi que soutenir notre développement économique et social. Nous avons toujours encouragé nos partenaires français à augmenter leur présence sur le marché algérien en renforçant leurs implantations. Nous avons également mis en place les conditions nécessaires pour attirer les investissements étrangers, et nous comptons sur l’engagement et le dynamisme des entreprises françaises pour accroître leur participation dans notre pays.

Si un pays connaît mieux le Sahel que quiconque, c’est bien l’Algérie… Si le président Hollande vous demande de vous joindre aux forces panafricaines et à l’aide logistique de la France pour éradiquer ce danger islamo-salafiste, que lui répondrez-vous ?

Compte tenu des liens séculaires qu’elle entretient avec tous les pays du Sahel, notamment le Mali, l’Algérie n’a eu de cesse d’œuvrer pour la paix, la stabilité et le développement de la région. Comme vous le savez, le Mali traverse une situation à la fois complexe et dangereuse, dont la résolution dépend de la conjugaison des efforts de la communauté internationale, en appui aux initiatives des acteurs maliens appelés à en assurer le leadership et l’appropriation. Pour un problème malien, la solution ne peut être que malienne, articulée autour de la stabilité, de la sécurité et du développement.

L’engagement de l’Algérie dans la sous-région remonte bien avant le conflit libyen et ses répercussions qui ont exacerbé l’instabilité et renforcé la menace sécuritaire dans la région. Je vous renvoie à l’Histoire récente pour illustrer le rôle et la contribution de l’Algérie à la paix et à la stabilité régionales, notamment à travers ses trois médiations entre le gouvernement central et les populations du Nord. Fidèle à ses principes fondamentaux de respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États, l’Algérie a toujours promu un dialogue consensuel et inclusif entre toutes les parties maliennes, y compris la rébellion du nord du Mali, tout en affirmant fermement son attachement à l’unité nationale et au rejet absolu du terrorisme et de la criminalité transnationale organisée.

La récente déclaration par laquelle le groupe Ansar Dine a rejeté tout lien avec les groupes terroristes et exprimé sa disponibilité à s’engager dans le processus de négociation politique constitue une évolution significative. L’Algérie a salué l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations Unies de la résolution 2071, qui envisage non seulement une intervention militaire, comme mentionné, mais également promeut l’épuisement des voies du dialogue avec tous les groupes rejetant le terrorisme et le crime organisé, et attachés à la souveraineté, à l’unité et à l’intégrité territoriale du Mali.

L’aspect humanitaire n’est pas négligé, la résolution 2071 faisant référence à la problématique des réfugiés maliens nombreux ayant fui leur pays, aggravant la situation en lui conférant un caractère urgent. Cette résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies prend en compte les préoccupations essentielles soulevées tant par l’Algérie que par les pays concernés. Cette approche globale pour la résolution de la crise au Mali semble aujourd’hui recueillir l’adhésion de nombreux partenaires, qui initialement privilégiaient une solution militaire pour résoudre la crise dans ce pays.

Il est crucial de donner une chance à la réponse politique et d’aider les Maliens à résoudre eux-mêmes les graves problèmes auxquels ils sont confrontés.

Au niveau de l’Union africaine, plusieurs initiatives ont été prises à travers les réunions du Conseil de paix et de sécurité, qui ont conduit à l’élaboration d’un concept d’opération stratégique intégrant les différents aspects de la crise malienne et proposant une approche globale pour sa résolution. En outre, concernant la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, il convient de rappeler que l’Algérie a développé avec ses partenaires des « pays du champ » (Mali, Mauritanie et Niger) un cadre de coopération régionale dans ce domaine, notamment par la mise en place de mécanismes de coopération politique, militaire et de renseignement. Cela vise à faire face aux défis auxquels la région est confrontée. Dans ce contexte, l’Algérie, comme les autres partenaires, affirme sa volonté d’accompagner le Mali dans le processus de négociations politiques, de renforcement des institutions et de redéploiement de l’administration malienne sur l’ensemble du territoire.

La politique étrangère de l’Algérie repose sur des principes bien établis qui ont façonné son histoire, reflétés notamment dans sa Constitution, et qui incluent sa connaissance approfondie de la région ainsi que ses intérêts dans celle-ci. Parmi ces principes figurent la non-ingérence, le respect de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale, ainsi que le rejet des changements non constitutionnels, des principes mis gravement à l’épreuve dans le pays frère qu’est le Mali.

À la lumière des événements ayant conduit les islamistes salafistes et autres frères musulmans au pouvoir en Tunisie, en Libye et en Égypte, quel est votre point de vue sur ces nouveaux régimes islamistes ?

Comme je l’ai souligné précédemment, l’un des principes fondamentaux de notre politique étrangère est la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays, notamment de nos amis que vous avez mentionnés. Pour ce qui est de l’Algérie, je peux vous assurer que nous avons été parmi les premiers à ouvrir la voie à un processus démocratique, en accordant légalement la possibilité à différents courants politiques d’agir librement, tout en respectant les règles établies par la loi.

Pensez-vous que la France soit menacée de l’intérieur par des réseaux islamo-salafistes dont vous auriez signalé l’existence au ministre français de l’Intérieur, Manuel Valls ?

L’Algérie et la France sont liées par un Accord de coopération en matière de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme, signé le 25 octobre 2003 à Alger. Les deux pays considèrent le terrorisme comme un phénomène international, et estiment que les réponses à apporter doivent être globales, dépassant le cadre d’un seul État. Il est donc nécessaire de travailler ensemble pour éliminer les causes susceptibles de le nourrir.

Propos recueillis par Christian Malard