Vous êtes ici Le Journal du Parlement > Fritz Korthals Altes, Président de la première Chambre des États Généraux des Pays Bas

Le bicamérisme, une valeur ajoutée

La Première Chambre des États Généraux (dénomination officielle du Sénat aux Pays-Bas) comptait avant 1956 cinquante membres et depuis lors, soixante-quinze élus, soit moitié moins que la deuxième Chambre des Députés. Le mandat sénatorial a une durée de quatre ans et depuis 1983 les Sénateurs sont élus en même temps que les Etats provinciaux (c’est-à-dire les Assemblées provinciales). Avant cette date, des élections partielles étaient tenues tous les trois ans en vue de renouveler la moitié du Sénat. Ajoutons que lors de toute révision, de nouvelles élections législatives et sénatoriales étaient organisées afin de permettre, après un renouvellement complet des deux Chambres, une deuxième lecture du texte modificatif de la Constitution.

La première Chambre est appelée à se prononcer sur tous les projets de loi adoptés par la Deuxième Chambre, y compris les projets de loi relatifs au budget. Ce n’est qu’après une adoption par la première Chambre que son Président appose sur le projet de loi le sceau législatif « À la Reine, les États généraux ont adopté le projet de loi formulé ci-après ». Après quoi, le projet de loi adopté est revêtu de la signature du Chef de l’État et de celle du ou des Ministres compétents et aux fins de publication au Journal Officiel de celle du Ministre de la Justice.

La deuxième Chambre transmet immédiatement au Sénat tout projet de loi adopté. Celui-ci est ensuite transmis par le Président du Sénat à la, ou aux Commission(s) permanentes compétentes. Le Sénat compte une Commission permanente au moins par Ministère. La Commission permanente peut décider que des travaux préparatoires par écrit s’imposent. Les membres de la Commission posent alors des questions écrites et font déjà connaître leur point de vue provisoire. Le Gouvernement est tenu de répondre à ces questions. Une fois terminée la phase de préparation écrite, le projet de loi est inscrit à l’ordre du jour en séance publique plénière.

Au cours de celle-ci, ont lieu les interventions des portes paroles des divers Groupes politiques, suivies de celles du Gouvernement A lieu alors une seconde lecture du texte, suivie d’un vote éventuel ou de l’adoption du texte sans vote.

La première Chambre ne dispose pas du droit d’amendement ni du droit d’initiative des lois, qui sont des prérogatives de la deuxième Chambre. Le Sénat ne peut dès lors qu’accepter ou rejeter un texte qui lui est soumis. Mais, en dépit de la limitation de ses moyens d’action, le Sénat néerlandais exerce sans conteste une influence d’une haute importance, qui tient, d’une part, à l’autorité indéniable qui est l’apanage des Sénateurs et, d’autre part, à la possibilité de formation rapide d’un large consensus par-delà les clivages politiques. Les Sénateurs ne se réunissent en général qu’une fois par semaine, la mardi, alors que les Députés sont occupés à temps plein. Les Sénateurs occupent donc (ou ont occupé) des postes dans la vie active (milieux universitaires, syndicaux, Administration publique, Barreau, enseignement, etc…) Par ce contact étroit avec les rouages de la société, les Sénateurs forment incontestablement un maillon législatif à haute valeur ajoutée, fait généralement admis dans la société néerlandaise. Lors des examens des textes, le Sénat néerlandais tend à se concentrer essentiellement sur leur constitutionnalité, leur cohérence avec les Conventions et Traités en vigueur, ainsi qu’avec la législation existante, sur leur acceptation dans la population et sur leur applicabilité. Il parvient sur ces points à atteindre un gros degré de consensus mettant entre parenthèses les dissensions politiques. Cette arme du consensus lui permet de contraindre le Gouvernement à des concessions sur la mise en œuvre d’une loi ou sur les mesures d’application. Le Gouvernement se prête d’autant plus facilement à certaines concessions qu’il redoute le rejet du texte. On constate d’ailleurs que de plus en plus, le Sénat oblige le Gouvernement à présenter une loi modique dont l’objet est de remédier aux carences ou déficiences constatées dans un projet de loi. Dans des cas extrêmes, le Sénat s’abstient de voter en première lecture le projet de loi, attendant l’examen de la loi modificatrice. Il met alors aux voix simultanément le projet de loi et sa loi modificatrice.

Cette procédure, qui tend d’ailleurs à se multiplier en raison de la dégradation de la qualité des textes législatifs proposés suscite quelque réticence… Le 18 janvier de cette année, le Ministre de l’Intérieur a transmis aux deux Chambres une note « officielle comportant des propositions en vue de la modifications des compétences de la première Chambre ». Une de ces propositions consiste à imposer un renvoi automatique à la deuxième Chambre de tout projet de loi contre lequel le Sénat s’est prononcé à une majorité supérieure à la moitié, mais inférieure aux deux tiers. Un rejet ne sera acquis qu’à une majorité des deux tiers. Les débats sur ces propositions qui comportent quelques variantes ne sont pas encore entamés. Le Gouvernement envisage également de limiter les pouvoirs. D’après la législation actuelle, la première Chambre au même titre que la deuxième Chambre, doit examiner un projet de révision de la Constitution en deux lectures, la majorité requise en première lecture étant la majorité simple et en seconde lecture celle des deux tiers. Les propositions de réforme du Sénat formulées par le Ministre de l’Intérieur ont peu de chance de recueillir les faveurs des Sénateurs. On constate également, à l’égard de ces propositions certaines réticences au sein de la société néerlandaise et dans les milieux politiques qui sont les premiers à reconnaître les mérites éminents du Sénat.

Le Forum des Sénats du Monde est venu à point nommé pour les Pays-Bas et leur première Chambre. Grâce à l’initiative du Sénat français et à son Président, Monsieur Christian Poncelet, nous, les Sénateurs hollandais, disposons à présent d’une mine d’informations précieuses à caractère international et d’un arsenal d’arguments qui nous permettra de comparer en connaissance de cause le fonctionnement des Institutions de l’État.

Le Sénat néerlandais saura tirer parti de ces informations et, sous l’impulsion de ce Forum, sera encore mieux à même de conserver son renom d’Institution de l’État, de qualité et de mettre en exergue la valeur ajoutée que constitue le bicamérisme. C’est avec une satisfaction certaine que la Délégation néerlandaise, composée de représentants des trois grands Partis politiques (démocrates-chrétien, libéral et social-démocrate), a quitté cette mémorable journée du 14 mars. Elle espère ardemment que ce Forum ne sera pas le dernier !