”Il existe un dialogue direct avec le Ministre et cela ne se retrouve nulle part ailleurs dans la société !”
Interdiction du droit de grève, d’appartenir à un parti politique, à un syndicat… À l’évidence, il fallait un statut particulier pour organiser un dialogue social dans l’Armée, qui ne veut plus désormais être la ”grande muette”. Après la récente publication du rapport du Haut Conseil de la Condition militaire, Le Journal Du Parlement a souhaite faire le point sur les évolutions en cours…
Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions le CSFM a été créé et quel est son rôle exact ?
Historiquement, il n’y avait rien pour permettre aux militaires de s’exprimer sur leurs conditions de vie et leurs aspects statuaires. Lors des événements de 1968, ils n’avaient pas bougé, mais le Général de Gaulle avait pensé que, si la société française devait connaître à nouveau une crise de telle ampleur, il serait bon qu’ils puissent s’expliquer avant de céder à la tentation de descendre dans la rue. Il a donc fait préparer la loi créant le CSFM, qui a été instauré en 1969. Initialement, cet organe était composé de militaires tirés au sort, ce qui a donné lieu à une participation un peu en demi-teinte. Assez vite, il a été décidé que ce tirage s’effectuerait parmi des volontaires. Il est composé de 85 membres : 79 d’actifs et 6 de retraités. Étant donné qu’il était courant de penser que les hommes en activité n’oseraient pas vraiment s’exprimer devant leur hiérarchie et leur ministre, des retraités étaient présents dès le début. Aujourd’hui, les choses ont bien changé, tout le monde manifeste ses idées et ce sont parfois les retraités qui freinent leurs camarades d’active !
Que sont alors les Conseils de la Fonction Militaire (CFM) ?
En 1990, sept Conseils d’Armées ont été fondés pour chacune des entités (terre, air, marine, gendarmerie, SSA, SES, DGA). Ces CFM (Conseils de Formation Militaire) travaillent en préalable à la tenue du CSFM. L’ordre du jour est le même et comprend invariablement l’examen de textes statutaires et des sujets d’actualité sur les conditions de vie, tels que le logement ou la reconversion. Le volet statutaire a été particulièrement important ces dernières années en raison du règlement général et des statuts particuliers. Ces CFM sont d’une grande utilité car ils offrent la possibilité aux militaires de traduire, devant leurs chefs directs et leurs chefs d’état-major, les préoccupations spécifiques à leur corps. À titre d’exemple, les gendarmes et les aviateurs n’ont pas les mêmes difficultés, et au CSFM, leurs préoccupations pourraient être difficilement pertinentes devant le ministre. Les CFM sont normalement présidés par le ministre. Cependant, Michèle Alliot-Marie a souhaité que les chefs d’état-major en personne assurent cette présidence. Ceux-ci se réunissent au minimum deux fois par an, mais l’actualité peut augmenter cette fréquence ; en 2005, ils se sont rassemblés quatre fois et en 2006, trois fois. Ces CFM durent une semaine, tout comme le CSFM. Parfois, des groupes de travail régionaux sont constitués en amont de ces réunions. Nous n’avons pas de professionnels au sein des instances, mais du fait du rythme de travail, ils commencent à devenir de bons experts. Nous avons donc des membres qui participent énormément à l’élaboration des textes, mais nous arrivons à un paradoxe : ils sont parfois un peu décalés. Nous retrouvons presque le clivage qui peut exister entre des organisations syndicales et leurs adhérents.
Pourquoi avoir choisi le tirage au sort ?
Des élections ont été instaurées au niveau local pour les représentants du personnel dans les unités. Ces « présidents de catégorie » sont élus par leurs pairs pour s’occuper des problèmes au niveau de l’unité. Nous n’avons pas choisi ce système au niveau national car il nécessiterait la proposition de candidats connus, ce qui serait difficile à réaliser pour 200 ou 300 candidats. Pour l’alimentation des Conseils militaires, nous avons préféré conserver le tirage au sort. Cela étant, nous travaillons avec des statisticiens pour nous assurer que ce mode de sélection a un sens en termes de constitution d’échantillon et tend à refléter la répartition réelle. Toutefois, il est vrai que selon les cultures des différentes Armées, l’implication peut varier. Elle est très importante dans la Gendarmerie et la Marine, moins dans l’Armée de Terre, et beaucoup moins dans l’Aviation. L’ensemble de la communauté militaire est respecté, par catégorie : militaires de rang, sous-officiers, officiers, etc. Enfin, pour rejoindre le CSFM, nous avons réintroduit l’élection parmi les membres des CFM. Ces derniers décident quels membres d’entre eux iront siéger au niveau national et inter-armées.
Venons-en au rôle du Haut Comité d’Évaluation de la Condition Militaire (HCEM) et à sa fonction par au CFSM ?
Il a été institué par la loi de mars 2005 portant statut des militaires. Cette loi prévoit dès son article premier la création de cet organe, chargé d’éclairer le Président de la République et le Parlement sur les situations et l’évolution de la condition militaire. Il est composé de sept personnalités indépendantes du ministère, nommées pour quatre ans par le Premier ministre. En raison de leur carrière, ces personnalités possèdent une grande hauteur de vue et une connaissance approfondie des questions de ressources humaines. Enfin, un Contrôleur général des Armées exerce la fonction de Secrétaire général. Celui-ci est permanent et prépare les travaux. Installé au début de l’année 2006, il a rendu son premier rapport en février de cette année, structuré en deux parties :
- La première présente les particularités de la vie des militaires ainsi que les compensations élaborées au fil du temps.
- La seconde est plus particulièrement centrée sur les rémunérations, avec un fil conducteur qui compare la fonction militaire à la fonction publique.
À partir de ses recommandations, un projet est en cours d’élaboration au ministère concernant les suites à donner. Ces suites seront présentées courant mars lors des sessions des CFM et du CSFM. Le rapport a été mis en ligne sur l’intranet afin que chacun puisse y réagir. Une synthèse sera réalisée, et le Secrétaire général du Haut Comité viendra devant les membres pour fournir des explications sur la méthode. Le Haut Comité a donné une première photographie de la situation, qui sera actualisée chaque année avec des éclairages particuliers.
Quels sont les sujets qui préoccupent le plus les militaires ?
Les principales préoccupations actuelles concernent le logement et la mobilité. La mobilité, en particulier, pose des problèmes importants pour la vie familiale et le travail du conjoint, et il n’est pas certain que cette mobilité soit suffisamment compensée. De plus, les moyens permettant de travailler dans des conditions satisfaisantes restent une préoccupation. Les efforts budgétaires des cinq dernières années n’ont pas permis de remettre le matériel à un niveau satisfaisant.
D’autres pays ont-ils suivi l’exemple français ?
L’Italie et l’Espagne ont des systèmes semblables au nôtre, avec une culture latine prédominante. En revanche, les États-Unis et la Grande-Bretagne ne disposent pas de mécanismes permettant l’expression des militaires ; ces pays fonctionnent selon le principe que la hiérarchie gère les préoccupations des subordonnés. Enfin, les pays du nord et l’Allemagne présentent une culture différente, ayant recours aux syndicats, dont le ministre est parfois membre, bien que leur poids militaire ne soit pas aussi significatif.
Existent-ils encore des améliorations à apporter dans la concertation et dans la représentativité des militaires ?
Je ne vois pas de changements immédiats à envisager, à l’exception d’une amélioration technique. Étant donné que les membres ont un mandat de quatre ans, avec un renouvellement semestriel des conseils, je pencherais plutôt pour un renouvellement par quart chaque année. Cela permettrait au conseil d’être composé de personnes déjà familières avec ces réunions. De plus, l’idée d’offrir la possibilité de se porter volontaire chaque année pour intégrer les instances de concertation est intéressante. L’enjeu est de mieux faire connaître ces instances auprès des militaires. Pour conclure, il est important de noter qu’un dialogue direct avec le ministre existe, ce qui est unique dans la société !