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« La cohabitation renforce les pouvoirs du Parlement« 

Raymond Forni, Président de l’Assemblée nationale
C‘est un homme de droit et de conscience qui accède à l’une des plus hautes charges de la République. C’est un homme de grande qualité dont la clairvoyance jointe au charisme donne à cette présidence une dimension politique nouvelle. Élu député de Belfort en 1973 et en 1981, il démissionne en 1985 alors qu’il est président de la commission des lois pour entrer à la Haute Autorité de l’Audiovisuelle. Après les élections législatives de 1988, il devient vice-président de l’Assemblée Nationale, fonction qu’il garde en 1998 soutenu par Laurent Fabius dont il demeure l’ami fidèle. Raymond Forni a été nommé à deux reprises vice-président de la Commission Nationale Informatique et Liberté. Il connaît toutes les arcanes de l’Assemblée Nationale. Ce fils d’émigré italien, dont les parents fuyaient la pauvreté de leur pays, devenu un brillant avocat, père de 5 enfants, à été élu à la présidence, applaudi avec émotion et respect à l’unanimité. ”N’oublions pas que l’opposition, un jour nous, avec la considération qui lui est due, est aussi la preuve que la démocratie est davantage qu’une formule oubliée. La France m’a tout donné” a-t-il déclaré dans son discours d’investiture. Ce sont quelques-unes des idées auxquelles le nouveau Président a toujours été attaché, que nous sommes heureux de publier ici.

Votre prédécesseur a déclaré récemment que le Parlement devrait de plus en plus s’ouvrir à l’Europe.

Vous savez que les directives européennes adaptées en droit français font l’objet d’une délibération a l’Assemblée et au Sénat. Lorsque Laurent Fabius a évoqué cette ouverture sur l’Europe, cela signifie que l’on. ne peut pas vivre dans l’isolement sur le plan juridique en orientant nos législations dans le sens que nous souhaiterions. La construction européenne suppose évidemment une solidarité et bien entendu à terme une harmonisation. C’est sans doute la raison pour laquelle le Parlement doit être de plus en plus à l’écoute de ce qui se passe dans les 14 membres de la CE qui ne peuvent travailler repliés sur eux-même. Cette ouverture nécessaire s’est traduite par la création de la Délégation aux Affaires Européennes. Cela se traduit aussi par les échanges que j’ai organisé dans le cadre de mes responsabilités puisque j’ai présidé la Délégation Internationale avec les autres Parlements européens.

N’y a-t-il pas trop de lois ? Comment maîtriser cette inflation ?

Non seulement il y’en a trop mais elles sont compliquées. Ce serait relativement simple s’il y avait de bons techniciens de droit. On en manque actuellement, à la fois au niveau du gouvernement et au niveau du Parlement? Malheureusement on est un peu prisonnier du schéma que nous présente le gouvernement et la tentation est grande d’en rajouter plutôt que d’en retrancher. On considère qu’une loi prévoit tous les cas alors que dans mon esprit, il me semble qu’une loi doit fixer des grands principes et que le reste est souvent affaire d’application dans le cadre de la réglementation ou de l’interprétation juridique. Je suis favorable à ce qu’il y ait moins de loi et à ce qu’elles soient plus simples. Je ne suis pas sûr que l’on y parvienne et que l’on aille dans ce sens pour l’instant.

Pensez-vous que le Parlement contrôle suffisamment les lois et les dépenses publiques ?

Le travail parlementaire consiste d’une manière générale à contrôler l’action du gouvernement. Le Parlement, ce n’est pas que la loi. C’est aussi ce travail de contrôle journalier que nous effectuons dans le cadre des commissions permanentes ou des commissions d’enquête dont le plus bel exemple est donné par la commission d’enquête sur les prisons créée à l’initiative de Laurent Fabius. On doit surtout dire quand les choses ne vont pas et aussi donner des orientations pour ce que nous souhaiterions voir mis en œuvre au niveau de l’action gouvernementale au quotidien. C’est une tâche méconnue par l’opinion publique mais je considère qu’elle est essentielle. C’est un travail de communication et de revalorisation de la fonction parlementaire.

Quels sont les prochains dossiers présentés à l’Assemblée ?

Les grands projets touchent au fonctionnement des institutions. Il s’agit du cumul des mandats qui est un texte important même si je suis partisan d’introduire une dose d’impossibilité de cumul, sans aller non plus jusqu’à couper complètement les membres du Parlement de leurs racines. Nous aurons bien entendu le texte sur la réforme du système des retraites. D’autres dossiers sont en cours, celui sur l’Internet, sur l’Informatique et les libertés. Nous appliquerons une réforme d’ensemble qui découle d’une directive communautaire prônant l’harmonisation du système européen quant à la protection des libertés par rapport à l’informatique.

Quel sens l’Assemblée va donner à la réforme du système des retraites ?

Je crois que l’opinion majoritaire, en tout cas telle qu’elle est aujourd’hui à l’Assemblée, c’est qu’il faut préserver notre système de retraite par répartition fondée sur la solidarité. Cela ne veut pas dire qu’il faille totalement exclure la retraite par capitalisation, mais il faut le faire à petite dose sans que cette dernière puisse mettre en danger le système général. Sans doute faudra-t-il revoir les équilibres financiers bien qu’ils soient très difficile à imaginer car cela dépend évidemment de la croissance. Si celle-ci navigue vers les 2,5-3%, nous n’aurons pas de problèmes, si elle s’écroule, nous aurions des difficultés. Je souhaiterai ajouter un mot. J’observe un changement d’attitude de la par du Parlement. Cela tient à un certain nombre d’éléments sur lesquels je ne vais pas m’appesantir mais j’ai le sentiment que le Parlement joue un rôle qui d’après la Constitution est normalement le sien. Il occupe une place de plus en plus importante et si je m’en réfère à la déclaration du Premier Ministre du Moyen Orient. Je constate que c’est devant le Parlement que celui-ci s’est expliqué. Je crois que la cohabitation renforce le pôle du Parlement dans la mesure où si vous laissez le Premier Ministre dans une sorte de confrontation permanente avec le Président, on arrive à une autodestruction de l’un et de l’autre et à un affaiblissement des pouvoirs qui leurs sont dévolus. Le premier Ministre est bien obligé de s’appuyer sur sa majorité au Parlement pour être conforté dans ses choix et le Président de l’opposition car dans le cas contraire, le chef de l’exécutif et le Président risquent de se retrouver un petit peu seuls. C’est pourquoi les pouvoirs du Parlement se renforcent d’autant et que celui-ci occupe dans la vie politique une plus grande place que dans le passé