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“La démocratie représentative est le pire des régimes à l’exception des autres…” Winston Churchill

Jean-Claude Mignon, Président de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, Député de Seine-et-Marne

LLes Présidents de Parlement des 47 États membres du Conseil de l’Europe, de nombreux pays partenaires, observateurs et voisins, ainsi que les Présidents d’Assemblées interparlementaires, se sont réunis à Strasbourg les 20 et 21 septembre dernier pour la Conférence européenne des Présidents de Parlement. Durant ces deux jours, nous avons débattu ensemble de trois grands sujets d’actualité :

– L’avenir de la Cour européenne des droits de l’Homme

– L’état de santé de la démocratie représentative

– Les défis et perspectives des révolutions arabes

Nous nous sommes aussi penchés sur la question de savoir comment les Parlements nationaux peuvent faire face aux défis posés par ces questions à l’heure actuelle.

J’aimerais vous présenter les conclusions de nos débats…

• L’avenir de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Le rôle des Parlements nationaux

Le joyau de la couronne du Conseil de l’Europe est la Cour européenne des droits de l’Homme. Dès le départ, nous avons tous confirmé notre soutien sans faille à cette institution – en termes sans équivoque.

La discussion a porté sur le rôle que les Parlements nationaux doivent jouer pour soutenir le système de la Convention et la mission essentielle de la Cour de Strasbourg dans ce domaine. À cet égard, n’oublions pas que le rôle de la Cour est certes déterminant, mais qu’il reste subsidiaire : il appartient, en effet, principalement, aux organes internes des États – exécutif, juridictions et pouvoir législatif – de prévenir les violations des droits de l’Homme commises à l’échelon national ou d’y porter remède.

La Résolution 1726 (2010) de l’Assemblée parlementaire insiste sur « le rôle essentiel que les Parlements nationaux peuvent jouer pour endiguer le flot de requêtes qui submerge la Cour, notamment en procédant à l’examen attentif de la compatibilité des (projets de) lois avec les exigences de la Convention et en contribuant à garantir une mise en conformité rapide et complète des États avec les arrêts de la Cour ». La Déclaration de Brighton, adoptée le 20 avril 2012, a enfin reconnu et souligné le rôle important des Parlements nationaux et de l’Assemblée en la matière.

La question est : comment pouvons-nous, au sein de nos Parlements et de l’Assemblée parlementaire, collaborer pour éviter que la Cour soit victime de la mise en œuvre déficiente de la Convention au plan national ?

En effet, il nous a semblé que le rôle des Parlements, comme garants des droits de l’Homme, n’a pas été suffisamment exploité. Pourtant, un examen attentif du genre de travail que nous menons révèle que nous portons une lourde responsabilité sur nos épaules. Les Parlements doivent systématiquement analyser de manière détaillée la compatibilité des (projets de) lois avec la Convention européenne telle qu’interprétée par la Cour. De même, il faut souvent adopter rapidement des mesures législatives pour se conformer pleinement aux arrêts de la Cour de Strasbourg et quelques bonnes pratiques en la matière ont été citées au cours du débat. Plus particulièrement dans les États où des problèmes structurels majeurs ont été relevés, il incombe aux Présidents de Parlement de veiller à ce qu’un travail aussi important bénéficie du temps parlementaire et du soutien politique nécessaires. En effet, les Parlements peuvent demander des comptes à l’exécutif et influer sur l’orientation et la priorité des initiatives législatives notamment quand il est nécessaire de mettre en place des recours nationaux efficaces pour des violations structurelles.

Ceci suppose qu’il existe des structures parlementaires appropriées pour garantir un suivi et un contrôle rigoureux et régulier du respect des obligations internationales en matière des droits de l’Homme. Elles devraient, comme le suggère la Résolution 1823 (2011) de notre Assemblée, revêtir la forme de commissions des droits de l’Homme spécifiques ou de structures analogues adéquates, mises en place par nos Parlements. Les Parlements doivent aussi disposer d’un service juridique efficace, doté de compétences particulières concernant les droits de l’Homme.

Le double mandat des parlementaires – en tant que membres de l’Assemblée et de leur Parlement national – revêt potentiellement une importance majeure pour assurer la garantie et l’application efficace, au plan national, des normes de la Convention.

Comme certains l’ont évoqué dans nos débats, les Parlements ont le pouvoir et le devoir de demander des comptes aux Gouvernements en cas d’exécution inappropriée ou tardive des arrêts de la Cour, en organisant par exemple des débats, des auditions, ou en posant des questions parlementaires. Les formations relatives aux droits de l’Homme à l’intention des parlementaires et de leur secrétariat constituent, de ce point de vue, de précieux investissements.

Nous avons réitéré la nécessité d’assurer une mise en conformité complète et rapide de la situation au plan national à la suite des arrêts de la Cour qui, dans beaucoup de cas, nécessite une surveillance parlementaire régulière et rigoureuse.

La Commission des questions juridiques et des droits de l’Homme de l’Assemblée procède, à l’heure actuelle, à des auditions avec des représentants des pays qui sont à la traîne pour assurer le respect de leurs obligations. Mais cela ne saurait suffire.

Il est indispensable que les organes législatifs nationaux accordent une place prioritaire à cette question dans leur calendrier parlementaire, afin que soit assuré, au sein de tous les Parlements nationaux, un suivi systématique et efficace des normes garanties par la Convention.

• La démocratie représentative es elle en crise ?
Défis pour les Parlements nationaux

Le thème 2 a suscité un vif intérêt, ce qui n’est guère étonnant, puisque la « démocratie représentative » est, après tout, au cœur de notre activité.

Nous avons tous constaté un fossé grandissant entre les institutions élues et les citoyens, comme l’indiquent les faibles taux de participation électorale observés partout en Europe. Si la plupart des participants ont conclu que la démocratie représentative n’est pas, en soi, en crise, nous sommes tous d’accord pour dire qu’elle est l’une des principales victimes de la crise économique et financière mondiale :

– le soutien aux partis politiques traditionnels a chuté, tandis que les mouvements populistes et extrémistes sont en recrudescence ;

– des mesures d’austérité ont été imposées par les Gouvernements ou par des mécanismes de négociation internationaux, avec un contrôle limité des Parlements, une transparence insuffisante et pratiquement sans que les citoyens aient voix au chapitre ;

– des citoyens, dont les mouvements de protestation ont parfois conduit à des troubles sociaux dans de nombreuses villes européennes, ont ainsi remis en cause la légitimité des institutions politiques. Il ressort de nos discussions que la situation actuelle devrait apparaître comme une occasion de rapprocher les institutions de la démocratie représentative des citoyens.

Les Parlements ne doivent pas s’opposer aux changements de la société, mais s’adapter aux évolutions technologiques, tout en garantissant la stabilité de la démocratie à travers la construction d’un lien fort entre les institutions de la démocratie représentative et les citoyens. Étant eux-mêmes l’incarnation du résultat du vote, les Parlements nationaux peuvent, tout d’abord, améliorer la « représentation », en établissant un lien plus étroit entre l’expression du peuple et l’issue du vote, notamment par le biais :

– d’un système électoral qui devrait refléter mieux l’opinion du peuple et la composition de l’électorat et faciliter la participation effective des minorités ;

– de l’adoption de mesures à mêmes de renforcer la confiance du public dans le processus électoral, prévoyant le pluralisme politique, la transparence du financement et une plus grande démocratie interne au sein des partis politiques ;

– de la mise en place de mesures pour promouvoir : une participation et une représentation équilibrées des femmes en politique ; et une participation accrue des jeunes au processus électoral – les assemblées de jeunes sont des outils utiles dans ce contexte ;

– du renforcement du rôle des Parlements en matière d’initiative législative et de contrôle de l’action des Gouvernements, y compris par le biais de questions parlementaires au Gouvernement, d’auditions publiques, etc ; il est inacceptable que les représentants du peuple soient contournés systématiquement par les Gouvernements sous prétexte d’urgence ;

– de la mise en place de meilleurs canaux de communication avec les citoyens, notamment via Internet, les réseaux sociaux, des chaînes de télévisions parlementaires et/ou par l’intermédiaire des associations de la société civile. Les Parlements doivent investir les réseaux sociaux pour ne pas perdre le contact avec les jeunes générations ;

– du développement d’une nouvelle culture de la responsabilité civique et politique, passant par le renforcement de l’obligation de rendre des comptes, ainsi que de la transparence de la part des gouvernants.

Il ressort également de nos discussions, qu’aujourd’hui, plus que jamais, il est essentiel que les citoyens aient leur mot à dire dans la conduite des affaires publiques, non seulement une fois tous les quatre ou cinq ans, mais quotidiennement. Les Parlements ne doivent pas percevoir les nouveaux modèles délibératifs comme une forme de concurrence à la démocratie représentative tant qu’ils continuent de s’investir dans les débats. Ainsi, les Parlements pourraient promouvoir de nouveaux moyens d’expression du peuple, au-delà des formes traditionnelles de mandat et de délégation, notamment par :

– la mise en place de processus et de structures participatifs et délibératifs tels que : les processus budgétaires participatifs ; les référendums d’initiative citoyenne ; les pétitions nationales ; les jurys ou conférences de citoyens ; le volontariat ; la vie associative;

– l’éducation à la citoyenneté et la formation politique ;

– les réseaux transnationaux constitués par les citoyens pour étudier des problèmes spécifiques, d’ordre environnemental, social, voire constitutionnel.

Enfin, nous avons noté que la coopération interparlementaire reste d’une grande utilité pour renforcer la position des Parlements sur le plan national, par le biais d’échange des meilleures pratiques. À cet égard, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe offre, pour sa part, une plate-forme élargie à l’ensemble de l’Europe, dans le cadre de laquelle les représentants des Parlements nationaux peuvent échanger de bonnes pratiques et soumettre au débat (au moyen de propositions de résolutions) des questions intéressant les citoyens de leurs pays respectifs pour rechercher des réponses communes. Le Forum Mondial de la Démocratie, né au sein de notre Assemblée, qui s’est déroulé tout récemment à Strasbourg, précédé de l’Assemblée des jeunes, est un autre exemple de plateforme d’échanges.

Pour conclure, ne peut-on résumer nos discussions en paraphrasant quelque peu Winston Churchill ? : « la démocratie représentative est le pire des régimes à l’exception des autres… »

• Révolutions arabes :
défis et perspectives

Les discussions sur le thème 3 ont porté sur les principaux défis auxquels sont confrontés les pays arabes en transition et les opportunités qui leurs et nous sont offertes.

Nous avons exprimé notre profonde préoccupation face à la situation en Syrie, à la violence inouïe et à l’urgence humanitaire provoquées par ce conflit. Nous nous sommes également inquiétés face aux violentes protestations qui ont secoué le monde arabe, à la suite de la diffusion d’un film islamophobe. Ce film est tout à fait condamnable. Cependant, rien ne peut justifier la violence sans précédent qu’il a provoqué. La soif de liberté, de dignité et d’égalité a poussé les femmes et les hommes du monde arabe à descendre dans la rue il y a près de deux ans. Les citoyens et les citoyennes ont voulu se libérer des dictatures corrompues qui les opprimaient et les privaient de leurs droits fondamentaux et libertés politiques. Nous avons le devoir de faire l’autocritique : trop souvent, les pays occidentaux ont soutenu des régimes dictatoriaux, sacrifiant la liberté des peuples au profit de la stabilité.

Les révolutions arabes ont été inspirées par les mêmes valeurs universelles que défend le Conseil de l’Europe et que partagent ses États membres.

Des élections libres et équitables ont été organisées après certaines de ces révolutions, donnant ainsi une légitimité démocratique au processus de transition politique. Nous devons, par conséquent, engager un dialogue avec les forces politiques qui sont l’expression de ce vote, sur la base de nos valeurs communes et du refus de la violence.

Un vote libre et équitable ne garantit pas, tout seul, le succès de la transition démocratique. Pour assurer ce succès, les Parlements et les Gouvernements issus des élections doivent faire face à des défis considérables, tels que :

– la nécessité de parvenir à un consensus aussi large que possible sur la réforme constitutionnelle et la garantie qu’elle reflète des valeurs démocratiques ;

– la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes et de l’autonomisation des femmes, tant dans le domaine public que dans le domaine privé ;

– la garantie du respect des droits de l’Homme, y compris face au risque de fondamentalisme religieux ;

– la protection des droits des minorités religieuses et la promotion active du dialogue interculturel, y compris dans sa dimension religieuse ;

– la lutte contre l’insécurité et contre l’impunité, à travers l’État de droit ;

– la liberté des médias ;

– la lutte contre la corruption ;

– le renforcement des capacités de la société civile et sa pleine participation au processus politique ;

– la lutte contre le terrorisme.

Nous avons identifiés des voies pour aller de l’avant.

Les Parlements nationaux des États membres du Conseil de l’Europe sont prêts à fournir un soutien concret aux Parlements des pays arabes en transition pour les aider à surmonter ces défis, en mettant à profit des outils de coopération interparlementaire.

Nous l’avons répété pendant cette conférence : toutes les confessions religieuses peuvent coexister pacifiquement, dans le respect des croyances de l’autre, pour construire ensemble une société empreinte de liberté et d’humanité.

Il est aussi essentiel d’accompagner la transition démocratique avec le développement et la croissance économiques, qui sont des conditions préalables de stabilité. Dans ce domaine, l’Union Européenne et nombre d’États européens ont un rôle fondamental à jouer.

Le Conseil de l’Europe et en particulier son Assemblée, peuvent aussi accompagner le processus de transition, en offrant :

– un soutien politique et un cadre concret pour assurer un échange de vues et d’expériences sur le thème de la transition démocratique, y inclus dans le cadre du statut de Partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée ;

– une assistance dans le domaine des réformes constitutionnelles, électorales et judiciaires ;

– l’adhésion à des instruments et à des accords partiels du Conseil de l’Europe ouverts à des États non membres;

– les programmes d’assistance intergouvernementale et parlementaire.

Enfin, j’aimerais évoquer une phrase, tirée du dernier rapport de l’Assemblée sur la coopération entre le Conseil de l’Europe et les démocraties émergentes du monde :

« C’est aux États arabes qu’il appartient de faire leurs choix, mais l’Europe doit se montrer à la hauteur des circonstances. Si elle manque aujourd’hui d’ambition et d’une vision politique d’avenir claire, démocratique, porteuse d’espoir, elle léguera aux générations futures un environnement toujours marqué par des dissensions politiques, culturelles et religieuses qui pourraient devenir insurmontables et, tôt ou tard, se retourner contre elle ».

par Jean-Claude Mignon