”La France a une responsabilité politique en Afrique Sub-saharienne, car elle
est le pays qui nous connaît le mieux”
Comment analysez-vous la crise politique au Sénégal actuellement ?
Depuis l’élection du Président Wade en 2000, de nombreuses réformes profondes sur les plans politique, social et économique ont été mises en œuvre, et de nouvelles perspectives sont désormais envisageables pour la réalisation de l’unité du Continent. Il s’est aussi particulièrement distingué par sa capacité à anticiper les problèmes mondiaux et à formuler des réponses adaptées pour l’Afrique.Sur le plan intérieur, nous avons hérité d’une situation sociale extrêmement grave après 40 ans de régime socialiste et l’effondrement du système économique. Aujourd’hui, les secteurs de l’éducation, de la santé et des ressources humaines sont nos priorités. Le Sénégal est l’un des rares pays en développement à consacrer 50 % de son budget à des objectifs sociaux, dont 40 % à l’éducation et 10 % à la santé.
C’est précisément dans ce contexte qu’ont eu lieu en 2007 les élections qui ont vu le Président réélu au premier tour avec plus de 58 % des suffrages. Le pays a donc pris conscience des changements opérés. Depuis lors, les réalisations se sont poursuivies, mais avec en toile de fond des querelles internes liées à la succession présidentielle.
Il ne faut pas se voiler la face : le Président s’est attaché la collaboration de jeunes cadres du Parti qu’il avait formés, comme l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, qui a ensuite fondé son propre parti. Celui-ci a été candidat contre lui en 2007. Profitant de la posture de confiance qu’il avait auprès du Président, ce dernier a investi sa confiance en Macky Sall, à qui il a confié le Secrétariat général du Parti. Malheureusement, les choses se sont déroulées de la même manière.
Cette crise vient de connaître son dénouement avec le vote des lois ayant permis des réformes constitutionnelles donnant à la majorité la possibilité d’opérer des choix correspondant aux décisions prises.
Votre Parti, le PDS est divisé. Que préconisez-vous pour sa réorganisation ?
Le PDS, créé par Wade, a un parcours de 40 ans dans l’opposition. Il s’agit de la première opposition légale en Afrique francophone, à une époque où d’autres pays basculaient dans la violence. Wade a tenu bon en croyant qu’il n’y avait pas de fatalité pour l’Afrique à subir éternellement des coups de force politique. L’Histoire lui a donné raison en 2000, après un parcours exceptionnel. Cela témoigne bien de son leadership. C’est pourquoi je pense que ces jeunes cadres n’ont pas intérêt à se lancer dans une course effrénée vers le pouvoir tant que le Président n’aura pas fixé les règles. Ensuite, ensemble, nous pourrons formuler des propositions.
Quelles ont été les évolutions institutionnelles ?
Le Sénégal a connu, sur le plan institutionnel, des évolutions remarquables depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui. Nous avons hérité du régime colonial un système bicéphale où le Président de la République et le Chef du Gouvernement devaient se partager le pouvoir, chacun ayant des missions précises. Cette cohabitation, avec de grandes figures du Sénégal telles que Senghor ou Mamadou Dia, s’est très mal passée et a conduit à la fameuse crise de 1962. Pour sortir de cette crise, le Président Senghor a fait adopter une nouvelle Constitution qui a abouti à la concentration des pouvoirs exécutifs, inspirée du modèle français de 1958. Nous avons fonctionné ainsi de 1963 à 1970 avant d’instaurer, jusqu’en 2000, un régime présidentiel déconcentré avec un rôle de Premier ministre. En 2001, une nouvelle Constitution a été adoptée, accordant des responsabilités plus importantes à l’Assemblée nationale et au Premier ministre. Toutefois, la prééminence du Président reste forte. Pour ma part, je pense que Wade possède un leadership qui permet de soutenir ce régime, mais qu’après lui, il serait utile de mettre en œuvre de nouvelles règles du jeu afin que des rééquilibrages puissent intervenir au niveau des différentes institutions. Je pense que le pays est mûr pour ce genre de débat.
Comment jugez-vous le fonctionnement de votre Assemblée ?
L’Assemblée exerce un contrôle sur l’exécutif et légifère. De ce point de vue, c’est une Assemblée républicaine avec un mode pluraliste, et nous avons adopté un mode de scrutin permettant son expression complète, en combinant des listes départementales et proportionnelles, ce qui permet à 13 partis d’être représentés. Naturellement, l’Assemblée nationale dispose du pouvoir de censure. L’actuelle législature a débuté en 2007, et nous avons déjà eu trois propositions de loi de députés adoptées et deux projets du Gouvernement retirés, ce qui montre qu’elle n’est pas seulement une chambre d’enregistrement. De plus, le Président de la République ne peut pas dissoudre l’Assemblée avant les deux premières années de la législature.
Quelle est la situation économique et sociale de votre pays ?
Les résultats sont là, même si, bien sûr, nous avons été touchés par les crises pétrolières, alimentaires et financières, qui ont compromis les efforts réalisés en amont. C’est pourquoi je pense que c’est le moment d’organiser un large rassemblement. Comme disent les Japonais, le mot « crise » ne signifie pas seulement difficulté, mais aussi opportunité. Le pays ne s’est jamais autant rassemblé qu’il l’a fait cette année pour faire face aux problèmes alimentaires, notamment en lançant l’initiative GOANA (Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Alimentation), qui a provoqué un sursaut à l’échelle du pays. Il se dessine un retour vers « la terre ». On mesure la persistance du système de production hérité de la colonisation, avec des survivances des systèmes de traite introduits en 1840 à travers les maisons bordelaises et marseillaises, qui nous ont spécialisés dans la culture de l’arachide au détriment de la culture vivrière. Pendant 120 ans, cette situation a perduré. Mais la GOANA vise précisément à recréer les conditions de cette diversification. Il en va de même pour les grands projets qui ont été maintenus, comme l’aéroport international, l’autoroute à péage ou la nouvelle ville. Nous devons donc poursuivre la politique de réaménagement du territoire. Dakar, en particulier, rassemble un quart de la population, ce qui induit un développement urbain périphérique désordonné et des situations ingérables en termes de malaise social et d’assainissement. En ce sens, les grands projets structurants du Président de la République peuvent contribuer à établir de nouveaux pôles de développement.
Quel message souhaitez-vous adresser à la classe politique française ?
La France a une responsabilité politique en Afrique subsaharienne, car elle est le pays qui nous connaît le mieux. Aujourd’hui, je suis particulièrement déçu par l’aide au développement, et les inégalités continuent de se creuser entre les pays riches et les pays pauvres. Il faut une mobilisation générale. L’Occident, et en particulier l’Europe, a manqué de hardiesse. Je m’adresse aux hommes politiques pour qu’ils assument leur responsabilité historique. L’Afrique a besoin d’un « plan Marshall », et la France a un rôle à jouer pour que cette vision soit partagée par l’Europe. Nous avons des élites très jeunes qui n’ont pas le même rapport avec l’Europe et la France, et qui risquent de se tourner vers les États-Unis, la Chine ou l’Inde. Il est crucial de sortir de la vision comptable pour adopter une perspective d’ensemble.