La volonté politique est une ressource renouvelable
En 2007, vous avez été fait Prix Nobel de la Paix. Depuis lors, avez-vous été rassuré sur l’avenir du monde ?…
Il y a des motifs d’inquiétude et d’optimisme. Les habitants de la planète sont plus sensibles au changement climatique. Ils sont déterminés à faire pression sur les politiques pour qu’ils prennent les mesures nécessaires à la résolution des problèmes. Je choisis l’optimisme parce qu’il y a des signes encourageants, mais bien sûr, la gravité de la crise climatique va croissant. Il faut plus d’action politique de masse pour que des changements surviennent dans des pays clés.Dans votre livre, Our Choice, vous ne cessez de répéter que tout n’est qu’une affaire de volonté politique. Existe-t-elle chez les Chefs d’États ou n’émettent-ils que des vœux pieux ?
Ce ne sont pas que des vœux pieux. Les mesures prises sont insuffisantes, mais le Congrès américain a voté des lois importantes. Les idées qu’elles portent progressent devant le Sénat, puisqu’il y aura assez de voix en leur faveur pour que le texte soit voté au début de l’année prochaine. Le Président Obama a promulgué des règlements qui imposeront des réductions d’émissions, même si la loi n’était pas votée. Des changements importants se produisent, ils ne vont simplement pas encore assez loin.
Quand vous étiez Vice-président, vous aviez créé un centre d’observation opérationnel à Barrow, dans l’Alaska. Qu’avez-vous fait depuis ?
Je suis optimiste car je vois que le système politique mondial s’approche d’un point de bascule au-delà duquel les changements nécessaires se produiront. Bien entendu, la crise empire de jour en jour, puisque nous rejetons quotidiennement 90 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Les conséquences du réchauffement sont déjà visibles dans le monde entier. Les scientifiques nous ont prévenus qu’elles pourraient empirer et atteindre des niveaux catastrophiques faute d’action rapide. Les politiques doivent agir !
Le film 2012 produit par Hollywood sur la fin du monde est-il purement fictif ou, au contraire, proche de la réalité ?
Les fictions ne sont pas un bon guide pour les politiques publiques. Mais le fait que les spectateurs apprécient ces visions apocalyptiques révèle peut-être une certaine anxiété. Le problème qui nous concerne réellement menace l’avenir de l’Humanité, pas à un moment précis comme on le voit dans les films, mais sur le long terme, au fur et à mesure que les gaz à effet de serre s’accumuleront. La fonte des glaces, la montée des océans, les pénuries d’eau créeront des réfugiés climatiques qui sont encore peu nombreux mais pourraient se compter en centaines de millions. Si les sécheresses et les inondations s’aggravent, ce ne sera pas comme dans un film hollywoodien, mais les conséquences seront catastrophiques. Nous pouvons encore éviter cela. Certains changements sont déjà inévitables, mais ils ne sont rien en comparaison de ce qui se passera si l’on n’agit pas rapidement.
Le réchauffement n’est-il pas une aubaine pour les pays riches qui pourront encore mieux exploiter le sous-sol de pays pauvres ? Certains n’y trouvent-ils pas leur compte ?
De nombreux pays bordent l’océan Arctique : les États-Unis, le Canada, la Russie, le Danemark, entre autres. Ce dernier a des prétentions importantes du fait du Groenland. Il y a de gros intérêts commerciaux en jeu. Certains voient la fonte de la calotte glaciaire comme une occasion de mener des prospections pétrolières dans des zones inaccessibles jusqu’alors. Mais beaucoup comprennent que la fonte totale de la calotte aurait des conséquences désastreuses pour la planète. La glace renvoie 90 % des radiations solaires qui la frappent durant les mois d’été. Au fur et à mesure qu’elle fond, l’océan en absorbe de 80 à 90 %, ce qui accélère très nettement son réchauffement par rapport à d’autres régions. Cela entraîne également la fonte du permafrost, les terres gelées autour de l’Arctique, qui contiennent des quantités phénoménales de CO2, mais aussi de méthane. Si elles sont relâchées, les volumes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère pourraient être multipliés par deux. C’est donc une catastrophe qu’il faut éviter à tout prix. Et les scientifiques insistent sur l’urgence des mesures à prendre.
Barack Obama propose 17 % de réduction des émissions d’ici à 2020. Les Chinois, 40 à 45 %, les Indiens 20 à 25 %. On ne peut pas mieux faire ?
Les chiffres paraissent comparables à première vue, mais ce n’est pas le cas. La Chine et l’Inde proposent une réduction de l’intensité de leur pollution climatique, c’est-à-dire une diminution du montant de la pollution par unité de croissance économique, alors que les États-Unis proposent de réelles baisses de leurs émissions absolues. En plus de cela, l’Amérique prend une année de référence différente. Les objectifs de l’Union européenne sont bien plus ambitieux. Le Japon et d’autres pays l’ont rejointe et font des propositions impressionnantes, alors que la baisse de 17 % de mon pays équivaut à 3 ou 4 % si l’on adopte la méthode de calcul européenne. C’est donc insuffisant ! Mais c’est la limite au soutien du Congrès à l’approche des élections. Il est cependant très important d’entamer ce processus, car au fur et à mesure que les États et les entreprises du monde entier s’adapteront aux changements nécessaires pour atteindre leurs objectifs, ils verront qu’ils sont capables d’en faire davantage. On l’a vu dans le cas d’autres traités sur l’environnement. Cela ouvre la voie à des mesures plus radicales dans les années à venir.
La France peut-elle avoir une réelle influence ?
Bien entendu. Le Président Sarkozy et le peuple français ont pris des engagements impressionnants et ont déjà lancé des réformes considérables. En tant que membre de l’UE, la France a contribué à la proposition européenne, qui est l’une des plus ambitieuses du monde. Tous les pays doivent faire davantage, mais l’Hexagone est de ceux qui soutiennent des progrès constructifs.
Nicolas Sarkozy dit qu’il faut empêcher Obama et Hu Jintao de sceller un accord fondé sur les seules réalités économiques des deux pays et qui se ferait sur le dos des autres. Que lui répondez-vous ?…
Je comprends cette crainte, mais je ne pense pas qu’elle soit justifiée. La coopération entre nos deux nations est importante et nous incite à faire des efforts de réduction. Pékin et Washington sont à la fois partenaires et concurrents. Beaucoup d’entreprises et de travailleurs américains craignent les délocalisations en Chine. Si cette dernière s’engage à réduire ses émissions dans la même mesure que nous, cela peut être bénéfique pour l’Europe ou d’autres parties du monde. Je ne pense pas qu’il y ait de motif sérieux d’inquiétude.
La réduction d’ici à 2050 de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, on peut y croire ?
J’espère que oui. Le gouvernement danois, son Premier ministre en tête, ont fait un travail admirable. Ils sont très énergiques malgré les difficultés du défi à relever. On devrait pouvoir aboutir à un accord opérationnel entre les chefs d’État, qui conduira à des réductions à court terme dans le monde entier. Il devrait constituer un ensemble d’instructions pour les négociateurs chargés de conclure un traité international contraignant au début de l’année prochaine.
Avec une Amérique engluée dans deux guerres, un taux de chômage de 10 %, la crise économique, les Américains peuvent-ils vraiment avoir l’esprit écologiste ?
Oui, je le pense, car on doit résoudre la crise par des incitations à la création d’emplois et de revenus pour des gens qui ont perdu beaucoup d’argent et qui doivent nourrir leur famille. Les taux d’intérêt étant bas, les États disposent d’outils limités. Les plans de relance fondés sur les infrastructures sont très en vogue, il faut en profiter pour passer à des infrastructures à faible empreinte carbone. L’administration Obama s’est très fortement engagée pour accélérer le développement des projets liés aux énergies renouvelables aux États-Unis. Nous devons mettre en place des réseaux électriques intelligents permettant d’acheminer l’électricité des régions venteuses et ensoleillées, où elle sera produite, vers les villes, où elle sera consommée. Cela créera des emplois et permettra d’accélérer la transition vers une économie décarbonée.
Comment aider les pays pauvres à mieux lutter contre le réchauffement, dont ils sont les premières victimes ?
Les pays pauvres ont des motifs de mécontentement légitimes, car ils sont frappés plus durement que les riches. Prenons l’exemple de l’Afrique subsaharienne… La hausse des températures aura des effets dévastateurs sur les capacités de cette région à produire de la nourriture, notamment là où les sols sont appauvris et moins fertiles. Les sécheresses, plus longues et plus violentes, avec des températures plus élevées, peuvent avoir des conséquences dramatiques en matière de sécurité alimentaire. D’autres pays sont plus vulnérables à la montée des océans. On pense au Bangladesh ou aux Philippines, entre autres. Par conséquent, tout en négociant un accord sur la réduction des émissions industrielles et le ralentissement de la déforestation, nous devons aussi prêter attention aux nations qui sont déjà confrontées aux conséquences du réchauffement et doivent trouver des solutions maintenant.
On dit qu’il faudrait 450 milliards de dollars pour les aider. Où trouver cet argent en pleine crise économique mondiale ?
C’est l’une des questions de Copenhague. Je fais partie des partisans de la création d’un fonds international, alimenté par les nations les plus riches, qui aidera ces pays en développement à s’adapter à l’impact de la crise climatique et à se préparer aux changements à venir. Il faut mener cela de front avec les négociations pour la réduction des émissions et éviter les conséquences les plus graves.
Si vous étiez Président aujourd’hui, quelles mesures prendriez-vous ?
Je suis en faveur d’une taxe carbone compensée par la baisse d’autres impôts. Il faut se montrer très audacieux et pousser tous les pays à réduire les émissions et, si possible, à passer au zéro carbone. Cela permettra de créer beaucoup de nouveaux emplois et de richesse. Il faut relever ce défi. Ce n’est pas qu’une question de politique et d’argent. C’est une question morale, qui touche à la définition même de la nature humaine. Sommes-nous responsables vis-à-vis de la génération suivante et des autres à venir ? Nous avons le devoir de prendre les décisions nécessaires à la sauvegarde de la planète et à l’avenir de la civilisation. Mon pays fait partie de ceux qui ont la chance de peser dans le monde. J’espère que nous nous hisserons à la hauteur de nos responsabilités.
Comment qualifiez-vous l’attitude du Président Obama, qui a hésité à participer aux négociations finales ?
Je pense qu’il a pris la bonne décision en annonçant qu’il participerait au Sommet. J’ignore s’il y aura de grosses surprises, mais je me réjouis qu’il ait annoncé des objectifs significatifs de réduction des émissions et qu’il participe aux discussions relatives à la création d’un fonds international d’adaptation. Je ne sais pas s’il annoncera d’autres choses, mais c’est déjà très positif.
Dans votre livre, vous concluez sur deux scénarios possibles : le début de l’horreur ou la prise de conscience écologiste pour sauver le monde. Lequel des deux prévaudra selon vous ?
Le résultat dépendra de notre choix. C’est pour ça que j’ai choisi ce titre. On a du mal à imaginer que tous les habitants de la planète puissent faire un choix ensemble. C’est pourtant ce que nous devons faire. La volonté politique est une ressource renouvelable. Nous devons la renouveler et faire le choix qui ouvrira la voie vers un avenir positif.
Propos recueillis
Christian Malard