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« Le temps de la paix en Colombie »

S.E. Juan Manuel Santos, Président de la République de Colombie
La Colombie a toujours partagé avec la France des valeurs démocratiques telles que la liberté, légalité et la tolérance. Malheureusement, il y a quelques semaines, nous avons également partagé la douleur du peuple français face à une violence insensée. Nous avons compris cette douleur parce que nous l’avons nous-mêmes vécue dans notre propre chair. La Colombie a souffert pendant 50 ans d’une guerre absurde, une guerre entre les enfants d’une même Nation, qui a laissé des millions de victimes dans son sillage. Mais le vent de la paix souffle enfin et il est possible que le dernier conflit de l’Occident se termine bientôt.

L’année dernière, devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, j’ai raconté l’histoire de Constanza Turbay, une Colombienne qui a perdu presque toute sa famille aux mains de la guérilla des FARC. À La Havane, où se déroule le processus de paix avec cette guérilla, Constanza a eu l’opportunité de regarder ses bourreaux dans les yeux et de raconter son histoire tragique, la même histoire que celle de millions de ses concitoyens. Et pour la première fois, Constanza a entendu l’un des leaders des FARC exprimer un regret sincère. Selon les propres mots de cette femme courageuse, les victimes sont « en train de remplacer leur peine par l’espoir de la paix ».

C’est ce désir de réconciliation émanant de la plupart des Colombiens qui a motivé cette dernière tentative sérieuse et judicieuse pour apporter la paix à mon pays. Mais avoir de l’espoir ne signifie pas être naifs. Nous sommes conscients du fait que nous négocions avec notre adversaire. Nous comprenons que le pays a beaucoup souffert à cause des innombrables meurtres, bombes, enlèvements et extorsions. C’est pourquoi nous devons négocier la fin du conflit armé une bonne fois pour toutes. Il est beaucoup plus simple de faire la guerre que la paix. Je le sais, car j’ai été Ministre de la Défense et j’ai porté aux FARC les coups les plus durs de leur Histoire. Mais de la même façon qu’il y a un temps pour la guerre, il y a un temps pour la paix. Le processus que nous avons mis en place à La Havane depuis deux ans – avec le soutien du Chili, de Cuba, de la Norvège et du Venezuela – a été un processus réaliste, digne et efficace, porteur de progrès concrets.

Les trois premiers points à avoir fait l’obiet d’un accord avec la guérilla comprennent des changements profonds pour la Colombie : des investissements historiques en faveur du développement rural, origine de notre conflit ; le remplacement des balles par des votes, pour aller vers un enracinement de notre démocratie; et le démantèlement des structures mafieuses du trafic de stupéfiants, accompagné d’un grand programme national de reconversion des cultures et de développement alternatif, pour nous rapprocher d’une Colombie sans culture de coca. Nous avons progressé plus que jamais, mais il est vrai que nous entrons dans la phase la plus complexe : la gestion des deux derniers points de l’agenda, relatifs aux victimes et à la justice de transition, ainsi que le programme « DDR » : Désarmement, Démobilisation et Réinsertion.

Ce sont des sujets certes difficiles, mais si la volonté de négocier persiste comme elle a persisté jusqu’à présent, je suis persuadé que nous obtiendrons des accords satisfaisants. Nous sommes optimistes parce que nos commandants militaires sont assis à la table des négociations. Nous sommes optimistes parce que tous les leaders guérilleros sont à Cuba. Nous sommes optimistes parce que nous avons commencé à désamorcer le conflit. Il y a plus d’un mois, les FARC ont annoncé un cessez-le-feu unilatéral et indéfini. C’est sans doute une décision dans la bonne direction et c’est pourquoi j’ai donné l’ordre à nos négociateurs de progresser dans la discussion d’un cessez-le-feu bilatéral et définitif. L’objectif est de faire taire les fusils pour toujours.

Le mois dernier, j’étais à Paris pour développer et renforcer les liens commerciaux, éducatifs et sécuritaires entre nos deux pays. Mais aussi, pour apporter un message de gratitude. La France a soutenu le processus de paix en Colombie de façon inconditionnelle, y compris lors d’importantes négociations avec l’Union Européenne. En plus de son leadership moral, la France comprend également que la paix est une bonne affaire. L’économie colombienne présente la plus forte croissance et la plus basse inflation d’Amérique Latine – ses performances sont remarquables, y compris par rapport à celles des pays de l’OCDE – et figure parmi les économies qui accueillent le plus d’investissements étrangers. Au cours des cinq dernières années, le commerce entre l’Union Européenne et la Colombie a augmenté de 25%. Et il est important de souligner que cette croissance a été obtenue de façon équitable, via la création d’emplois de qualité et via une réduction considérable de la pauvreté.

Si nous avons atteint ces objectifs sur un fond de conflit armé, pouvez-vous imaginer ce que nous pourrions construire dans la paix ? La plupart des experts et des économistes coïncident que, sans ce conflit, le PIB de la Colombie pourrait augmenter de deux points de plus sans interruption, ce qui créerait d’énormes opportunités d’investissement, d’infrastructure, de tourisme et de développement technologique pour des sociétés européennes. Dans un monde menacé par de nouveaux conflits et guerre, la Colombie offre aujourd’hui un espoir de paix. Dans un monde où règne l’incertitude économique, la Colombie offre des opportunités et de la stabilité.

par S.E. Juan Manuel Santos